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Le Japon a besoin de plus de main-d’œuvre. L’immigration est-elle la solution ?

La session parlementaire japonaise de 2023 a débuté avec une déclaration alarmante du premier ministre Kishida Fumio, qui a averti que le Japon était « au bord du dysfonctionnement social » en raison de la baisse rapide du taux de natalité, de la population et de la main-d’œuvre du pays. Un sentiment d’urgence s’est emparé du pays, conduisant le gouvernement central à donner la priorité aux politiques d’éducation des enfants et à redoubler d’efforts pour soutenir l’égalité des femmes et des familles. Une préfecture a même publié la première « déclaration pour surmonter la crise du déclin démographique ».  

Ces politiques reflètent la tendance de longue date du Japon à conserver son identité d’après-guerre en tant que nation ethniquement et culturellement homogène. Des « Womenomics » ou « l’économie des femmes » de feu le premier ministre Abe Shinzo au « Nouveau capitalisme » de M. Kishida, les politiques visant à atténuer le déclin démographique se sont concentrées sur l’exploitation des populations existantes sous-utilisées du pays — notamment les femmes, les jeunes et les adultes plus âgés — et sur les nouvelles technologies. Toutefois, le déclin de la population japonaise et d’autres défis démographiques ne peuvent être résolus uniquement par des politiques sociales insulaires et des interventions robotiques. L’immigration est-elle une solution envisageable ?

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Actuellement, le Japon ne dispose pas d’un système global d’immigration et a historiquement opté pour des politiques d’immigration au coup par coup afin de combler temporairement les lacunes du marché du travail. Contrairement au système d’immigration unifié et cohérent du Canada, les politiques d’immigration officielles du Japon se limitent aux personnes à hauts revenus et sont complétées par des politiques d’immigration « parallèles » pour la main-d’œuvre moins qualifiée et à court terme. Et si le ministère japonais de la Justice est depuis longtemps responsable de l’immigration officielle, l’orientation des politiques migratoires est souvent influencée par de multiples ministères, organismes et entreprises.

Certains experts présentent l’immigration de masse comme une solution de dernière minute à la diminution de la main-d’œuvre japonaise, au vieillissement de la population et à la baisse de la consommation intérieure. Il est également suggéré que le Japon pourrait imiter les pays qui dépendent avec succès de l’immigration, comme le Canada, en visant un afflux annuel d’un million d’immigrants pour contrer le déclin de la population. Le fait que le Japon accorde de plus en plus d’attention aux politiques liées à l’immigration dénote une reconnaissance définitive du besoin croissant du pays en main-d’œuvre étrangère à long terme. Des questions subsistent toutefois quant à la faisabilité structurelle et culturelle de l’intégration et de la rétention du nombre extraordinaire de migrants nécessaires au maintien de la stabilité du marché du travail japonais.

Que disent les chiffres ?

La population du Japon a atteint son maximum en 2010, avec 128,1 millions d’habitants. En 2022, la population était tombée à 125,7 millions d’habitants et devrait tomber à 119,1 millions d’ici à 2030 et à 87 millions d’ici à 2070. La société japonaise est également la plus âgée au monde, avec 28,7 % de la population âgée de plus de 64 ans. Ce chiffre devrait atteindre 38,7 % en 2070. Dans le même temps, le taux de natalité du pays a atteint un niveau historiquement bas en 2022, avec un taux de fécondité de 1,26, et seulement 770 747 naissances en 2022, la première fois que ce chiffre est passé sous la barre des 800 000 depuis 1899. Si la population résidente étrangère a atteint le chiffre record de trois millions de personnes en 2022, la croissance a été progressive, ne représentant que 2,4 % de la population totale l’année dernière.

