Canada and Taiwan flags combined

Le dilemme du Canada vis-à-vis Taïwan

Alors que la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen rentre chez elle après sa première escale aux États-Unis depuis l'émergence de la COVID-19, les tensions dans le détroit de Taïwan continuent de monter. Après la rencontre de Tsai avec des membres éminents du Congrès américain, dont le président de la Chambre des représentants Kevin McCarthy, Pékin a réagi en organisant plusieurs jours d'exercices militaires autour de l'île. Cette dynamique dangereuse et répétitive — dans laquelle un soutien accru ou un engagement diplomatique avec Taïwan entraîne une réaction de la part de Pékin — a fait de la gestion de la question de Taïwan l'un des défis internationaux les plus épineux et les plus importants pour les responsables politiques concernés dans le monde entier.

Pendant des années, le Canada, tout comme les États-Unis et la plupart des autres pays, a abordé Taïwan sous l’angle de la « politique d’une seule Chine » (One China Policy ou OCP abrégé en anglais) et ses contraintes. Conformément à cette politique, Ottawa entretient des relations diplomatiques officielles avec la seule République populaire de Chine et ne mène qu’une diplomatie informelle limitée avec Taipei. 

Aujourd’hui, cette OCP persiste. Cependant, comme l'optimisme des Canadiens à l'égard de relations étroites avec la RPC s'est estompé et que le mode de vie de Taïwan est de plus en plus menacé, des commentateurs ont fait valoir que l'approche historique et extrêmement prudente d'Ottawa vis-à-vis de l'OCP n'est pas en phase avec les priorités des Canadiens et les conditions dans le détroit de Taïwan. Ottawa semble de plus en plus conscient de cette asymétrie et a commencé à adapter progressivement son approche. 

Ces adaptations sont justifiées. En effet, Ottawa peut s'engager davantage auprès de Taïwan. Toute-fois, la modération est de mise car Ottawa doit décider jusqu'où il ira. Bien qu'il s'agisse toujours d'un compromis difficile, la logique derrière l'OCP reste intacte, même si elle a été affaiblie par la trajectoire de la RPC. Il est tout aussi important que le Canada reste prudent dans ses actions afin de contribuer positivement à la stabilité dans le détroit de Taïwan. Pour ce faire, il devra s'engager de manière réfléchie afin d'accroître la résilience de Taïwan tout en conciliant les multiples objectifs de la politique étrangère du Canada.

La politique d’une seule Chine 

L'OCP du Canada date de 1970, lorsque le Canada a transféré ses relations diplomatiques de Taipei à Pékin. Comme l'a récemment rappelé Bernie Frolic, spécialiste chevronné de la Chine, Ottawa n'a pas reconnu la souveraineté de la RPC sur Taïwan lorsqu'il a négocié ce changement avec Pékin. En revanche, Ottawa a « pris note » de la position de la RPC selon laquelle Taïwan fait partie « d'une seule Chine » et a accepté de reconnaître Pékin comme le seul représentant de la « Chine » dans les affaires internationales. 

Depuis lors, Ottawa a mené une diplomatie informelle avec Taïwan, mais l'engagement du Canada a été limité et prudent. Par exemple, lorsque le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney a ouvert un bureau commercial à Taïwan en 1986, le Canada a veillé à ne pas donner l'impression que le pays menait une diplomatie directe entre États avec Taïwan. Le bureau a été ouvert, mais son nom était à la fois non officiel, faisant référence à la Chambre de commerce du Canada, et intranational, faisant référence uniquement à Taipei et non à Taïwan. 

