À retenir :
Le 9 octobre, Beijing a annoncé de vastes nouveaux contrôles sur les exportations de terres rares et technologies associées, marquant une nouvelle escalade dans l’utilisation des minéraux critiques comme levier géopolitique. Cette démarche accorde un contrôle accru à la Chine sur les chaînes d’approvisionnement sous-jacentes à la défense mondiale et à la fabrication de pointe.
En réponse, les États-Unis et leurs alliés, dont le Canada, accélèrent leurs efforts pour diversifier leurs approvisionnements, tout en reconnaissant que le développement de capacités alternatives sera long, coûteux et incertain. Tandis que les positions s’endurcissent des deux côtés, la confrontation technologique et commerciale entre les États-Unis et la Chine s’apprête à persister.
EN BREF
- Les terres rares sont vitales pour un large éventail de produits, allant des cellulaires et véhicules électriques aux éoliennes et systèmes de guidage de missiles. En 2024, la Chine produisait au moins 60% des terres rares mondiales et traitait environ 90% de leur approvisionnement mondial.
- Les nouveaux contrôles chinois étendent les restrictions à cinq autres métaux de terres rares, en plus des sept annoncés en avril, couvrant presque tous les 17 éléments reconnus comme terres rares.
- Selon cette nouvelle réglementation, les entreprises étrangères, même en l’absence de toute participation chinoise, devront obtenir l’autorisation de Beijing pour exporter des biens contenant 0,1% ou plus de valeurs en terres rares d’origine chinoise, ou produits fabriqués à l’aide de technologies chinoises liées aux terres rares.
- Beijing refusera l’exportation de matériaux en terres rares utilisés dans le secteur de la défense, invoquant des préoccupations liées aux technologies à double usage. L’approbation sera accordée au cas par cas, incluant les exportations de terres rares destinées aux technologies de pointe, comme les semi-conducteurs aux applications militaires potentielles.
- En réaction à ces changements, le président américain Donald Trump a annoncé des tarifs additionnels de 100% sur les produits chinois, ainsi que de nouveaux contrôles à compter du 1er novembre sur « tout logiciel critique ou essentiel », accusant la Chine d’adopter une position « extraordinairement agressive » en matière commerciale et de maintenir le monde « en captivité ».
Implications :
Les nouvelles réglementations marquent une vive escalade dans la volonté de Beijing d’instrumentaliser sa domination sur les terres rares. À l’instar des interdictions d’exportation de semi-conducteurs imposées par Washington, qui limitent les fabricants étrangers de puces à ne pas vendre à la Chine les produits fabriqués avec des technologies américaines, Beijing a, pour la première fois, étendu ses restrictions d’exportation aux producteurs hors de Chine. Comparativement aux mesures d’avril, axées principalement sur la matière première en amont, les nouvelles règles se sont élargies pour inclure la fabrication de matériaux et les technologies de production intermédiaires et en aval.
Pour les entreprises étrangères dépendantes de la machinerie, des composantes ou du savoir-faire chinois, les répercussions devraient être sévères. Même les entreprises disposant déjà d’équipements fabriqués en Chine risquent de perdre l’accès aux services de maintenance ou aux pièces de rechange, mettant en péril la continuité de leur production. Au cours des deux dernières décennies, la Chine a solidement ancré sa domination dans ce secteur,fournissant près de l’intégralité de l’expertise technique et de la machinerie de précision requises pour le traitement mondial des terres rares. Ce nouvel outil légal permettra à Beijing de freiner les efforts occidentaux visant à développer des chaînes d’approvisionnement résilientes et autosuffisantes en terres rares.
La démarche récente de la Chine pose des enjeux majeurs pour l’industrie de pointe occidentale, particulièrement dans les domaines de la défense et des semi-conducteurs. Les terres rares sont cruciales pour les technologies de défense, telles que les avions de combat, missiles et systèmes radar. Les États-Unis continuent de dépendre de la Chine pour 70% de leur approvisionnement en terres rares. Avec l’interdiction claire de Beijing sur les exportations de terres rares à des fins militaires, les experts avertissent que l’industrie de la défense américaine pourrait être durement affectée, compromettant ainsi la capacité de Washington à suivre la croissance rapide de la production chinoise dans le secteur de la défense, qui, apparemment, évolue à un rythme cinq ou six fois plus rapide que la production américaine.
Le processus d’évaluation au cas par cas permet aussi à Beijing de disposer d’un levier réglementaire sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les fabricants technologiques souhaitant utiliser des matériaux et technologies chinois doivent désormais communiquer qui pourrait en faire usage et à quelles fins, conférant ainsi à Beijing un pouvoir accru de retenir ou conditionner les approbations Ce mécanisme ajoute une couche de renseignements stratégiques et de contrôle sur les chaînes d’approvisionnement des fabricants de puces à l’international, particulièrement ceux du Japon, de la Corée du Sud et de Taïwan. S’il est mis en œuvre de manière agressive, ce nouveau règlement pourrait retarder la production de certaines puces avancées de trois à six mois, selon les estimations de l’industrie.
Ce qui s'ensuit :
1. Le combat œil pour œil entre la Chine et les États-Unis traîne depuis les pourparlers commerciaux tenus à Madrid en septembre. Depuis, les deux pays ont appliqué des rondes successives de sanctions et des mesures de contrôle des exportations. Washington a ajouté à ses listes de contrôle d’exportation davantage d’entreprises chinoises et imposé des frais portuaires sur les navires liés à la Chine, tandis que Beijing a placé plusieurs entreprises fabriquant des drones sur liste noire. Quelques jours avant que la Chine mette en place ses nouvelles mesures sur les terres rares, un comité du Congrès américain a demandé un resserrement des restrictions à l’exportation des équipements utilisés dans la fabrication des puces pour limiter l’accès chinois. Les analystes s’attendent à voir davantage de « méandres »à l’avenir. Même si le président chinois Xi Jinping rencontre Donald Trump durant le sommet de l’APEC en Corée du Sud en octobre, très peu s’attendent à ce que des concessions majeures soient obtenues, bien que ces récents contrôles pourraient offrir à Xi plus de levier.
2. L’Occident, dont le Canada, continue d’accélérer la relocalisation des terres rares.
Poussé par l’instrumentalisation chinoise des terres rares, les gouvernements occidentaux ont intensifié ces dernières années leurs efforts pour reconstruire des chaînes d’approvisionnement domestiques. À travers sa Stratégie sur les minéraux critiques de 2022, Ottawa a consacré 3,8 milliards de dollars canadiens pour accélérer la production et la transformation nationales, avec le Saskatchewan Research Council développant ses capacités de raffinerie pour approvisionner le secteur de la défense américain. Le One Big Beautiful Bill Act a alloué 7 milliards de dollars américains pour stimuler la production de minéraux critiques d’ici 2029, tandis que le Japon s’est récemment engagé à investir 120 millions de dollars américains dans un projet français de raffinement de terres rares afin de sécuriser des sources alternatives. L’Australie est aussi en train de développer une réserve de minéraux critiques de 780 millions de dollars américains qui priorisera la vente de productions futures à ses alliés. Parallèlement, l’administration Trump a acquis une participation dans deux entreprises canadiennes spécialisées dans les minéraux critiques pour sécuriser l’approvisionnement interne, dont une d’une valeur de 35,6 millions de dollars américains.
Les contrôles resserrés de la Chine renforceraient ces poussées vers la diversification, bien que la relocalisation demeure exigeante en capital et technologiquement difficile.
• Édité par Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada.