Le 31 mai, Pete Hegseth, secrétaire américain à la Défense, a décrit l’Indo-Pacifique comme le « théâtre prioritaire » des États-Unis et a souligné l’importance de la collaboration d’États partageant les mêmes idées dans la région pour contrer les menaces communes, en particulier la Chine. M. Hegseth a souligné que, pour dissuader la Chine de projeter sa puissance, notamment envers Taïwan, il faudrait une répartition plus étendue et collaborative des rôles et des responsabilités entre alliés et partenaires. Dans le cadre de leur politique de « flexibilité stratégique », les États-Unis ont commencé à demander à leurs alliés non seulement d’augmenter les dépenses en défense, mais aussi d’assumer davantage de responsabilités pour dissuader la Chine. Taïwan pourrait être un test décisif à cet égard.
Aucun pays n’est plus vital dans cette entreprise que le Japon, allié de longue date des États-Unis et hôte du plus grand déploiement de troupes américaines au monde. Au cours des dernières années, le Japon s’est joint aux États-Unis pour lancer de nouvelles initiatives politiques et de rhétorique qui témoignent d’un engagement plus ferme pour la défense de Taïwan. Toutefois, une dissuasion efficace dépend également de la coopération d’autres alliés clés tels que l’Australie, les Philippines et la Corée du Sud. La Corée du Sud, qui abrite le deuxième déploiement de troupes américaines en importance dans la région, a adopté une position plus réservée à l’égard de Taïwan.
Les attentes croissantes de Washington envers ses alliés pour en faire plus vis-à-vis de Taïwan présentent une ouverture stratégique pour le Canada, qui cherche à approfondir son engagement militaire et naval dans la région dans le cadre de sa stratégie pour l’Indo-Pacifique. Le Canada devra suivre de près l’évolution des initiatives politiques du Japon et de la Corée du Sud et les débats nationaux sur le partage du fardeau de l’alliance, les changements apportés au déploiement des troupes et la restructuration du commandement. Cette approche aidera le Canada à déterminer où il peut contribuer le plus efficacement et maximisera l’influence d’Ottawa en tant que partie prenante et défenseur sérieux de l’ordre fondé sur des règles dans la région indo-pacifique.
Le Japon mène sur Taïwan
Depuis 2021, le Japon a renforcé son rôle d’allié principal des États-Unis dans la région indo-pacifique, augmentant progressivement son engagement en faveur de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan, alors que la position de la Chine à l’égard de Taïwan et des eaux environnantes devient plus agressive. Une déclaration commune en particulier, publiée en avril 2021, a été un moment charnière, marquant la première fois que les États-Unis et le Japon ont publiquement affirmé leur engagement pour la paix dans le détroit de Taïwan. La missive démontrait un changement notable dans la rhétorique du Japon à l’égard de Taïwan et signalait l’alignement politique avec les États-Unis. Dans sa mise à jour de 2022 de trois documents fondamentaux liés à la défense – la Stratégie de sécurité nationale du pays, sa Stratégie de défense nationale et son Programme de renforcement de la défense – le Japon a indiqué explicitement la Chine comme son plus grand défi stratégique.
Pour s’adapter à son changement rhétorique, le Japon a également mis en place de nouvelles politiques, telles que l’amélioration de la posture de la force sur les îles Nansei, une chaîne critique d’îles japonaises s’étendant du Japon à Taïwan en mer de Chine orientale. En 2023, le Japon a établi une nouvelle base militaire à Ishigaki et prévoit d’y déployer des unités de guerre électronique d’ici 2026, dans le but de combler le « déficit de préparation » et de renforcer la dissuasion près de Taïwan. En septembre 2024, un destroyer de la Force maritime d’autodéfense (MSDF) japonaise a effectué le tout premier transit du Japon dans le détroit de Taïwan, soulignant l’engagement du pays à maintenir des voies navigables internationales ouvertes et à dissuader l’agression chinoise.
À l’échelle nationale, le Japon a renforcé l’intégration de sa défense à celle des États-Unis, notamment en créant le premier commandement unifié des opérations conjointes pour ses forces d’autodéfense en mars 2025. Ces efforts permettront aux États-Unis et au Japon de coordonner plus étroitement la planification opérationnelle liée à Taïwan, y compris les scénarios d’urgence conjoints et le déploiement de missiles sur les îles du Sud-Ouest du Japon.
Tokyo a également proposé à la Maison-Blanche un « théâtre unique », qui intégrerait la mer de Chine orientale, la mer de Chine méridionale et la péninsule coréenne en un seul théâtre opérationnel en temps de guerre. Cette décision irait à l’encontre de la perception du président américain Donald Trump, selon laquelle le Japon est un bénéficiaire libre et passif, et positionnerait plutôt le pays comme un partenaire proactif et indispensable. En évitant soigneusement le partage du fardeau de l’alliance dans les négociations tarifaires, tout en faisant des suggestions audacieuses sur la façon dont le Japon peut aider proactivement les États-Unis à Taïwan, le Japon a fait part de son intention d’isoler la coopération en matière de sécurité des tensions commerciales bilatérales.
La Corée du Sud offre son soutien rhétorique, mais reste prudente
La Corée du Sud a commencé à exprimer son soutien à Taïwan à peu près en même temps que le Japon, publiant une déclaration commune en mai 2021 avec les États-Unis. Il s’agissait de la première fois qu’une déclaration commune entre les États-Unis et la Corée du Sud faisait référence à Taïwan depuis que Séoul a rompu ses liens diplomatiques officiels avec Taïwan au profit de Beijing en 1992. Taïwan a de nouveau été considéré comme essentiel à la sécurité régionale dans la stratégie. L’importance de l’île a été réaffirmée lors du sommet États-Unis–Corée du Sud d’avril 2023, sous l’ancien président Yoon Suk Yeol.