Même le gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui est arrivé au pouvoir en 2006, prêt à tourner le dos à Pékin et à montrer son affinité avec une Taïwan récemment démocratisée, n'a pas dérogé aux pratiques antérieures. Les visites parlementaires sur l'île se sont multipliées et Ottawa a continué à soutenir la participation non étatique de Taïwan à des organismes internationaux techniques tels que l'Assemblée mondiale de la Santé. Mais à mesure que les relations avec Pékin se sont améliorées, le gouvernement de M. Harper a changé de ton. Le fait le plus frappant est qu'Ottawa a réaffirmé l'OCP du Canada lors de la visite de M. Harper à Pékin en 2009. Cette action a refroidi les espoirs d'un petit contingent de députés conservateurs qui avaient publiquement plaidé en faveur d'un plus grand soutien à l'indépendance de Taïwan avant que les conservateurs ne forment le gouvernement.

Aujourd'hui, l'OCP reste un pilier de la politique étrangère canadienne, mais certains signes montrent qu'Ottawa cherche à approfondir stratégiquement son engagement avec Taïwan tout en évitant prudemment de prendre des mesures déstabilisantes. En février 2023, la ministre canadienne du Commerce, Mary Ng, s'est entretenue avec son homologue taïwanaise pour lancer des négociations officielles sur un Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE). Cet événement est important non seulement en raison des avantages économiques qui pourraient découler de ce possible accord, mais aussi parce qu'il indique que le gouvernement de Justin Trudeau est de plus en plus ouvert aux réunions de haut niveau pour discuter des échanges économiques au niveau ministériel. En outre, Taipei a récemment annoncé l'ouverture d'un quatrième bureau de représentation au Canada, à Montréal, probablement avec l'accord d'Ottawa. 

Sur le plan militaire, la marine canadienne continue de transiter périodiquement dans le détroit de Taïwan, avec l’encouragement public du ministre taïwanais des Affaires étrangères. De même, en août 2022, le Canada a réagi avec d'autres pays du G7 aux actions agressives de la RPC à l'égard de Taïwan à la suite de la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis à l'époque.

Ainsi, alors que l'OCP du Canada reste en place, les débats sur le contenu de l'engagement du Canada avec Taïwan ont récemment été rouverts au niveau politique. Cette évolution soulève la question suivante : Dans quelle mesure le Canada doit-il ajuster son approche à mesure que les risques de l'inaction et d'une action irréfléchie sont plus évidents ?

Exigences d'un plus grand engagement avec Taïwan 

Le mécontentement suscité par l'approche du Canada à l'égard de Taïwan n'est pas nouveau. Dès l'ère Pierre Elliott Trudeau, Ottawa a été fortement critiqué, tant au niveau national qu'international, pour son refus d'autoriser les athlètes taïwanais à participer aux Jeux olympiques de Montréal en 1976 sous le nom de « République de Chine ». 

Plusieurs parlementaires ont également fait pression pour qu'Ottawa adapte ses pratiques dans le cadre de l'OCP. Par exemple, en mars 2023, le Comité parlementaire spécial sur les relations entre le Canada et la Chine a formulé des recommandations visant à renforcer l'engagement du Canada envers Taïwan, notamment en encourageant les délégations parlementaires, en déclarant son soutien à l'autodétermination de Taïwan et en resserrant les liens commerciaux. En remontant plus loin dans le temps, de nombreuses propositions de loi d'initiative parlementaire ont également tenté, en vain, de forcer la main de l'exécutif canadien à l'égard de Taïwan. Plus récemment, un projet de loi datant de 2021 a proposé, sans succès, diverses réformes visant à rapprocher le Canada du traitement formel de Taïwan en tant qu'État souverain. Il s'agissait notamment de donner à Taïwan les capacités et immunités accordées aux États reconnus dans les tribunaux canadiens et d'autoriser les bureaux de représentation de Taipei au Canada à changer leur dénomination intranationale pour faire référence au « Bureau de représentation de Taïwan ».

