La Cour constitutionnelle thaïlandaise a décidé, mardi, de suspendre temporairement la première ministre Paetongtarn Shinawatra. Moins d’un an après la suspension de son prédécesseur Srettha Thavisin, cette nouvelle mesure plonge à nouveau le pays dans une profonde incertitude politique.
Paetongtarn Shinawatra est accusée d’avoir enfreint les normes éthiques et violé la Constitution lors d’un entretien téléphonique avec l’ancien premier ministre cambodgien Hun Sen concernant le conflit frontalier entourant la zone contestée de Chong Bok.
La décision de la Cour constitutionnelle est peu surprenante : régulièrement accusée de servir l’establishment conservateur et proroyaliste, elle a déjà destitué les anciens premiers ministres de cette même formation politique, Srettha Thavisin et Yingluck Shinawatra. Elle a également dissous le parti progressiste Move Forward, vainqueur des législatives de 2023, ce qui a suscité de vives polémiques au sujet de son impartialité.
La crise politique qui s’abat sur la Thaïlande pourrait marquer le début d’une nouvelle période d’instabilité et met à rude épreuve la résilience de ses institutions démocratiques. Si la crise n’est pas circonscrite, elle pourrait replonger le pays dans l’instabilité politique et raviver l’antagonisme entre la puissante famille Shinawatra et ses rivaux historiques promilitaires.
Un appel téléphonique en cause
Le 28 mai, la zone contestée de Chong Bok, à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, est redevenue le théâtre d’un différend territorial vieux de plusieurs décennies. Des tirs sporadiques ont éclaté des deux côtés, faisant un mort du côté cambodgien.
La situation s’est aggravée après la fuite d’un appel téléphonique entre Hun Sen et Paetongtarn Shinawatra, apparemment divulgué par Hun Sen lui-même. Dans cet appel, Paetongtarn a qualifié le général thaïlandais Boonsin Padklang d’« adversaire », propos qui ont profondément choqué les cercles militaires et nationalistes thaïlandais.
Au cours de l’appel, Paetongtarn a également appelé Hun Sen « oncle », ce qui rappelle la protection dont son père, Thaksin Shinawatra, avait bénéficié lors de ses quinze années d’exil politique (2008-2023). Le retour de Thaksin en Thaïlande reposait sur un accord informel : le parti Pheu Thai céderait des portefeuilles ministériels clés à des alliés conservateurs-militaires en échange de leur soutien pour l’obtention d’une immunité juridique.
Le 27 juin, Hun Sen est ensuite apparu en direct sur Facebook pour menacer de révéler des secrets compromettants de la famille Shinawatra, notamment des insultes présumées à la monarchie, passibles de quinze ans de prison selon la loi thaïlandaise sur la lèse-majesté.
Vers un coup d’État militaire ?
Les coups d’État militaires ne sont pas rares en Thaïlande ; ils surviennent souvent de manière cyclique. Après les coups d’État de 2006 et de 2014, qui avaient respectivement écarté Thaksin Shinawatra (le père de Paetongtarn), puis sa sœur Yingluck, le spectre d’un troisième coup d’État plane.
Plusieurs conditions sont réunies pour qu’on assiste à un autre coup d’État en Thaïlande. Face à l’instabilité politique, aux protestations contre Paetongtarn et à une montée du nationalisme exacerbée par le récent conflit frontalier avec le Cambodge, les forces armées pourraient voir dans ce chaos l’occasion de reprendre le pouvoir. Comme lors des coups d’État de 2006 et de 2014, les militaires pourraient justifier une nouvelle intervention sous prétexte de « rétablir l’ordre ».
Mais le renversement du gouvernement pourrait s’effectuer autrement que par l’armée. Deux enquêtes sont en cours contre Paetongtarn — l’une portée par la Cour constitutionnelle, l’autre par la Commission nationale anticorruption —, dont l’issue pourrait conduire à sa destitution définitive. Parallèlement, le Bhumjaithai, deuxième force de la coalition, a quitté l’alliance gouvernementale et a déposé une motion de censure, ce qui rend la formation d’un exécutif stable improbable.
La Cour criminelle a également commencé mardi à entendre les témoins concernant l’accusation visant Thaksin Shinawatra dans une affaire de lèse-majesté : il est accusé d’avoir tenu des propos offensants à l’égard de la monarchie lors d’une entrevue en 2015. Les factions proroyalistes pourraient vouloir saisir l’occasion de donner un coup fatal à la dynastie Shinawatra.
Les prochains jours seront marqués par une grande incertitude et testeront la démocratie thaïlandaise. Cette crise est appelée à redéfinir le paysage politique de la Thaïlande, jetant une ombre sur un pays constamment partagé entre une expérience démocratique fragile et des interventions militaires et judiciaires récurrentes.
Cet article d'opinion a été publié pour la première fois dans Le Devoir le 2 juillet 2025.