Ces tendances démographiques mettent à rude épreuve la main-d’œuvre du pays, qui diminue depuis 1993, année où la population en âge de travailler a culminé à 87 millions de personnes. D’ici 2040, on prévoit une pénurie de main d’œuvre de 11 millions de travailleurs. Pour combler ce déficit, le Japon aurait besoin de 647 000 immigrants en âge de travailler par an, un nombre exceptionnellement élevé. Or, il n’y a eu que 115 000 nouveaux migrants en 2018, 138 000 en 2019 et 85 000 en 2020, avec une légère augmentation prévue après le COVID-19.

À titre de comparaison, le Canada, qui dispose d’un système d’attraction et d’intégration des immigrants très développé et de relativement longue date, a enregistré 8,3 millions d’anciens et d’actuels résidents permanents en 2021, soit environ 23 % de la population totale. En 2022, le Canada a accueilli un nombre record de 437 000 résidents permanents et vise à porter ce chiffre à 500 000 d’ici 2025. En outre, 808 000 personnes au Canada détiennent un permis d’études valide, dont 551 000 ont reçu un permis d’études en 2022. Ces chiffres figurent parmi les plus élevés au monde, mais sont en fait inférieurs à ceux dont le Japon aurait besoin pour maintenir sa population. Compte tenu de sa dynamique socioculturelle unique, de l’idée bien ancrée d’homogénéité et des pressions politiques, il est peu probable que le Japon adopte un jour un système d’immigration à la canadienne ou atteigne ces chiffres d’admission.

Néanmoins, il est indéniable que la population étrangère du Japon a augmenté. Vivant principalement dans les zones urbaines du pays, ils deviennent de plus en plus fréquents dans les petites villes et les villages japonais. Qu’il s’agisse d’étudiants internationaux, de stagiaires techniques ou de travailleurs plus spécialisés et hautement qualifiés, la population étrangère résidente au Japon a atteint 3,1 millions de personnes en 2022. Par nationalité, plus de la moitié des résidents étrangers au Japon sont originaires de Chine, du Vietnam et de Corée du Sud, avec des augmentations notables observées dans les catégories de visas pour les stagiaires techniques et les étudiants.

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Les résidents étrangers, même ceux qui sont nés ou dont les familles vivent au Japon depuis des générations, sont souvent considérés comme des visiteurs temporaires dans un Japon perçu comme extrêmement « homogène ». Mais le déclin rapide de la population oblige le pays à affronter la relation contradictoire entre la rigidité de l’identité ‘japonaise’ et l’acceptation d’un plus grand nombre de migrants, qui sont de plus en plus nombreux et constituent une composante de plus en plus essentielle de la population active du Japon.

Trouver un équilibre entre l’homogénéité perçue et la diversité croissante

Souvent considéré comme un pays insulaire isolé, le Japon a pourtant connu de nombreuses phases d’interaction et d’intégration avec les peuples de la région et d’ailleurs. Malgré l’augmentation récente du nombre de ressortissants étrangers qui ont contribué et continuent de contribuer à la société japonaise, la diversité « cachée » du pays devient peu à peu plus visible, et toutes deux remettent en question l’identité propre soigneusement élaborée par le Japon. Le peuple autochtone Ainu du Japon s’organise en permanence pour faire revivre et transmettre sa culture et sa langue et pour faire valoir ses droits inhérents. De nombreux Burakumin, les « intouchables » japonais issus du système de castes féodal hérité du pays, sensibilisent la population aux problèmes de droits de l’homme qui affectent leurs communautés. Les Uchinanchu, c’est-à-dire les habitants de la préfecture d’Okinawa, anciennement royaume des Ryukyu, s’efforcent également de restaurer leur identité, leur culture et leur langue, tout en conciliant les intérêts militaires stratégiques de Tokyo et de Washington avec les leurs. De leur côté, les Coréens de l’ethnie « zainichi » continuent de lutter pour leurs droits tout en contribuant à la vie du Japon et en étant fiers de s’y sentir chez eux.