Ces dernières années, les groupes de réflexion et les journaux canadiens ont également publié des articles exhortant le gouvernement à s'engager davantage auprès de Taïwan. S'il est vrai que la plupart de ces articles sont suffisamment prudents pour plaider en faveur de changements dans les limites de l'OCP du Canada, ils varient dans leur retenue. Par exemple, un article de 2018 exhorte le Canada à « réévaluer la sagesse de s'en tenir à sa politique rigide d'une seule Chine et à la prudence dont il fait preuve depuis des décennies sur tous les aspects de sa relation, très limitée, avec Taïwan ». Des commentateurs plus audacieux, comme Andrew Coyne du Globe and Mail, estiment que le Canada devrait « reconnaître l'indépendance de Taïwan » et soutenir sa participation aux organisations internationales, ou évoluer progressivement vers une reconnaissance de Taïwan. 

D'autres auteurs plaident en faveur du projet de loi d'initiative parlementaire de 2021 mentionné ci-dessus ou d'une loi sur les relations entre le Canada et Taïwan sur le modèle de la loi américaine que le Congrès a adoptée en 1979 pour soutenir Taïwan en réponse à la décision de la Maison Blanche de rompre les relations diplomatiques avec Pékin cette annéelà.

Les commentateurs préconisent aussi régulièrement des mesures moins radicales, telles que l'intensification des échanges commerciaux et autres échanges diplomatiques. Toutefois, ils ont souvent l'impression que d'autres mesures devraient être envisagées. Par exemple, un commentateur qui conseille généralement la retenue, suggère que « des situations pourraient se présenter » où la reconnaissance pourrait être la « meilleure stratégie pour prévenir la guerre ».

Une grande partie de ces commentaires semble appeler le Canada à s’engager avec Taïwan « en fonction de ses propres mérites », ce qui semble isoler les politiques à l’égard de Taïwan des préoccupations concernant les réactions de Pékin. Beaucoup vont même plus loin et insinuent, ou déclarent expressément, qu'Ottawa a limité son engagement avec Taïwan par apaisement ou par déférence à l'égard des préférences de Pékin, et que cette déférence doit cesser. 

Pourquoi approfondir l'engagement avec Taïwan ?

Ces acteurs ont raison de dire qu'il existe des arguments convaincants en faveur d'un renforcement de l'engagement du Canada à l'égard de Taïwan. 

Tout d'abord, le Canada entretient avec Taïwan des relations commerciales bilatérales précieuses que les deux parties gagneraient à développer. De plus, en tant que sociétés démocratiques et technologiquement avancées, le Canada et Taïwan peuvent apprendre l'un de l'autre dans divers domaines, notamment la prévention des maladies, les technologies de pointe, la résilience démocratique, les droits de l'homme et la réconciliation avec les populations autochtones. De nombreux Canadiens voient également leurs valeurs reflétées dans la société taïwanaise, ce qui contribue aux affinités canadiennes pour Taïwan et au soutien parlementaire. 

Deuxièmement, la RPC a changé. Le président de la RPC, Xi Jinping, a inversé la trajectoire de l’ère de réforme de la RPC. Il a redoublé l’autoritarisme à l’intérieur du pays et mène une politique étrangère effrontée à l’étranger. Les exemples dans ce sens sont nombreux : la diplomatie des otages de Pékin, sa loi sur la sécurité nationale pour Hong Kong, la détention massive de Ouïghours et d’autres minorités ethniques dans le Xinjiang, et son partenariat « sans limites » avec la Russie, malgré l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par cette dernière. Ces choix ont ébranlé l'optimisme des Canadiens qui pensaient qu'une ère de relations chaleureuses entre le Canada et la RPC pouvait être en adéquation avec les intérêts et les valeurs du Canada, ouvrant ainsi la voie à un réexamen du degré de priorité accordé aux relations avec la RPC.