Contrairement au Japon, cependant, le changement rhétorique de la Corée du Sud ne s’est pas traduit par un changement significatif de politique. Même si Séoul s’est jointe aux États-Unis et au Japon pour mentionner à plusieurs reprises l’importance de la sauvegarde du détroit de Taïwan lors des sommets trilatéraux États-Unis–Japon–Corée en août 2023 et novembre 2024, Séoul reste prudent. La Corée du Sud, par exemple, n’a pas procédé à des transits navals annoncés publiquement dans le détroit de Taïwan et n’a pas dévoilé de plan d’urgence concret en cas de conflit taïwanais, comme le Japon l’a fait au cours des derniers mois.
Cette réserve découle de la préoccupation de la Corée du Sud quant à la provocation de la Chine. Séoul se méfie de créer une « situation à deux fronts », où elle devrait gérer les tensions à la fois avec la Corée du Nord et la Chine. En outre, elle craint qu’un nouvel accent des États-Unis sur la lutte contre la Chine à Taïwan ne détourne les ressources de dissuasion de la Corée du Nord, la menace la plus pressante de la Corée du Sud. Les renseignements selon lesquels les États-Unis pourraient envisager de retirer plus de 4 000 de leurs 28 500 soldats stationnés en Corée du Sud n’ont fait qu’exacerber l’anxiété de la Corée du Sud. Bien que la probabilité d’un retrait complet des troupes américaines soit infime à court terme, la Corée du Sud craint que tout transfert visible de ressources américaines qui donne la priorité à Taïwan ne soit considéré comme le signe d’une alliance plus faible entre les États-Unis et la Corée du Sud, ce qui enhardit Pyongyang. Cela est d’autant plus vrai que le président sud-coréen nouvellement élu, Lee Jae-myung, a fait campagne pour le retour du contrôle opérationnel en temps de guerre. (Actuellement, les États-Unis ont autorité sur les forces sud-coréennes si la guerre éclate; si le contrôle est transféré en Corée du Sud, le commandant sud-coréen obtiendra de nouveaux pouvoirs décisionnels en temps de guerre, ce qui pourrait être interprété comme une atteinte à la cohésion de l’alliance.)
Une occasion de « minilatéralisme »
Depuis 2022, le Canada s’exprime de plus en plus sur l’importance du maintien de la stabilité dans le détroit de Taïwan et souligne dans sa stratégie pour l’Indo-Pacifique la nécessité de repousser les actions menaçant le statu quo. Le Canada a également un intérêt économique à préserver la stabilité de l’autre côté du détroit de Taïwan; les nouvelles exportations de gaz naturel liquéfié du Canada vers l’Asie du Nord-Est et sa dépendance aux routes commerciales maritimes ininterrompues font de la sécurité de Taïwan une préoccupation nationale.
Alors que le Canada assure la présidence du G7 en 2025, il devrait continuer à publier des déclarations communes condamnant les provocations de la Chine contre Taïwan et commencer à demander la participation de Taïwan à des initiatives économiques régionales telles que l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Le Canada pourrait aussi attirer davantage l’attention sur ses transits navals autour de Taïwan, rappelant ainsi à ses partenaires régionaux comme à ses concurrents la présence forte du pays dans la région indo-pacifique.
Avec l’intensification des initiatives militaires de la Chine et la volonté des États-Unis de remodeler leur position de force dans la région, le Canada a également l’occasion de renforcer sa présence physique dans le détroit de Taïwan en travaillant avec ses partenaires de l’Indo-Pacifique, en particulier le Japon, ainsi que l’Australie, la Corée du Sud et les Philippines.
Alors que les États-Unis exigent des engagements préalables de la part de leurs alliés pour dissuader la Chine, ces États – dont certains sont membres d’initiatives de sécurité régionale comme le « Quad », le « Squad » et l’AUKUS – cherchent à intensifier un front de sécurité collectif à Taïwan. Par exemple, les Philippines soutiennent officiellement la proposition japonaise d’un « théâtre unique », qui, avec la récente signature de l’accord révolutionnaire d’accès réciproque des deux États, indique un rapprochement plus étroit entre les Philippines et le Japon.
Le Canada devrait se joindre à ce minilatéralisme croissant à l’égard de Taïwan, en commençant par participer davantage aux exercices militaires conjoints dans la région. À l’instar de son rôle amélioré dans les exercices Keen Sword menés par les États-Unis et le Japon, le Canada pourrait également demander le statut de membre actif dans d’autres exercices navals multilatéraux et militaires dans la région, comme Freedom Edge (auquel le Canada n’est pas encore participant) et le Balikatan (auquel le Canada est observateur), afin d’améliorer l’interopérabilité et de renforcer les capacités d’intervention d’urgence avec des partenaires partageant les mêmes idées. Cela permettrait au Canada de procéder à des exercices conjoints à grande échelle, comme il l’a fait récemment avec l’Australie, lorsqu’il a lancé son plus grand déploiement de forces pour participer au principal exercice militaire de l’Australie.
Le Canada peut également envisager de négocier un accord bilatéral d’échange de renseignements avec les Philippines et la Corée du Sud, comme il l’a récemment fait avec le Japon. Il pourrait aussi établir un groupe de travail sur la planification des mesures d’urgence à Taïwan avec le Japon et les Philippines, deux États qui ont formulé de tels plans. La normalisation lente des activités navales conjointes, comme la reprise des exercices conjoints en mer Jaune, semblable à celui de 2023, pourrait constituer un point de départ pour la collaboration entre le Canada et la Corée du Sud.