Coréens zainichi
Une grande partie de la population étrangère résidant au Japon est « installée de manière permanente, fortement assimilée et, dans de nombreux cas, née au Japon, mais n’ayant pas la nationalité japonaise ». Le groupe minoritaire le plus important est connu sous le nom de Coréens zainichi, des Coréens ethniques qui ont immigré au Japon pendant la période coloniale et leurs descendants. Bien que certains d’entre eux aient été naturalisés japonais, en raison de considérations complexes telles que l’illégalité de la double nationalité au Japon, en Corée du Sud et en Corée du Nord, de nombreux Coréens zainichi bénéficient d’un statut spécial de résident permanent au Japon. Il en résulte une situation particulière de résidents étrangers de longue durée, permanents et générationnels au Japon, qui a façonné les politiques d’intégration à l’égard de tous les résidents étrangers.

Mais l’identité japonaise d’après-guerre reste largement rigide et la diversité n’est pas prise en compte. Le Japon ne recueille pas de données sur la race ou l’identité ethnique dans son recensement national et ne tient pas compte des mères nées à l’étranger dans ses calculs de taux de fécondité. Par ailleurs, il peut être extrêmement difficile de se faire naturaliser japonais, ce qui fait que de nombreux enfants d’origine étrangère nés au Japon sont apatrides. La citoyenneté multiple reste également illégale, ce qui ajoute aux difficultés de tous les ressortissants étrangers vivant au Japon et des ressortissants japonais vivant à l’étranger. Enfin, la notion d’homogénéité du Japon prévaut toujours dans la culture populaire, ce qui influence probablement la mesure dans laquelle le gouvernement soutient l’immigration de masse ou reconnaît officiellement la diversité inhérente au Japon.

Une question de politique

Le décalage entre la réalité et les politiques du gouvernement japonais existe depuis longtemps, des articles scientifiques datant d’une vingtaine d’années indiquant que les migrations de replacement sont un sujet trop tabou pour que les responsables politiques japonais puissent le traiter de manière significative. À l’époque, le débat sur la démographique et l’immigration était motivé par un sentiment de crise, ou kikikan, mais les pressions économiques liées à l’évolution démographique du pays n’étaient peut-être pas assez fortes pour entraîner un véritable changement de politique.

Vingt ans plus tard les changements démographiques prévus se concrétisent et frappent de plein fouet l’économie et la société dans son ensemble. Le kikikan accru concernant les problèmes démographiques du pays se manifeste dans les récentes politiques sociales de M. Kishida mentionnées plus haut, notamment celles concernant les travailleurs qualifiés, les réfugiés et les étudiants étrangers. Ces initiatives pourraient indiquer que le pays se prépare à une augmentation de l’immigration, tout en passant sous le radar en évitant de les présenter comme des politiques d’immigration afin de réduire les éventuelles réactions négatives.

La lente évolution des politiques japonaises à l'égard des résidents étrangers correspond à l’augmentation progressive du nombre de migrants pour pallier les pénuries de main-d’œuvre. De la fin des années 1970 au début des années 1980, le Japon a adhéré à plusieurs accords internationaux, tels que la Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1979), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1979) et la Convention relative au statut des réfugiés (1981), qui ont permis d’étendre le système de protection sociale japonais aux résidents étrangers. En 1984, le Japon a révisé les lois sur la nationalité et l’enregistrement des familles, autorisant la transmission de la nationalité par la mère, l’utilisation de noms de famille étrangers et le droit de choisir la nationalité à l’age de 21 ans pour les personnes nées avec plus d’une nationalité. En 1990, le Japon a adopté la Loi sur le contrôle de l’immigration et les réfugiés, qui a ouvert plusieurs « portes latérales » à la main-d’œuvre étrangère non qualifiée par le biais de programmes spécialisés tels que les visas à long terme pour les descendants de Japonais vivant à l’étranger et un programme de stages techniques à court terme. Ces exemples de politiques de libéralisation du Japon, bien que limités, démontrent la volonté du Japon de s’adapter à l’évolution démographique du pays.

