Smartphones on display in China

Malgré les mesures d’atténuation des risques, la Chine reste résiliente dans son rôle au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales en téléphones intelligents

Depuis plus de trente ans, la Chine est la principale plaque tournante mondiale pour la fabrication d’une myriade de produits, dont les téléphones intelligents, une catégorie importante du commerce mondial et un secteur imbriqué dans un réseau complexe de filières stratégiques telles que celle des semi-conducteurs. Mais depuis quelques années, il semble que le statut de la Chine en tant que premier fabricant mondial de téléphones intelligents est remis en question à mesure que les multinationales tentent de diversifier leur empreinte manufacturière.

Si certains éléments viennent étayer cette affirmation, la position de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de téléphones intelligents reste solide et résiliente. La Chine a non seulement conservé sa position dominante dans la fabrication de produits de base à forte valeur ajoutée, mais son influence sur les réseaux d’approvisionnement à l’étranger est restée très forte, d’autant plus que les entreprises chinoises établissent des bases de production dans les nouveaux centres de fabrication. Pour réduire les risques liés à la dépendance à l’égard des fournisseurs et fabricants chinois et de leur réseau de production en expansion au-delà des frontières chinoises, les décideurs politiques doivent acquérir une connaissance approfondie des subtilités de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement dans les différentes régions du monde.

La délocalisation en dehors de la Chine

Depuis le début des années 2010, certaines multinationales ont commencé à délocaliser certains aspects de leur production à l’extérieur de la Chine, pour faire face principalement à l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre. Ces cinq dernières années, les délocalisations ont été plus nombreuses, notamment en raison de tensions commerciales et géopolitiques plus intenses entre les États-Unis et la Chine. Les restrictions strictes tendant vers le « zéro COVID » imposées par cette dernière pendant le confinement entre 2020 et 2022 ont également créé des barrières aux échanges sans précédent et un environnement commercial incertain, donnant à de nombreuses entreprises internationales un sentiment de vulnérabilité face à une dépendance excessive à l’égard d’un seul pays pour la fabrication de leurs produits.

Les exportations annuelles de téléphones intelligents de la Chine en disent long : elles sont passées de 1,3 milliard d’unités en 2015, le pic des exportations, à 822 millions d’unités en 2022. Selon les prévisions de S&P Global pour 2023, le pourcentage de la production de téléphones mobiles de la Chine pourrait diminuer de 5 à 15 points d’ici à 2025.

Pour renforcer la résilience de leur chaîne d’approvisionnement, les entreprises ont déplacé une partie de leur production de téléphones intelligents vers des pays considérés comme plus stables sur le plan géopolitique, l’Inde et le Vietnam étant les principaux choix. La liste des fournisseurs d’Apple, premier fabricant mondial de téléphones intelligents, illustre cette tendance : la part de ses usines en Chine est passée de 40 % en 2012 à moins de 30 % en 2022. Parallèlement, le nombre total de fournisseurs en Inde, au Vietnam et en Thaïlande est passé de 3 % il y a dix ans à environ 10 % en 2022. Le concurrent d’Apple, Samsung, s’est également retiré de la Chine : l’entreprise a supprimé 70 % des emplois de ses chaînes de production chinoises entre 2013 et 2021, et fermé sa dernière grande usine chinoise de fabrication de téléphones intelligents en 2019. Le Vietnam est désormais le centre de production de Samsung, qui y fabrique plus de 50 % de ses téléphones intelligents.

La Chine conserve toutefois une partie de sa capacité de production de base

Si ces tendances à la délocalisation sont évidentes, la Chine a fait preuve de résilience dans son rôle central au sein du secteur mondial des téléphones intelligents. Le pays a encore produit plus d’un milliard de téléphones intelligents en 2022, soit environ 70 à 80 % de la fabrication mondiale. En outre, l’essentiel des étapes de production relocalisées concerne principalement l’assemblage final à faible valeur ajoutée. Les étapes de fabrication de base plus haut de gamme, telles que la production de semi-conducteurs, d’écrans et d’écrans tactiles, sont pour la plupart restées en Chine.

