Un symposium sur le renforcement de la coopération en matière de sécurité entre le Canada et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a eu lieu à Ottawa, le 15 mai 2025. Tenu à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, le symposium a été organisé dans le cadre du programme Initiatives Canada-ANASE du York Centre for Asian Research, avec le soutien de la Fondation Asie Pacifique du Canada (FAP Canada).
Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie de la FAP Canada, et le professeur Kai Ostwald, attaché de recherche supérieur de la FAP Canada, ont participé en tant que panélistes à une séance sur la façon dont le nouveau gouvernement du Canada pourrait se positionner par rapport à la sécurité en Asie du Sud-Est. Julia Bentley, membre émérite de la FAP Canada et ancienne haute-commissaire du Canada en Malaisie (de 2017 à 2020), a animé le panel des ambassadeurs.
Parmi les autres conférenciers figuraient un sous-ministre adjoint et des hauts fonctionnaires du ministère de la Défense nationale du Canada, d’Affaires mondiales Canada et du ministère des Pêches et des Océans, ainsi que des représentants de groupes de réflexion et d’universités. Les ambassadeurs des Philippines, de la Thaïlande, du Vietnam et du Japon établis au Canada étaient également au nombre des participants.
Dans la continuité du succès du premier symposium de 2024, la discussion de cette année s’est déroulée dans un contexte de turbulences géopolitiques croissantes, de changements et d’incertitudes. Elle comprenait un débat animé sur la façon dont le nouveau gouvernement du Canada pourrait participer à la sécurité régionale en Asie du Sud-Est. Un thème majeur était de savoir si le Canada pouvait tirer parti du vide stratégique créé par le retrait des États-Unis de l’Asie et du multilatéralisme, et s’il pouvait se repositionner pour renforcer la suprématie du droit, le système multilatéral et le leadership régional, à condition qu’il puisse exprimer de façon cohérente le rôle qu’il souhaite jouer.

Le Canada continue d’avoir un vif intérêt pour l’ANASE
Les allocutions liminaires ont souligné l’importance que le Canada accorde à sa relation étroite avec l’ANASE, la position du Canada en tant que pays du Pacifique et ses contributions à la sécurité dans la région Indo-Pacifique. À titre d’exemple, citons la participation active d’Ottawa au dialogue des responsables de la défense et à la conférence sur les politiques de sécurité du Forum régional de l’ANASE (FRA), et sa coprésidence d’ateliers sur des sujets tels que les femmes, la paix et la sécurité, et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Le Canada participe également activement aux processus de la réunion élargie des ministres de la Défense de l’ANASE en tant qu’observateur auprès de deux groupes de travail d’experts, l’un sur l’aide humanitaire et le secours aux sinistrés, et l’autre sur la sécurité maritime.
Par ailleurs, le Canada fait progresser la sécurité collective en collaboration avec d’importants partenaires de l’ANASE par l’intermédiaire d’accords bilatéraux et du plan de travail Canada-ANASE (de 2026 à 2030), en plus de respecter ses engagements envers le FRA et dans le cadre de la mise en œuvre de sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique (SIP) de 2022. Le rythme soutenu des visites de responsables canadiens (p. ex. au Vietnam, en Malaisie et aux Philippines) ainsi que les dialogues sur les politiques de défense tenus en 2025 avec l’Indonésie, le Singapour et les Philippines témoignent de la participation active du Canada. La moitié des partenaires de formation sur la sécurité du Canada sont maintenant de l’ANASE.
Grâce à des initiatives telles que l’opération HORIZON et l’opération NEON, le Canada contribue à faire respecter le droit international dans la région Indo-Pacifique, notamment en mer de Chine méridionale, avec une présence navale et une surveillance aérienne accrues.
Le Canada collabore également avec des partenaires de l’ANASE dans d’autres secteurs de la sécurité maritime par l’application de la loi et le renforcement des capacités ainsi que dans le cadre du programme de détection des navires clandestins. Ces efforts s’appuient sur de nombreuses années de participation canadienne dans le Pacifique et comprennent un rôle croissant pour le Canada dans l’opération North Pacific Guard. Le personnel, les technologies, les navires et les avions canadiens favorisent tous l’échange de renseignements, la surveillance, la protection, la prévention et la gestion des activités criminelles en mer, notamment celles liées aux pêches, aux stupéfiants et à la traite de personnes, pour une meilleure conformité aux lois sur la pêche, le travail et l’environnement.