Plus récemment, les politiques migratoires au coup par coup du Japon ont connu plusieurs évolutions. En février 2023, le cabinet japonais a approuvé une proposition du ministère de la Justice concernant un nouveau système de visa destiné à attirer les personnes à haut revenu et les diplômés de grande valeur. En avril, le gouvernement a commencé à discuter d’un avant-projet portant sur une initiative visant à promouvoir les échanges d’études à l’étranger pour les étudiants japonais et étrangers, y compris les possibilités de travail à temps partiel et les voies d’accès à la résidence pour ces derniers. Dans le même temps, un groupe d’experts du ministère de la Justice a publié un avant-projet recommandant l’abolition du programme controversé de stages techniques ; ce texte demande la mise en place d’un nouveau système pour garantir la sécurité des travailleurs à long terme et à court terme, tout en respectant les droits de l’Homme des travailleurs étrangers.

Les développements du mois d’avril ont été suivis par l’approbation du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir d’élargir le champ d’application des travailleurs qualifiés spécialisés et de permettre aux travailleurs étrangers peu qualifiés de renouveler indéfiniment leur statut de résident au Japon. En juin, l’Agence japonaise des services d’immigration a étendu le programme de travail pour les descendants de Japonais de la troisième à la quatrième génération. Plus récemment, au cours des derniers jours de la session ordinaire de la Diète japonaise, fin juin, le gouvernement a approuvé des révisions de son projet de loi sur l’immigration. Ces révisions ont porté sur des questions controversées telles que l’expulsion forcée des demandeurs d’asile déboutés, mais elles ont également créé une nouvelle catégorie « d'évacués », ou quasi-réfugiés, afin d’offrir des protections supplémentaires aux ressortissants étrangers fuyant un conflit. Une fois de plus, ces modifications de la politique mettent en évidence une évolution de l’approche du pays en matière d’immigration.

M. Kishida a pris des mesures audacieuses, mais le bilan du Japon en matière de traitement des migrants et des réfugiés est inférieur à celui des autres pays industrialisés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, le taux d’acceptation des réfugiés au Japon a été nominal, avec seulement 42 réfugiés admis dans le pays en 2020, 74 en 2021 et un record de 202 en 2022. À titre de comparaison, le Canada a accueilli plus de 75 000 réfugiés réinstallés et personnes protégées en 2022. Si le Japon a adhéré aux conventions internationales sur les droits de l’Homme, le pays a été critiqué à plusieurs reprises pour son soutien insuffisant aux réfugiés internationaux et, en avril, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme des migrants a déclaré que les amendements au projet de loi sur l’immigration visant les réfugiés « ne respectaient pas les normes internationales en matière droits de l’Homme ».

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Mais il s’est avéré difficile de traduire les obligations internationales et les idéaux des démocraties libérales en matière d’immigration dans la politique intérieure. Le parti au pouvoir, le PLD, est composé de factions concurrentes, dont certaines s’opposent à des politiques plus libérales sur des sujets tels que le genre, les LGBTQ+ et l’immigration. Il en résulte un ensemble de politiques migratoires décousues, dont beaucoup doivent être adoptées sans consensus, reflétant ainsi les désaccords entre les factions du parti, les ministères et les agences, et laissant présager une mise en œuvre problématique.

Bien que le Japon n’ait pas de politique nationale d’immigration, la population se diversifie visiblement, et les gouvernements infranationaux et les groupes de la société civile ont souvent été les premiers à s’adapter à l’évolution des besoins démographiques du pays, et ont joué un rôle essentiel dans le soutien et l’intégration de la population non japonaise. Pendant la période d’après-guerre, les groupes de la société civile et les gouvernements locaux ont été les premiers à répondre aux anciens sujets coloniaux, principalement originaires de la péninsule coréenne, qui réclamaient des droits accrus en tant que résidents permanents de longue durée. De même, avec la récente augmentation du nombre de nouveaux migrants, certaines localités ont commencé à créer leurs propres programmes, tels que des services de traduction, des écoles accueillant des étudiants étrangers ou des brochures d’information permettant aux résidents étrangers de se familiariser avec le « mode de vie japonais ».