Par exemple, après avoir fermé sa dernière usine de téléphones intelligents en Chine, Samsung y a maintenu sa production de semi-conducteurs et s’approvisionne en puces pour ses téléphones intelligents dans les villes chinoises de Xi’an, Tianjin et Suzhou. La délocalisation de ces installations de fabrication de semi-conducteurs semble peu probable à court terme, car il faudrait des années et des dizaines de milliards de dollars pour construire de nouvelles installations. Les fournisseurs nationaux en Chine – BOE tech, par exemple – continuent à capter 15,6 % de la chaîne d’approvisionnement de Samsung, en fournissant des composants essentiels pour les téléphones intelligents, tels que les écrans, que les entreprises étrangères ont du mal à remplacer, étant donné les avantages de faire appel à des fournisseurs chinois en termes de part de marché, de propriété des brevets et de rentabilité.

À ce jour, aucun autre centre de fabrication n’a égalé la capacité de la Chine, qui couvre la quasi-totalité de la chaîne d’approvisionnement des téléphones intelligents. Grâce à sa main-d’œuvre qualifiée, à ses solides réseaux de fournisseurs nationaux et à son infrastructure industrielle de plus en plus numérisée, la Chine permet de réduire les coûts de 20 à 50 % par an par rapport à ses concurrents régionaux.

En outre, ces centres de fabrication émergents d’Asie du Sud et du Sud-Est dépendent toujours des fournisseurs et fabricants chinois pour des éléments cruciaux. En 2023, la Chine est restée le premier exportateur de pièces vers le Vietnam, avec plus de 90 % de la valeur totale des « téléphones et pièces » importés de Chine. La Chine est également le plus grand fournisseur d’appareils électroniques et de pièces de l’Inde, avec 27,6 G$ d’équipements et de pièces électriques (ce qui inclut les téléphones et leurs composants) en 2023. En 2023, environ 90 % des composants fournis à Tata Electronics, le seul assembleur indien d’iPhone, ont été fournis par la Chine. En effet, les téléphones mobiles « Fabriqués au Vietnam » et « Fabriqués en Inde » dépendent encore en grande partie des importations en provenance de Chine.

Les fabricants chinois intégrés dans des réseaux d’économie d’affinité

Les difficultés rencontrées par les fabricants de téléphones intelligents pour démanteler leurs chaînes d’approvisionnement en Chine sont aggravées par les efforts compensatoires déployés par de nombreuses entreprises chinoises pour établir de manière proactive de nouvelles installations dans des pays comme le Vietnam et l’Inde afin de continuer à fournir des composants à leurs clients de manière efficace et rentable. La pénétration de la Chine dans les réseaux d’économie d’affinité (c.-à-d. les réseaux entre alliés politiques et économiques) suggère qu’une simple diversification des lieux de production en dehors de la Chine ne suffira pas à réduire l’influence grandissante exercée par les entreprises chinoises dans ces chaînes d’approvisionnement intégrées.

Le Vietnam, en particulier, est devenu un pôle d’attraction pour ces investissements chinois à l’étranger. Selon les données du gouvernement vietnamien, les entrées de capitaux enregistrées en provenance de Chine (y compris de Hong Kong) ont doublé au cours des 11 premiers mois de 2022, par rapport à la même période en 2021, pour atteindre 8,2 milliards de dollars américains. Les fournisseurs et fabricants chinois de téléphones intelligents figurent parmi les principaux investisseurs. Par exemple, Luxshare-ICT, un fabricant d’accessoires pour téléphones intelligents, a injecté 600 millions de dollars américains au Vietnam. En 2021, l’entreprise disposait de six usines au Vietnam consacrées à l’approvisionnement d’Apple. En 2022, Goertek, un autre fournisseur important d’Apple, a investi 306 millions de dollars américains au Vietnam pour la production de composants acoustiques.

L’Inde est un autre récipiendaire important de ces capitaux chinois croissants. Fin 2020, quelque 250 usines chinoises de la chaîne d’approvisionnement des téléphones intelligents avaient investi en Inde. Lingyi Itech, un fournisseur de chargeurs pour Apple, a progressé depuis 2019, déboursant près de 30 millions de dollars pour racheter Lite-On-Mobile India, un fabricant surtout connu pour ses moules de téléphones intelligents, tout en s’emparant des portefeuilles indiens de Salcomp, une société finlandaise qui conçoit des chargeurs pour téléphones.

