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Festival du film taïwanais de Vancouver 2023 : Small Talk (« La causette ») (Critique)

Synopsis

Small Talk (日常生活) est un portrait profondément cru et intime du voyage de la réalisatrice Huang Hui-chen pour démêler le personnage énigmatique de sa mère émotionnellement distante, A-nu, une prêtresse taoïste lesbienne de la campagne taïwanaise. Vivant sous le même toit mais communiquant à peine depuis des décennies, Hui-chen et A-nu sont essentiellement des étrangers. Hui-chen, obligée de rompre le silence après être devenue elle-même mère, prend une caméra et le résultat est une interrogation sans complaisance sur la dynamique complexe de leur relation distante, infligée par l’ordre patriarcal traditionnel de Taïwan.  


La violence du patriarcat social et la complicité silencieuse

À travers une série de conversations intimes et souvent conflictuelles entre Hui-chen et Ah-nu, ainsi que les échanges de Hui-chen avec les parents et les ex-amants de A-nu, les révélations réticentes de A-nu sur son passé émergent peu à peu. Small Talk, qui se déroule dans des espaces domestiques, soulève de profondes questions sur l’ancienne génération de personnes LGBTQ+ à Taïwan et sur le coût incalculable de la survie dans une société patriarcale et hétéronormative.

Même si elle a ressenti une attirance pour le même sexe dès son plus jeune âge, A-nu a subi un mariage arrangé abusif avec un homme violent et accro au jeu, dont elle s’est échappée des années plus tard avec ses deux jeunes filles. Cependant, pour assumer son identité lesbienne, tout en la dissimulant aux autres, elle laissait souvent ses enfants seuls à la maison pendant qu’elle avait des rendez-vous avec sa petite amie. Ces expériences ont amené Hui-chen à grandir en se demandant si sa mère l’aimait, ce qui lui a laissé un sentiment d’abandon et d’éloignement.

Small Talk movie still
Photo fournie par TWFF 

Les répercussions persistantes de leur relation tendue sont évidentes dans la réticence d’A-nu à établir un contact visuel pendant le tournage, dans son incapacité à reconnaître sa fille et sa petite-fille lorsqu’elle rentre chez elle, et dans les silences déconcertants qui ponctuent leurs conversations. Ces manifestations de silence et de déconnexion émotionnelle sont enracinées dans les familles chinoises traditionnelles et dans le besoin perçu de maintenir une façade de bienséance et de réprimer son vrai soi.

Le silence est particulièrement étonnant lorsqu’il s’agit de conversations sur la sexualité. Lorsqu’ils sont interrogés sur la sexualité d’A-nu, ses frères et sœurs affirment ne pas être au courant, mais réagissent sans surprise, ce qui dénote une sorte de complicité silencieuse. La révélation la plus troublante survient lorsque Hui-chen révèle à Ah-nu que son père a abusé d’elle sexuellement lorsqu’elle était enfant. En réponse, A-nu nie de manière hésitante mais insouciante être au courant, n’offrant aucune consolation à sa fille en larmes.

Enclave de la liberté et du nouvel espoir

Les entretiens avec les anciens amants d’Ah-nu donnent un bref aperçu du bonheur expressif en dehors des normes patriarcales étouffantes de l’île. Dans ses relations avec les femmes, Ah-nu trouve un sentiment de libération et de pouvoir qui lui aurait été refusé en tant que lesbienne. Elle a poursuivi ses partenaires avec ingéniosité, les charmant avec des mots doux, les surprenant avec des cadeaux et des promesses audacieuses, et a gagné de nombreux admirateurs qui ne pouvaient s’empêcher de rire en se remémorant leur romance passée. Ce contraste frappant avec son comportement réservé avec la famille montre à quel point les contraintes patriarcales et les normes sexuelles ont segmenté l’identité d’A-nu, ne lui permettant de vivre sa sexualité et sa personnalité qu’à l’extérieur de la « maison ».

Néanmoins, Small Talk présente également une lueur d’espoir. Le film laisse entendre que les changements sociaux provoqués par des décennies de mouvements LGBTQ+ à Taïwan pourraient favoriser une plus grande liberté et une meilleure acceptation. La nièce aînée de Huang, qui soutient explicitement le mariage homosexuel, représente une nouvelle génération plus ouverte d’esprit et qui accepte la diversité des identités.

En présentant des drames interpersonnels sincères qui se déroulent dans une atmosphère d’émotions contradictoires, Small Talk invite à réfléchir sur les traumatismes enfouis de génération en génération dans des systèmes culturels qui privilégient le silence plutôt que l’ouverture d’esprit. Mais surtout, le film dépeint la réconciliation comme un processus continu qui exige le courage d’affronter des histoires douloureuses et de reconstruire des liens brisés.

 

À propos du Festival du film taïwanais de Vancouver

Le Festival du film taïwanais de Vancouver (TWFF) est une initiative artistique et culturelle annuelle à but non lucratif lancée en 2007. Au fil des ans, il a été bien accueilli par le public de la région métropolitaine de Vancouver et est devenu le plus grand festival de films axés sur le cinéma taïwanais en Amérique du Nord.

Au cours des 16 dernières années, le TWFF a présenté plus de 100 films taïwanais et invité de nombreux cinéastes et réalisateurs à Vancouver, soutenant ainsi le multiculturalisme au Canada et jetant un pont entre l’art du cinéma taïwanais et le public canadien.

La FAP Canada a reçu des billets promotionnels gratuits pour le TWFF afin de soutenir la mission de la Fondation qui est de promouvoir la sensibilisation mutuelle et la compréhension des cultures asiatiques.

Karen Hui

Karen Hui est Chercheuse-boursière au sein de l'équipe de la Grande Chine de la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Titulaire d'une maîtrise en sociologie de l'Université chinoise de Hong Kong, elle se spécialise dans la recherche politique et universitaire liée au développement social sous des angles critiques, en particulier le travail, les mouvements sociaux, la santé publique et la chaîne d'approvisionnement.

Despite De-risking, China’s Role in Global Smartphone Supply Chains Remains Resilient