Les politiques d’immigration et d’intégration au coup par coup du Japon, bien qu’elles soient parfois incohérentes et contradictoires, sont le reflet d’un pays aux prises avec les défis des changements démographiques et constituent peut-être actuellement l’option la plus politiquement acceptable pour un Japon divisé, indispensable à la transformation future du pays. Mais alors que la pénurie de main-d’œuvre s’aggrave, ces politiques suffiront-elles à répondre aux problèmes démographiques du Japon ?

Les politiques au coup par coup peuvent-elles remédier au déclin démographique du Japon ?

Le gouvernement japonais prévoit que la population étrangère atteindra un pic de 9,4 millions de personnes en 2070, avant de redescendre à 8,5 millions en 2120. Proportionnellement, les ressortissants étrangers devraient représenter environ 11 % de la population en 2070 et environ 17 % en 2120. Ces chiffres proportionnels sont calculés dans le contexte d’une population japonaise plus réduite, ce qui indique que la population du Japon et sa main-d’œuvre continueront à diminuer.

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Si aucune mesure n’est prise, ces chiffres laissent présager une situation potentiellement alarmante, avec un changement imprévisible et profond du paysage politique, social et économique du Japon. L’Institut national japonais de recherche sur la population et la sécurité sociale (National Institute of Population and Social Security Research) reconnaît que « si les prévisions se réalisent, la société japonaise changera ». Ce bouleversement est illustré par les prévisions qui annoncent l’extinction des communautés rurales et des administrations municipales, la fin des magasins de proximité ouverts 24 heures sur 24, un taux d’inoccupation important des logements et la fermeture massive de service tels que les banques, les grands magasins et les hôpitaux. À tout le moins, le Japon peut s’attendre à des changements dans tous les secteurs, y compris des tentatives continues de maximiser les technologies et la robotique pour compenser les pénuries de main-d’œuvre, de nouveaux changements dans la culture de travail rigide du Japon, une mobilité accrue de la main-d’œuvre, des âges de retraite plus élevés pour alléger la pression sur le système de retraite, des incertitudes en matière de soins de santé, une réforme de l’éducation et une augmentation de la main-d’œuvre étrangère pour combler les lacunes.

Même en l’absence d’une politique nationale globale en matière d’immigration, le Japon continuera à connaître des flux migratoires, qu’ils soient gérés ou non. Si le nombre d’immigrants à grande échelle, non assimilés ou insuffisamment intégrés devient perceptible dans l’ensemble du Japon, le pays pourrait bien être témoin d’une perturbation potentielle du bien-être social, d’une augmentation des violations des droits de l’Homme et de changements dans la société japonaise en général exigeant une plus grande protection des résidents étrangers.

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L’opinion publique a été l’un des moteurs de l’évolution des lois relatives à l’immigration au Japon. Les allégations de harcèlement, d’exploitation et d’abus des droits de l’Homme à l’encontre du programme japonais de stages techniques, en vigueur depuis des décennies, ont motivé la dernière révision de ce programme par un groupe d’experts gouvernementaux, qui aboutira probablement à la modification ou à l’abolition du programme dans les mois à venir. De plus, l’activisme des organisations à but non lucratif en faveur des enfants de résidents illégaux a encouragé le ministre de la Justice du pays à introduire une politique complémentaire pour assurer la protection des mineurs étrangers nés et élevés au Japon. Le gouvernement discute également de l’extension et de l’élargissement des visas « d’activités désignées » pour les travailleurs étrangers résidant au Japon en raison de l’augmentation de la demande de la part des professionnels et des localités.

Toutefois, ce qui est plus pertinent, ce sont les voix qui s’élèvent dans le vaste réseau des petites et moyennes entreprises (PME) du Japon — qui représentent 99,7 % des entreprises japonaises — et qui sont consternées par l’aggravation de la situation économique du pays. La pénurie de main-d’œuvre et l’augmentation des salaires, conjuguées à la dépréciation de la monnaie japonaise et à la dépendance à l’égard des importations étrangères, ont fait peser un lourd fardeau sur les PME, et beaucoup d’entre elles sont devenues tributaires d’une main-d’œuvre étrangère non qualifiée à court terme.