Concilier engagement régional et perception
Tout au long du symposium, assurer la continuité des politiques canadiennes à l’égard de l’ANASE et maintenir les engagements pris au titre de la SIP étaient des points de discussion récurrents. Bien qu’il y ait eu certaines lacunes dans la mise en œuvre de la SIP, les participants ont affirmé qu’accorder moins d’importance à la SIP nuirait grandement à la réputation du Canada en Asie. Les participants ont toutefois reconnu que le terme « Indo-Pacifique » renvoyait de plus en plus à la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Le Canada doit définir sa politique étrangère générale, selon ses propres intérêts et valeurs, et promouvoir sa vision typiquement canadienne dans des tribunes comme le Sommet des dirigeants du G7, tenu au Canada cette année, pour montrer une cohérence entre ses priorités indo-pacifiques, euro-atlantiques et atlantiques.
Les panélistes ont affirmé qu’imiter l’approche musclée des États-Unis ou sembler faire partie d’une alliance contre la Chine nuirait à la crédibilité du Canada auprès de ses partenaires de l’Asie du Sud-Est. La participation du Canada à la sécurité ne devrait pas reposer uniquement sur ses relations avec les États-Unis. De plus, la notion de « vues similaires » devrait dépasser l’alignement idéologique et inclure des puissances moyennes pragmatiques, comme celles de l’Asie du Sud-Est, qui cherchent à adopter une approche modérée dans le contexte actuel de tensions géopolitiques.
Conscients que l’instabilité régionale s’inscrit dans une plus vaste dynamique de perturbations mondiales, les panélistes ont insisté sur l’importance de communiquer avec la Chine pour éviter les malentendus. Pour la première fois en 11 ans, les ministres de la Défense du Canada et de la Chine se sont rencontrés en 2024 en marge de la conférence Shangri-La Dialogue à Singapour, ce qui a lancé un message positif à cet égard. L’ANASE et le Canada ont tous deux un puissant voisin et gagneraient à échanger de l’information sur la façon de gérer les relations avec leurs voisins respectifs.
Comment le nouveau gouvernement du Canada devrait-il se positionner en ce qui concerne la sécurité en Asie du Sud-Est?
En cette période de turbulences géopolitiques croissantes, la montée de regroupements minilatéraux dans l’architecture de la sécurité en pleine évolution de l’Asie a suscité des discussions sur les avantages et les inconvénients d’inviter le Canada à rejoindre des coalitions flexibles et axées sur des enjeux particuliers. Les participants ont insisté sur l’importance d’une participation active du Canada dans la région, de façon indépendante des intérêts des États-Unis et sans tomber dans la dichotomie idéologique entre démocratie et autocratie. Le Canada devrait plutôt formuler une vision cohérente et respecter la préférence de l’ANASE pour une position non alignée.
Même si le Canada n’est plus aussi aligné sur les États-Unis qu’auparavant, il ne se situe pas pour autant à mi-chemin entre la Chine et les États-Unis. Face à la détérioration de ses relations avec les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie, le Canada a la possibilité de se redéfinir comme un allié digne de confiance des petites et moyennes puissances de l’Asie. Pour ce faire, il peut renforcer les capacités en Asie du Sud-Est dans des domaines tels que la cybersécurité et les régimes de réglementation, et coopérer plus étroitement avec des partenaires déterminés à faire respecter l’ordre fondé sur des règles, comme le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et Taïwan.

Le Canada et l’Asie du Sud-Est victimes du bras de fer entre les États-Unis et la Chine
Pour renforcer son image dans la région, le Canada doit participer de manière soutenue et bien visible au moyen de dialogues (en ayant recours à la diplomatie officielle, hybride et officieuse) et collaborer davantage dans les enjeux liés à la sécurité tels que la connaissance du domaine maritime, la cybersécurité et la sécurité humaine. Il doit également se montrer à l’écoute des préoccupations de l’Asie du Sud-Est à l’égard de la sécurité économique, notamment la gestion des ressources marines ainsi que la sécurité énergétique et alimentaire.
