À retenir
Le 47e sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et les réunions connexes, qui se sont tenus à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 26 au 28 octobre, ont mis en évidence à la fois les forces diplomatiques et les faiblesses stratégiques du bloc. La présence du président américain Donald Trump a dominé les débats, avec notamment la signature d’accords commerciaux juridiquement contraignants avec la Malaisie et le Cambodge, d’accords-cadres avec la Thaïlande et le Vietnam, et de protocoles d’entente sur les minéraux critiques avec la Malaisie et la Thaïlande. M. Trump a également présidé à la signature de l’accord de Kuala Lumpur visant à apaiser les tensions frontalières entre la Thaïlande et le Cambodge.
L’adhésion du Timor-Leste en tant que 11e membre de l’ANASE a renforcé l’inclusivité du bloc, même si l’intégration complète de ce petit pays d’Asie du Sud-Est nécessitera un soutien technique et économique important. L’absence du Myanmar au sommet a mis en évidence les divisions internes du bloc, notamment la difficulté de trouver un équilibre entre l’engagement de non-ingérence et la nécessité de faire face aux crises humanitaires et de gouvernance dans sa sphère. Dans l’ensemble, cependant, le sommet a renforcé le rôle central de l’ANASE dans la région indo-pacifique.
En bref
- L’ANASE a conclu les négociations sur l’accord-cadre sur l’économie numérique, le premier accord régional sur l’économie numérique au monde. Il devrait être signé en 2026 et permettra le commerce numérique transfrontalier, les services, les flux de données et le commerce électronique au sein de l’ANASE.
- En signant l’accord de Kuala Lumpur, la Thaïlande et le Cambodge ont accepté de retirer les armes lourdes de leur frontière commune et Bangkok s’est engagée à libérer 18 détenus cambodgiens.
- Bien que le Myanmar ait participé aux réunions de travail, l’absence du chef de la junte, Min Aung Hlaing, a mis en évidence les difficultés persistantes de l’ANASE à faire face à la guerre civile qui sévit dans le pays. Le Myanmar sera écarté de la présidence de l’ANASE en 2026, qui sera assurée par les Philippines.
- Les dirigeants des partenaires du dialogue de l’ANASE, notamment le Canada, la Chine, le Japon et l’Australie, étaient également présents. Le premier ministre Mark Carney s’est engagé à approfondir les liens bilatéraux avec le Vietnam et a signé une lettre d’intention avec la Malaisie afin d’accroître les investissements dans le gaz naturel liquéfié, le nucléaire et les énergies renouvelables. Il a également invité le président des Philippines, Ferdinand Marcos Jr., à se rendre au Canada et a appelé à accélérer l’accord de libre-échange ANASE-Canada en 2026, et a discuté de l’approfondissement de la coopération avec le Laos. Le Canada s’est engagé à fournir une assistance technique de 25 millions de dollars canadiens aux États de l’ANASE pour la mise en œuvre de l’accord de libre-échange ANASE-Canada.
Les conséquences
L’ANASE s’élargit et s’engage en faveur de l’inclusion, mais ses limites institutionnelles sont toujours visibles. L’adhésion du Timor-Leste renforce la légitimité de l’ANASE en tant qu’organisation régionale, mais l’intégration de ce petit État à faible revenu mettra à l’épreuve la capacité administrative du bloc. Les disparités de développement entre les membres risquent de s’accentuer si l’ANASE ne développe pas ses programmes d’assistance technique et d’intégration économique.
L’exclusion du Myanmar a mis en lumière le dilemme permanent de l’ANASE, qui doit trouver un équilibre entre la non-ingérence et la crédibilité en matière de droits de l’homme et de gouvernance. Bien que la junte ait invité l’ANASE à observer les élections de décembre 2025, le bloc a décliné l’invitation, invoquant l’insuffisance des progrès vers la paix et la gouvernance inclusive. Les dirigeants de l’ANASE ont souligné que tout processus électoral crédible doit être précédé d’une « cessation de la violence et [d’un] dialogue politique inclusif ».
L’ANASE évolue dans une dynamique économique et géopolitique complexe. Malgré les accords signés par le président Trump avec les États membres de l’ANASE, les droits de douane américains sur ces pays restent de 19 % pour la Malaisie, la Thaïlande et le Cambodge, et de 20 % pour le Vietnam. M. Trump a également signé des protocoles d’entente bilatéraux avec la Malaisie et la Thaïlande afin de diversifier les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques, dans le but de contrer le contrôle des exportations de terres rares par la Chine.