Vers des stratégies migratoires à plus long terme

Si les politiques réactives à l’opinion publique sont bien accueillies par de nombreux Japonais, à mesure que les problèmes démographiques s’accélèrent, il devient de plus en plus nécessaire de planifier des politiques stratégiques à plus long terme pour faire face aux défis économiques qui en découlent. Les appels au maintien des travailleurs étrangers se sont multipliés, mais le maintien des résidents étrangers à long terme requiert des changements substantiels. En effet, il faut non seulement assouplir les conditions d’admission, mais aussi réformer la culture du travail et la société japonaise afin de mieux intégrer les travailleurs étrangers. Les changements politiques les plus simples peuvent concerner les salaires non compétitifs du Japon, le déséquilibre notoire entre vie professionnelle et vie privée, les lois complexes sur la citoyenneté, la discrimination générale à l’encontre des résidents étrangers et le mauvais traitement qui leur est réservé. Cependant, bien que difficile, il sera tout aussi important de s’attaquer à l’identité collective omniprésente du pays en tant que société monolingue et culturellement homogène afin de favoriser l’acceptation dans la psyché japonaise et d’attirer les migrants pour qu’ils construisent leur vie au Japon.


La citoyenneté japonaise
La constitution japonaise d’après-guerre fonde la citoyenneté sur le « principe de consanguinité », c’est-à-dire sur les liens du sang. Par conséquent, contrairement au Canada, qui accorde la citoyenneté à toutes les personnes nées sur son sol, à la naissance, la citoyenneté japonaise ne peut être acquise que si au moins l’un des parents est reconnu comme un ressortissant japonais, sauf dans certains cas particuliers*.  Même si la naturalisation est possible, le nombre de naturalisations au Japon est extrêmement faible (866 personnes en 2022) et l’illégalité de la double nationalité décourage souvent la naturalisation.
* Un enfant né sur le sol japonais aura la nationalité japonaise si ses deux parents sont apatrides ou inconnus.

La constitution japonaise d’après-guerre garantit un certain degré d’autonomie aux quelque 3 200 gouvernements infranationaux du pays (préfectures, villes désignées et municipalités), ce qui limite le pouvoir du gouvernement central d’imposer des politiques à ces entités infranationales. Associé à un système politique à tendance conservatrice établi de longue date, le Japon est confronté à des défis systémiques pour devenir un État d’immigration à part entière, et une combinaison de politiques au coup par coup reste, à l’heure actuelle, la solution la plus probable.

Néanmoins, le renforcement du dialogue et de la coopération avec les préfectures et les municipalités peut offrir au gouvernement central une voie plus proactive et plus cohérente pour élaborer des politiques efficaces en matière de migration. Les gouvernements préfectoraux ont déjà pris les premières mesures avec la création d’un groupe de gouverneurs en novembre 2022 pour promouvoir la revitalisation rurale. Parmi d’autres politiques, le groupe a expressément plaidé en faveur de l’augmentation du nombre de travailleurs étrangers dans les zones rurales. Des groupes de défense de la politique des experts, tels que Reiwa Rincho, ont également annoncé leur intention d’ouvrir un forum pour les localités afin de discuter de l’immigration et de l’intégration, d’identifier les défis et de préparer les municipalités à s’adapter à la diversité croissante du pays. Le gouvernement japonais peut renforcer ces initiatives existantes, en soutenant les politiques réactives au coup par coup par l’incorporation d’initiatives d’intégration infranationales à long terme dans les politiques nationales, à mesure que de plus en plus de ressortissants étrangers s’installent au Japon.