L’ancrage des fabricants chinois dans les destinations d’économie d’affinité est manifeste, même dans le cadre de la géographie changeante de la chaîne d’approvisionnement d’Apple. Tous les fournisseurs chinois d’Apple opéraient sur le territoire national en 2012, mais en 2022, environ 17 % d’entre eux (47 usines) ont été délocalisés à l’étranger, principalement au Vietnam et en Inde. Sur les 25 partenaires de production d’Apple au Vietnam, neuf sont chinois, ce qui suggère que malgré une perception de diversification, la dépendance à l’égard de la Chine persiste.

La Chine s’appuie sur la réussite des fabricants nationaux

En plus de conserver son rôle central dans les chaînes d’approvisionnement régionales de téléphones intelligents, la résilience de la Chine est également renforcée par l’ascension mondiale de ses propres marques de téléphones mobiles. La part de marché mondiale collective des téléphones intelligents chinois est passée de 40 % en 2017 à la moitié des ventes en 2022, pour atteindre une part encore plus importante en 2023. Les dernières données du secteur sur les livraisons révèlent que huit des dix premiers acteurs pour ce qui est du volume sont désormais chinois et comprennent notamment Xiaomi, Vivo, Oppo, Huawei et Transsion. Ces puissances nationales continuent de faire des percées considérables, en particulier sur les marchés émergents. Transsion, une marque moins connue des consommateurs occidentaux, a proliféré en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud, enregistrant une augmentation de 39 % de ses expéditions en 2023 par rapport à l’année précédente.

En outre, par rapport à leurs concurrents internationaux, les marques chinoises de téléphones intelligents affichent des taux d’approvisionnement nationaux exceptionnellement élevés. Par exemple, le dernier téléphone intelligent de Xiaomi, la série 14, est composé à 75 % de composants nationaux, à quelques exceptions près, comme les puces avancées pour le stockage de la mémoire. Huawei va encore plus loin, certains modèles comportant jusqu’à 90 % de composants fabriqués en Chine, allant de la pile aux puces, et représentant 47 % de la valeur totale du téléphone. (À titre de comparaison, l’iPhone d’Apple intègre des composants chinois qui représentent environ 25 % de sa valeur totale.)

Cette relation symbiotique entre les marques chinoises et les fournisseurs nationaux contribuera à atténuer les risques pour la Chine découlant des stratégies d’autres pays visant à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement mondiales, renforçant ainsi la position centrale du pays dans ce secteur.

Quelles sont les conséquences de la résilience de la Chine dans la chaîne d’approvisionnement mondiale des téléphones intelligents pour les entreprises et les consommateurs canadiens? Bien que la part de la Chine dans les importations canadiennes de téléphones intelligents ait légèrement diminué au cours des deux dernières années, passant de 78 % en 2022 à 77 % en 2023, elle reste supérieure à celle de tous les autres pays, ce qui souligne la dépendance continue du Canada à l’égard des capacités manufacturières bien établies de la Chine et de ses chaînes d’approvisionnement diversifiées. En outre, comme celle-ci continue d’investir activement dans des installations de production dans le monde entier, elle conservera une influence considérable, quel que soit le lieu de production.

Pour les décideurs canadiens, le message est clair : il est essentiel de bien comprendre l’ampleur de cette dépendance à l’égard de la Chine pour certains produits, tels que les téléphones intelligents, afin d’élaborer des stratégies efficaces pour atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement. Si le fait de s’approvisionner auprès d’autres centres de production peut contribuer à remédier à certaines vulnérabilités, les autorités doivent également reconnaître l’immensité des enjeux liés à l’élimination totale des risques liés à la Chine, compte tenu de ses performances manufacturières bien établies et des réseaux de production transnationaux des entreprises chinoises. Au lieu de se contenter d’une diversification géographique, les dirigeants canadiens devraient donner la priorité à la collecte d’informations granulaires sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement afin de faciliter l’élaboration de nouvelles stratégies visant à réduire davantage les risques.

Karen Hui

Karen Hui est Chercheuse-boursière au sein de l'équipe de la Grande Chine de la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Titulaire d'une maîtrise en sociologie de l'Université chinoise de Hong Kong, elle se spécialise dans la recherche politique et universitaire liée au développement social sous des angles critiques, en particulier le travail, les mouvements sociaux, la santé publique et la chaîne d'approvisionnement.

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