Conscients de l’imprévisibilité croissante des États-Unis, les pays de l’Asie du Sud-Est ont désormais un plus grand intérêt à inclure le Canada dans les conversations régionales pour interpréter les gestes posés par les États-Unis et naviguer l’ère Trump 2.0. Le Canada a donc l’occasion de consolider sa présence dans la région, grâce à son passé moins marqué par les tensions que celui d’autres pays.
Il doit être attentif à la façon dont les pays de l’Asie du Sud-Est le perçoivent et trouver un juste équilibre entre le réflexe de se tourner vers les pays euro-atlantiques et un véritable engagement auprès des pays de la région. La participation du premier ministre canadien Mark Carney aux sommets de l’ANASE, de l’APEC et du G20 sera essentielle pour démontrer que le Canada maintient son engagement de haut niveau envers la région.
Devant les frictions entre la Chine et les États-Unis, le Canada doit cultiver des partenariats bilatéraux et multilatéraux indépendants avec les pays de l’Asie du Sud-Est. Certains panélistes ont souligné qu’un maintien sélectif de l’ordre fondé sur des règles risque d’être perçu comme de l’hypocrisie libérale en Asie. Le Canada gagnerait à adopter une approche plus nuancée, surtout en ce qui concerne la façon dont Washington dépeint la Chine comme une menace pour la sécurité et les zones sensibles comme la mer de Chine méridionale.
Les partenaires asiatiques sont prêts à coopérer plus étroitement
Les ambassadeurs qui ont participé au panel se sont montrés favorables à la SIP en tant que moyen pour accroître la participation de diverses parties prenantes canadiennes. Ils suggèrent au Canada d’envisager la formation de partenariats trilatéraux avec des pays comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. Les participants ont également affirmé que la présence navale du Canada dans le Pacifique, qui est pratiquement la même que dans l’Atlantique, témoigne de son engagement envers la région. Le modèle de sécurité élargi du Japon qui offre une assistance officielle en matière de sécurité à l’ANASE, notamment de l’équipement et un renforcement des capacités, pourrait inspirer des initiatives canadiennes semblables.
Ces ambassadeurs estiment que leur rôle est d’aider le Canada à choisir la meilleure façon d’établir des partenariats bilatéraux et multilatéraux en Asie, notamment en tant que partenaire de dialogue avec l’ANASE. Ils peuvent également aider le Canada à comprendre la nature distinctive de l’ANASE. Ils ont demandé la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’ANASE et le Canada cette année et ils appuient l’inclusion complète du Canada dans les réunions élargies des ministres de la Défense de l’ANASE et le sommet de l’Asie de l’Est.
Les ambassadeurs ont également cerné des menaces croissantes, comme les bouleversements technologiques, la fragmentation économique et les guerres tarifaires. Ils ont réclamé une plus vaste coopération internationale pour préserver l’autonomie stratégique de l’ANASE. La manière dont l’ANASE a réagi aux barrières tarifaires des États-Unis, en faisant preuve de retenue et en privilégiant la voie diplomatique, illustre bien cette approche.
En accueillant le Sommet des dirigeants du G7, le Canada a l’occasion d’affirmer son leadership. Au cours des réunions à venir, les pays asiatiques seront à l’affût de tout indice d’engagement de la part du Canada envers la paix mondiale, la stabilité économique ainsi que le maintien de la suprématie du droit et de l’ordre fondé sur des règles.
En conclusion, le symposium a fait ressortir l’urgent besoin d’une coopération plus étroite et soutenue entre le Canada et l’ANASE en cette période d’incertitudes géopolitiques croissantes. Ce qui se produit dans l’Indo-Pacifique façonne les tendances à l’échelle mondiale et a des répercussions sur la sécurité nationale au Canada. Dans le contexte d’un nouveau gouvernement au pouvoir, le symposium a permis d’offrir en temps opportun de nombreux points de vue différents de responsables, d’universitaires et de diplomates. Ils ont accueilli favorablement la perspective d’un troisième symposium sur la coopération en matière de sécurité entre le Canada et l’ANASE en 2026.
Julia G. Bentley est membre émérite de la Fondation Asie Pacifique du Canada et associée de recherche externe du York Centre for Asian Research. Elle a rédigé ce résumé en collaboration avec Julie Nguyen, présidente du programme Initiatives Canada-ANASE à l’Université York, avec qui elle a coorganisé le symposium. Sophia Leung, conseillère auprès de ce même programme, a également formulé des commentaires.