Troisièmement et pour finir, la situation difficile de Taïwan a changé. Les relations entre les deux rives du détroit se sont détériorées précipitamment depuis que Pékin a interrompu le dialogue à haut niveau entre les deux parties, à la suite de l'élection en 2016 de l'actuelle présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, du Parti démocrate progressiste (abrégé DPP en anglais), hostile à l'unification du pays. Incapable d'obtenir des concessions rhétoriques de la part de Tsai, Pékin a mené une politique d'intimidation militaire et de guerre psychologique contre Taïwan, en envoyant de plus en plus d'avions et de navires de l'Armée populaire de libération (APL) plus près de l'île et au-delà de la ligne médiane du détroit – une zone tampon non officielle. En outre, la vaste modernisation de l'APL par Xi a changé l'équilibre des forces dans le détroit, rendant de plus en plus instable le statu quo selon lequel Taïwan est gouverné de manière autonome (et démocratique) par Taipei et entretient sa propre armée avec le soutien des ventes d'armes des États-Unis. En réponse, les responsables taïwanais se sont tournés vers des pays comme le Canada avec une urgence accrue, leur demandant de s'engager davantage auprès de l'île afin de montrer que Taïwan ne fait pas cavalier seul. 

Le Canada commence à tenir compte de ces appels, mais les derniers efforts d'Ottawa pour actualiser son approche restent mineurs par rapport à ces circonstances qui évoluent radicalement et aux appels plus profonds au changement décrits ci-dessus. D'autres adaptations proactives, telles qu'un engagement économique accru avec Taïwan, permettraient d'assurer une plus grande cohérence entre la politique et les attitudes canadiennes. De tels ajustements politiques contribueraient également à décourager la coercition militaire dans le détroit de Taïwan, ce qui allégerait la pression sur Taïwan et renforcerait la stabilité du statu quo entre les deux rives du détroit en montrant que Taïwan ne fait pas cavalier seul. De surcroît, les modifications apportées aujourd'hui réduiront la nécessité pour Ottawa de se rattraper dans le brouillard d'une possible crise, ce qui augmentera la probabilité de prendre des décisions raisonnées.

L’importance de la modération

Le défi que doit relever Ottawa en adaptant son approche à l'égard de Taïwan consiste à trouver un équilibre entre les multiples objectifs de la politique étrangère du Canada. 

Malgré les questions soulevées ci-dessus, le Canada a toujours intérêt à entretenir des relations constructives avec Pékin. Les relations étroites au niveau politique national sont de plus en plus hors de portée. Toutefois, la décision initiale du Canada d'entretenir des relations diplomatiques avec Pékin était fondée sur l'acceptation de l'influence de Pékin sur les affaires mondiales et du potentiel de la RPC en tant que partenaire commercial. Même s'il est nécessaire de confronter la RPC sur une longue liste de questions, le calcul selon lequel il est dans l'intérêt du Canada d'engager le dialogue avec la RPC reste valable. 

De plus, les ajustements apportés à l'engagement avec Taïwan doivent se faire en tenant compte de la politique étrangère globale du Canada, et notamment du rôle auquel le Canada aspire dans les affaires mondiales et dans la région indo-pacifique. La nouvelle Stratégie pour l’Indo-Pacifique du Canada indique clairement que cette démarche inclut la revitalisation du rôle du Canada en tant qu'interlocuteur de confiance qui contribuera économiquement et diplomatiquement à la stabilité et à la prospérité de la région. 

Compte tenu de ces objectifs, il est difficile de voir comment des actions qui se rapprochent intentionnellement d'une reconnaissance formelle de Taïwan représentent un équilibre optimal entre ces intérêts. Cela passe par des actions qui indiquent que le Canada s'oriente vers la reconnaissance de Taïwan en tant que pays indépendant de jure, comme le changement de nom des missions diplomatiques ou l'élévation des représentants diplomatiques de Taïwan au rang d'ambassadeurs officiels.

Cela est vrai même si l'on donne la priorité à un engagement accru avec Taïwan. Les Canadiens sont prêts à renoncer à certaines opportunités économiques avec la RPC pour adopter une approche plus respectueuse des principes à l'égard de Taïwan. Cependant, les avantages de cette approche ne peuvent être considérés isolément. 