Conclusion : Une expansion lente, graduelle et largement inaperçue de la migration

Le Japon, une société « super-âgée », est l’une des premières économies industrielles avancées à faire face aux défis associés à un grave déclin de la population, et les résultats restent inconnus. Mais comme de nombreuses économies industrielles avancées partagent, ou partageront bientôt, des ensembles de défis similaires, le Japon fournit une étude de cas pour faire face au dilemme d’une population vieillissante et décroissante. Sans être une « panacée  », il est clair que l’immigration sera une solution de plus en plus importante parmi les nombreuses réponses au déclin démographique. La croissance peut être lente, mais avec le temps, la société japonaise devra répondre à l’augmentation du nombre de résidents étrangers.  Des politiques éducatives locales à un système national d’immigration plus consolidé, les gouvernements nationaux, préfectoraux et municipaux devront accueillir les résidents étrangers et faciliter leur intégration dans la société japonaise.

Le gouvernement de M. Kishida semble déterminé à s’attaquer à ces problèmes démographiques. Mais les défis à relever sont si vastes qu’il semble plus plausible que le Japon doive gérer son déclin démographique plutôt que d’inverser complètement la tendance. Le Japon a donc la possibilité de repenser de manière créative la façon de gérer sa population en chute libre, de définir ce qu’est un Japonais et qui l’est, et de remodeler l’avenir de la croissance économique et de la durabilité du pays. Ce faisant, il pourrait se positionner en tant que leader mondial pour faire face aux changements démographiques importants et rapides qui touchent d’autres économies à travers le monde.

Au niveau national, l’opinion politique concernant l’immigration reste divisée et l’intégration des résidents étrangers dans la société japonaise exigera la mise en place de certaines politiques nationales, notamment en ce qui concerne la langue. La discrimination à l’encontre des minorités visibles est également une question cruciale. En outre, il faudra poursuivre les efforts sociaux visant à favoriser la compréhension mutuelle entre des peuples culturellement et linguistiquement différents.

Sur le plan international, le Japon devra répondre aux attentes et assumer ses responsabilités en tant que pays démocratique respectant l’ordre international fondé sur des règles, en acceptant davantage de réfugiés et en améliorant le traitement des migrants. Parallèlement, le Japon devra rivaliser avec d’autres pays pour attirer et retenir les migrants. Qu’il s’agisse de salaires non compétitifs ou de mauvais classements en matière d’égalité entre les genres et de bonheur global, le Japon devra améliorer les conditions de travail nationales pour attirer davantage de migrants.

Si les meilleures politiques d’immigration et les meilleurs programmes de main-d’œuvre étrangère ne peuvent résoudre complètement ce qui est une question intrinsèquement multidimensionnelle, ils joueront un rôle essentiel pour compenser le déclin de la population et les pénuries de main-d’œuvre. Sans oublier que le Japon dispose de nombreux outils pour remodeler son avenir. Le Japon devra affronter la situation de front et mettre en œuvre des solutions politiques pratiques pour relever les défis actuels et futurs liés à la diminution de la population. Les pays d’immigration qui ont réussi, comme le Canada, peuvent servir d’exemples de nouvelles et meilleures pratiques pour le Japon. La coopération entre le Japon et le Canada sur les questions liées à l’immigration et à l’inclusion pourrait constituer un créneau essentiel pour que le Canada soit un « partenaire actif et engagé dans la région indo-pacifique », comme l'indique la nouvelle Stratégie pour l’Indo-Pacifique d’Ottawa, ainsi qu’un ami et une source de soutien pour le Japon, notre quatrième partenaire commercial et un pays avec lequel nous partageons déjà de profonds liens historiques et interpersonnels.

Momo Sakudo

Momo Sakudo est chercheuse-boursière (CB) au sein de l’équipe Asie du Nord-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada, avec une spécialisation sur le Japon. Elle est titulaire d'une maîtrise en politiques publiques de l'École d’Affaires publiques de Sciences Po Paris et d'un double baccalauréat ès arts de l'Université de la Colombie-Britannique et de Sciences Po Paris. En tant que ressortissante japonaise habitant au Canada, Momo est intéressée par la question du rôle croissant de l'Asie dans la communauté internationale, notamment par rapport à l'Amérique du Nord et à l'Europe.

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