L’émergence d’un modèle innovant d’intelligence artificielle développé en Chine a bouleversé le marché et fait perdre 1 000 milliards $ US aux valeurs technologiques américaines lundi dernier, relançant la « course aux armements » en matière d’IA entre les États-Unis et la Chine et soulignant, pour Ottawa, la nécessité de repenser la stratégie et les investissements en matière d’IA au sens large.
DeepSeek, la jeune entreprise chinoise responsable du grand modèle de langage R1, appartient à High-Flyer, un fonds spéculatif basé à Hangzhou.
Le budget de la troisième version du modèle de la jeune entreprise, à l’origine de R1, n’aurait été que de 5,6 millions $ US, bien que ce chiffre ne tienne probablement compte que de l’utilisation des puces lors de l’entraînement final du modèle, et non du coût total de son développement.
R1 a été développé plus rapidement et avec moins d’argent et de ressources que n’importe quelle application américaine comparable : puisque des mesures de contrôle américaines interdisent l’exportation des puces semi-conductrices les plus avancées à la Chine, DeepSeek a dû utiliser des puces plus faibles de Nvidia, les puces H800, pour développer la troisième version de son modèle.
Malgré cet obstacle, les capacités du modèle gratuit de DeepSeek sont considérées comme largement comparables à celles de ChatGPT-4o d’OpenAI, par exemple. DeepSeek, cependant, semble utiliser plus efficacement l’énergie et la puissance de calcul, et sa nature de logiciel libre permet aux développeurs de modifier le modèle à leurs propres fins.
Danielle Goldfarb, membre émérite de la FAP Canada, experte de l’économie numérique, a déclaré à Observatoire Asie que « ce développement remet en question l’hypothèse dominante, tant dans la Silicon Valley qu’à Ottawa, selon laquelle des quantités massives d’argent, d’énergie et de puissance de calcul entraîneront des changements radicaux dans les capacités en matière d’IA ».
Mme Goldfarb a également déclaré que le gouvernement du Canada et les chefs d’entreprise « devront repenser leurs investissements en matière d’IA, qui se sont jusqu’ici concentrés sur la puissance de calcul, les centres de données alimentés par l’énergie abondante du Canada et la recherche fondamentale. »
Ce jeudi, DeepSeek était l’application gratuite la plus populaire sur l’App Store d’Apple au Canada.
Orienter la conversation différemment
Le modèle R1 de DeepSeek semble s’autocensurer sur certains sujets « sensibles ». Par exemple, Observatoire Asie a interrogé l’application sur la décision d’Ottawa de sanctionner des fonctionnaires chinois le mois dernier en réponse à de « graves violations des droits de la personne » en Chine, notamment au Xinjiang et au Tibet.
DeepSeek a répliqué à Observatoire Asie par une série de citations de Wang Yi, md’un article du journal Global Times, contrôlé par l’État.
D’autres sujets se heurtent à l’autocensure de l’application.
Les priorités du Canada en matière d’IA
En septembre 2024, le Canada s’est engagé à promouvoir une « approche responsable en matière d’intelligence artificielle » et a promis de faire de la sécurité de l’IA une priorité de sa présidence du G7 en 2025.
Le gouvernement fédéral a qualifié la sécurité des systèmes d’IA de « priorité » et a créé en novembre l’Institut canadien de la sécurité de l’intelligence artificielle.
Mme Goldfarb a déclaré à Observatoire Asie que le succès de DeepSeek soulève « d’énormes préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité » et rend encore plus importante la sensibilisation à l’IA pour les entreprises et les citoyens canadiens.
« Les Canadiens ne se rendent peut-être pas compte que leurs requêtes [sur DeepSeek] sont stockées sur des serveurs chinois et font l’objet d’une surveillance de la part du gouvernement chinois », a souligné Mme Goldfarb.