Plus important encore, il est difficile de dissocier la question du statut international de Taïwan des intérêts du Canada en matière de promotion de la paix et de la stabilité régionales. Pékin insiste sur le fait que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et a les capacités militaires et la volonté apparente de mener une guerre destructrice pour empêcher l'indépendance de Taïwan. De surcroît, Pékin considère de plus en plus que les puissances étrangères, en particulier les États-Unis, tentent de remettre en cause le statu quo entre les deux rives du détroit. Cette perception risque de s’envenimer avec le début des primaires présidentielles américaines et l'intensification de la compétition sur la fermeté à l’égard de la RPC. Les Canadiens peuvent ne pas être d'accord avec le jugement de Pékin, mais ils ne peuvent ignorer que les mesures prises en vue d'une reconnaissance officielle de Taïwan contribueront à cette perception, voire la valideront, rendant ainsi le statu quo de plus en plus instable. 

Les critiques diront que cela revient simplement à s'en remettre aux préférences de la RPC, mais ce n'est pas le cas. L'intégration du risque de conflit dans la matrice de décision du Canada ne valide pas l'acceptabilité morale ou juridique des menaces militaires de Pékin à l'encontre de Taïwan. Au contraire, cela permet de prendre le monde tel qu'il est, en intégrant les effets des réactions possibles de Pékin dans le calcul stratégique du Canada.

En outre, les actions qui vont dans le sens d'une reconnaissance de jure par le Canada anticipent une décision du peuple taïwanais lui-même. Les sondages montrent que les Taïwanais ne sont pas favorables à l'indépendance et qu'ils restent divisés sur la voie à suivre. Il est donc prudent de donner la priorité à des stratégies d'engagement plus souples. Ce constat est d'autant plus vrai que l'approche du DPP à l'égard des relations entre les deux rives du détroit sous la présidence de Tsai, qui a renoncé à des relations plus étroites avec la RPC, pourrait bientôt être remise en cause par l'élection présidentielle de 2024, date à laquelle Tsai, dont le mandat est limité, quittera ses fonctions.

La voie à suivre

Ottawa est donc à la recherche d'une approche intermédiaire qui permette de maintenir l'engagement du Canada dans le cadre de l'OCP tout en approfondissant l'engagement avec Taïwan d'une manière qui améliore le statu quo entre les deux rives du détroit plutôt que de le compromettre. 

Une façon de parvenir à cet équilibre serait d'explorer toutes les possibilités d'approfondir l'engagement avec Taïwan dans le domaine économique. À cet égard, l'ouverture de négociations sur l'APIE est un bon début, mais Ottawa pourrait sans doute revoir ses ambitions à la hausse. Non seulement l'APIE est un accord relativement simple à négocier, mais le long délai (plus d'un an) qui s'est écoulé entre le début des pourparlers préliminaires avec Taipei et l'annonce de négociations complètes laisse entrevoir la possibilité d'accorder une plus grande priorité à la question de Taïwan. Le Canada pourrait également aller plus loin, par exemple en revenant sur son refus antérieur et en déclarant son soutien préliminaire à l'adhésion de Taïwan à l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), comme l'a fait Tokyo, ou en exprimant clairement son intention de négocier un accord commercial bilatéral.

Ces actions montreraient publiquement à la RPC et aux citoyens taïwanais que le Canada a la volonté politique de soutenir Taïwan. Cette mesure contribuerait non seulement à résoudre l'aspect psychologique de la situation délicate de Taïwan, mais aussi à renforcer la résistance de Taïwan face à la coercition économique de Pékin en lui donnant accès au marché canadien. Cette initiative pourrait également encourager d'autres pays à faire de même en montrant l'exemple.