En même temps, la Chine et l’ANASE ont signé une zone de libre-échange ANASE-Chine 3.0 améliorée, renforçant la coopération économique dans le domaine des biens, des services numériques et des technologies vertes, tout en introduisant des mesures visant à améliorer les procédures douanières et à réduire les pratiques commerciales déloyales. La Chine a tenté de se positionner en tant que championne de l’ouverture des échanges, des investissements et de la connectivité régionale, et en tant qu’alternative aux États-Unis – un message qui a suscité des réactions mitigées de la part des États membres de l’ANASE. Les Philippines ont souligné qu’une telle coopération ne peut coexister avec la coercition.
L’évolution du paysage stratégique de l’ANASE met en évidence la possibilité pour les puissances moyennes de diversifier leurs partenariats. Lors du sommet, la Corée du Sud a finalisé l’accord de libre-échange entre la Malaisie et la Corée du Sud, tandis que le Japon et l’Australie se sont engagés à continuer de fournir un soutien technique et de développement au bloc. Le premier ministre Carney, pour sa part, a souligné l’engagement du Canada en faveur d’un ordre international stable et fondé sur des règles.
Prochaines étapes
1. Mise en œuvre de l’accord de Kuala Lumpur et du consensus en cinq points
Le rôle qu’a joué la Malaisie, en tant que présidente de l’ANASE pour 2025, dans la médiation d’un cessez-le-feu entre la Thaïlande et le Cambodge a démontré sa capacité à gérer les différends régionaux. Alors que l’accord de Kuala Lumpur entre dans sa phase de mise en œuvre, l’ANASE devra surveiller de près le respect des engagements pris par les parties de retirer les armes lourdes et d’entamer des opérations de déminage conjointes. Le succès de l’accord déterminera s’il s’agit d’un véritable progrès ou d’une simple trêve politique temporaire.
L’ANASE doit également continuer à surveiller le conflit prolongé au Myanmar, notamment en soutenant les efforts du mécanisme de la troïka de l’ANASE visant à mettre en œuvre le consensus en cinq points et à encourager un dialogue constructif entre toutes les parties. Le bloc doit également veiller à ce que l’aide humanitaire parvienne aux populations touchées et à ce que la situation politique ne déstabilise pas davantage la région. Un succès sur les deux fronts renforcerait la crédibilité de l’ANASE en matière de prévention des conflits et de médiation alors qu’un échec renforcerait les perceptions de la capacité d’exécution limitée et des divisions internes du bloc.
2. La déclaration de Kuala Lumpur et les priorités des Philippines pour la présidence de 2026
La déclaration de Kuala Lumpur sur l’ANASE 2045 définit la trajectoire future du bloc, soulignant la nécessité d’une ANASE résiliente, innovante, dynamique et centrée sur les personnes. La déclaration souligne l’importance de renforcer la capacité institutionnelle de l’ANASE pour faire avancer les efforts de construction communautaire. Alors que l’ANASE intègre un nouveau membre (le Timor-Leste) et gère une dynamique régionale complexe, les années à venir mettront à l’épreuve sa capacité à maintenir sa cohésion et à s’adapter à l’évolution des enjeux.
Les Philippines, qui prennent la présidence du groupe, se concentreront sur la promotion de la cohésion régionale, la reprise économique et la sécurité maritime, en accordant une attention particulière à la mer de Chine méridionale. Le leadership de Manille sera essentiel pour maintenir la centralité de l’ANASE tout en équilibrant les relations avec les grandes puissances.
3. Plan d’action quinquennal du Canada
Le plan d’action du Canada pour son engagement futur avec l’ANASE donnera la priorité à la finalisation de l’accord de libre-échange ANASE-Canada, à l’élargissement de la coopération en matière d’énergie et de climat, et au soutien des programmes techniques et de renforcement des capacités visant à consolider l’intégration de l’ANASE. Le plan d’action 2021-2025 arrivant à échéance, le plan d’action de l’accord de libre-échange ANASE-Canada pour 2025-2030 devrait être adopté dans le courant de l’année. Le Canada entend approfondir ses liens stratégiques et économiques dans la région indo-pacifique, en s’appuyant sur des partenariats pour promouvoir un commerce fondé sur des règles, la diversification de la chaîne d’approvisionnement et la stabilité régionale.