La condamnation de Lai marque le dernier coup porté au cadre « un pays, deux systèmes » de Hong Kong

People await Lai verdict outside Hong Kong court
Des personnes font la queue pour assister au procès de Jimmy Lai pour atteinte à la sécurité nationale, le 15 décembre 2025, à Hong Kong. | Photo : Keith Tsuji/Getty Images

À retenir

Le 15 décembre, Jimmy Lai, l’une des principales voix du mouvement pro-démocratique de Hong Kong et un influent magnat des médias (et hôtelier ontarien), a été reconnu coupable de collusion avec des forces étrangères en vertu de la Loi sur la sécurité nationale (LSN) imposée par Beijing et d’une loi qui date de l’ère coloniale, et d’avoir commis des actes de sédition. Cette décision, loin d’être un gage de la poursuite des « affaires courantes » à Hong Kong, renforce les inquiétudes quant à l’érosion de l’indépendance judiciaire de la Ville, protégée par le cadre « un pays, deux systèmes ».

En bref

  • À l’issue d’un procès de 156 jours qui a débuté en 2023, Jimmy Lai, fondateur des journaux pro-démocratiques Apple Daily et Next Magazine, aujourd’hui dissous, a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation de conspiration avec des forces étrangères et d’un chef d’accusation de sédition. Trois juges ont présidé son procès au plus haut tribunal de Hong Kong.

  • Les chefs d’accusation reposaient sur une loi sur la sédition datant de l’époque coloniale, contenue dans l’Ordonnance sur les crimes de Hong Kong, et sur la controversée Loi sur la sécurité nationale imposée à Hong Kong le 30 juin 2020. Le gouvernement populaire central de la Chine a adopté la LSN pour réprimer les manifestations politiques à l’échelle de la ville qui ont commencé en 2019. 

  • Alors que des centaines de personnes ont été arrêtées et des douzaines condamnées en vertu de la LSN et de la loi sur la sédition qui a été réinstaurée, il s’agit de la première affaire portant sur le crime de collusion. 

  • M. Lai, âgé de 78 ans et citoyen britannique, est en détention depuis décembre 2020. La sentence devrait être prononcée en janvier 2026; il risque la prison à vie.

Les conséquences

Lorsque la souveraineté de Hong Kong a été transférée du gouvernement britannique à la République populaire de Chine en 1997, la Ville s’est vu promettre un haut degré d’autonomie, y compris des systèmes juridiques et économiques distincts. Toutefois, la condamnation de M. Lai renforce les préoccupations de longue date, y compris celles exprimées par le Canada, concernant l’érosion du cadre « un pays, deux systèmes » ainsi que les droits et les institutions qu’il était censé protéger. Il est raisonnable et attendu que les pays prennent des mesures pour protéger la sécurité nationale. Mais les restrictions des droits, en particulier la liberté d’expression, doivent être légales, nécessaires et proportionnées, en plus d’être mises en œuvre par les moyens les moins intrusifs possible. Il est surprenant, alors qu’elle examine pour la première fois la collusion dans le cadre de la LSN – une accusation qui touche directement les libertés d’association et d’expression – que la cour n’offre aucune analyse, dans sa décision de 855 pages, sur la manière d’atteindre cet équilibre. Ces inquiétudes sont aggravées par le fait que le tribunal considère les activités journalistiques quotidiennes, les articles sur l’attribution de prix, la réimpression de discours et les listes de sanctions provenant d’autres médias comme des preuves d’incitation à la haine. De plus, malgré les assurances répétées que M. Lai n’a pas été poursuivi pour ses convictions politiques, près du tiers du jugement se concentre sur l’analyse de ses positions politiques, révélant des tensions dans l’intention et le raisonnement déclarés de la cour.

Le gouvernement de Hong Kong s’est engagé à ce que la LSN ne soit pas rétrospective (c.-à-d. qu’elle ne criminalise pas un comportement qui n’était pas criminel avant l’adoption de la loi), et le tribunal a déclaré à plusieurs reprises que M. Lai n’avait pas été jugé pour ses actions antérieures à la LSN. Néanmoins, une grande partie du jugement est axée sur les actions de M. Lai avant le 30 juin 2020. Un tel raisonnement fait craindre que la loi soit, dans la pratique, appliquée de manière rétrospective, ce qui s’écarte clairement des principes de common law et des engagements pris par le gouvernement.

La classification de la collusion comme un « crime d’action » plutôt que comme un résultat, comme indiqué au paragraphe 59 de la décision, associée à l’absence de définition des activités « hostiles », donne aux tribunaux un large pouvoir discrétionnaire pour criminaliser des comportements passibles de peines pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie. Combiné à la priorité accordée par la cour aux répercussions économiques potentielles (plutôt que réelles) en tant que menaces pour la sécurité nationale, l’arrêt augmente le risque pour les entreprises dont les activités peuvent avoir une incidence sur l’économie de Hong Kong. Cette approche est en contradiction avec les assurances données par le gouvernement selon lesquelles la LSN n’empêcherait pas les communications entre un résident de Hong Kong et d’autres personnes à l’étranger.

La condamnation de M. Lai se traduit par une incertitude juridique accrue, lourde de conséquences pour l’expression politique, la défense des intérêts et l’activité économique transfrontalière impliquant Hong Kong. Malgré les efforts déployés par Hong Kong pour qualifier ces événements d’« affaires courantes », le système de la Ville semble se rapprocher de celui de la République populaire de Chine. Il subsiste une prévisibilité relative pour les affaires purement commerciales, mais les dossiers touchant à des questions sensibles sur le plan politique sont détournés vers un processus discrétionnaire et sécurisé qui s’écarte du discours de l’indépendance judiciaire de Hong Kong.

Prochaines étapes :

  1. Les chances de M. Lai

S’il est probable que M. Lai fasse appel de la décision, ses chances de succès sont limitées. Les conclusions de fait sont rarement annulées en appel, et les juges qui examinent les affaires relevant de la LSN disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire. 

  1. Le verdict pourrait rompre les liens entre la Chine et l’Occident

Ce verdict constituera un test pour les relations diplomatiques de la Chine. Le 17 décembre, les membres du G7 ont publié une déclaration commune condamnant le verdict et exprimant leur inquiétude quant à la détérioration des droits et des libertés à Hong Kong. La condamnation antérieure des persécutions politiques de M. Lai et les appels à sa libération lancés par le gouvernement canadien ont été critiqués par l’ambassade de Chine à Ottawa, qui les a qualifiés d’irresponsables et les considère comme de l’ingérence dans les affaires intérieures de la Chine.

  1. Gestion des risques

Les organisations qui poursuivent leurs activités à Hong Kong doivent être vigilantes et s’adapter à l’approche plus restrictive de Hong Kong en matière d’expression et de partage de renseignements, tout en veillant à la protection des documents de nature délicate.

Elizabeth Donkervoort

Elizabeth Donkervoort is the Senior Advisor, China Programs for the Asia Pacific Foundation of Canada. She holds a JD and a Master of Asia Pacific Policy Studies from the University of British Columbia and specializes in legal and institutional policy analysis of governance, security, and regulatory frameworks, with attention to rights-protective safeguards, emerging technologies, and real-world governance implications in People's Republic of China-related and comparative contexts.