Pékin s'offusquerait probablement de telles actions, mais le risque d'une réaction démesurée de la part de Pékin semble limité par rapport à ces avantages. Contrairement aux actions symboliques allant dans le sens d'une reconnaissance de Taïwan, il existe des justifications économiques légitimes pour ces actions qu'Ottawa pourrait utiliser pour atténuer la nature politique de l'acte et faire comprendre qu'Ottawa ne revoit pas son OCP. Par exemple, étant donné que Taïwan est considéré comme un territoire douanier distinct au sein de l'Organisation mondiale du commerce, d'autres économies sont habilitées à négocier directement avec Taipei par l'intermédiaire de cet organisme international sur des questions telles que la réduction des barrières commerciales. Le Canada pour-rait même étayer son argumentation économique par des exemples concrets des gains réalisés par les exportateurs néo-zélandais après la conclusion d'un accord bilatéral avec Taipei en 2013. Les réactions de la RPC à l'annonce par le Canada de l'ouverture de négociations sur l'APIE n'ont pas non plus été exceptionnelles, ce qui laisse entrevoir une certaine marge de manœuvre. 

La poursuite de l'engagement économique est également compatible avec les avantages comparatifs du Canada. Il est important d'investir dans l'avenir de l'armée canadienne, mais les capacités militaires du Canada ne s'amélioreront pas du jour au lendemain. Aujourd'hui, le Canada est bien placé pour être le chef de file de l'engagement économique, compte tenu de son adhésion au PTPGP, de sa diplomatie économique sophistiquée et de son poids économique en tant que membre du G7.

Cet engagement économique peut également être associé à une politique prospective qui s'interroge sur ce que le Canada peut faire pour soutenir Taïwan en cas de crise aiguë. Pour ce faire, les stratèges politiques devraient étudier comment le Canada peut préparer des réponses aux sanctions et des programmes de prêts pour soutenir la résilience économique de Taipei sous la contrainte militaire. De plus, ils devraient aussi examiner si le projet de loi américain sur la résilience renforcée de Taipei (Taiwan Enhanced Resilience Act), récemment adopté, offre des idées qui répondent aux critères décrits dans le présent document.

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En fin de compte, toute modification de l'engagement du Canada à l'égard de Taïwan impliquera des compromis et des coûts potentiels. Le monde a changé depuis que le Canada a adopté sa politique d’une seule Chine. La politique étrangère canadienne devrait donc évoluer pour refléter cette évolution, et c'est d'ailleurs ce qu'elle fait. Le défi pour les responsables politiques sera de rester conscients des coûts qu’implique l'approfondissement des relations du Canada avec Taïwan, tout en reconnaissant que ce n'est que par des actions suffisamment dissuasives à l'égard de l'agression de Pékin que la communauté internationale pourra renforcer le statu quo dans le détroit de Taïwan et contribuer à la stabilité de la région. 

Dans le même temps, un excès de zèle dans le soutien à Taïwan risque de provoquer une catastrophe, car il saperait la capacité de la communauté internationale à créer un espace politique pour une résolution pacifique et à long terme du conflit entre les deux rives du détroit. En suivant les suggestions formulées ici, nous espérons que les décideurs politiques pourront concevoir une approche actualisée à l’égard de Taïwan qui tienne compte de ces réalités, des capacités du Canada et de la nécessité de faire preuve de souplesse au fur et à mesure que les circonstances dans le détroit continuent d'évoluer.

Les opinions exprimées ici sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de son employeur ou de la Fondation Asie Pacifique du Canada.

D'Arcy White

Avocat de Toronto, D’Arcy a suivi une formation en études chinoises, en économie et en sciences politiques. Dans le cadre de sa pratique juridique, il aide ses clients à surmonter les obstacles réglementaires et administratifs imposés par la Loi sur la concurrence, la Loi sur Investissement Canada et les accords commerciaux du Canada. D’Arcy a récemment terminé une maîtrise en études chinoises contemporaines à l’Université d’Oxford, où il s’est penché en particulier sur l’économie politique chinoise et la diplomatie de Taïwan, à titre de boursier McCall Macbain. Durant ses études de doctorat en droit à l’Université de Toronto, D’Arcy a passé six mois en Chine, à titre de stagiaire dans un cabinet d’avocats de Shanghai et de participant à un programme d’échanges d’étudiants à l’Université Tsinghua.