Les attentes étaient élevées lorsque les ministres du Commerce signataires de l’Accord de partenariat global et progressif pour le Pacifique (PTPGP) se sont réunis à Melbourne, en Australie, à la fin novembre 2025, pour ponctuer une année sans précédent pour le commerce international. Les tarifs imposés par le président Trump ont ébranlé les fondations de l’ordre commercial multilatéral. Le récent durcissement des mesures de contrôle de l’exportation des minéraux critiques par la Chine menace de paralyser l’industrie manufacturière mondiale, qui dépend du matériel chinois. Dans ce contexte de perturbations commerciales, le PTPGP, composé de petites et moyennes nations dépendantes du commerce, a l’occasion de renforcer les fondements réglementaires sous-jacents au commerce mondial.
Le sommet de Melbourne a été marqué par la tenue de deux dialogues préliminaires, l’un entre les pays du PTPGP et l’UE, et l’autre entre les pays du PTPGP et ceux de l’ANASE. Dans une tribune publiée dans The Economist quelques jours avant le sommet, le premier ministre canadien Mark Carney a appelé à la mise en place d’« accords d’ancrage créatifs entre les blocs [commerciaux] », tels que l’UE et les pays du PTPGP, afin d’accélérer les progrès en matière d’intégration commerciale. En résumé, la coordination entre les principales zones de libre-échange est considérée comme une autre solution et un contrepoids possibles au protectionnisme et aux jeux de pouvoir de la Chine et des États-Unis. Le sommet a-t-il relevé le défi?
Le PTPGP – un traité multilatéral ouvert d’envergure mondiale
Quand Donald Trump a retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP) en 2017, plusieurs ont prédit la fin de cet accord. Cet accord avait été conçu comme une initiative géopolitique visant à consolider le pivot économique des États-Unis vers l’Asie. Son texte s’inspire des accords de libre-échange américains antérieurs, reflétant la devise du président Obama selon laquelle « si nous ne rédigeons pas les règles du commerce… la Chine le fera ». L’avenir du Partenariat transpacifique (PTP) demeurait incertain sans l’engagement des États-Unis et l’intérêt de leur vaste marché de consommation. Cependant, sous la direction du Japon, les autres membres du PTP ont réussi à sauver l’accord en 2018 et à le transformer en PTPGP.
Aujourd’hui, contre toute attente, c’est précisément l’absence des États-Unis qui contribue à renforcer l’attrait du PTPGP. Ce qui a commencé comme projet régional est devenu, au fil des ans, un cadre mondial pour les petites et moyennes économies dépendantes du commerce. En 2024, le Royaume-Uni s’y est joint. Les pourparlers concernant l’adhésion du Costa Rica sont en cours. À Melbourne, les membres du PTPGP ont approuvé la poursuite des pourparlers au sujet de l’adhésion de l’Uruguay. Ils espèrent que des négociations similaires pourront commencer en 2026 avec les Philippines, l’Indonésie et, curieusement, les Émirats arabes unis.
Une augmentation du nombre des membres et une plus grande diversité géographique entraînent des changements dans la nature de cet accord. Le PTPGP, initialement axé sur la région du Pacifique, évolue pour devenir un véritable traité commercial international. De plus, l’adhésion potentielle des Émirats arabes unis, qui pourrait être le premier pays du Golfe à devenir membre, permettrait d’étendre l’accord au Moyen-Orient et aux opportunités de commerce et d’investissement de la région. À l’heure où l’OMC est affaiblie par une impasse, le PTPGP s’impose rapidement comme le principal rassemblement de pays de petite et moyenne taille engagés dans le commerce mondial.
L’adhésion de la Chine demeure incertaine
L’attrait du PTPGP réside en partie dans l’absence de superpuissances économiques. La demande d’adhésion de la Chine, soumise en 2021, met toutefois en péril le potentiel de l’accord. Pourtant, en tant que club de commerce qui s’autoproclame respectueux des règles, comment les membres du PTPGP ont-ils pu accepter certains candidats, comme les Émirats arabes unis, tout en fermant la porte à la Chine? Le sommet de Melbourne a connu des avancées sur ce front.
En 2023, les membres du PTPGP ont convenu des « principes d’Auckland » qui énoncent trois critères d’adhésion : (1) la capacité de se conformer aux exigences élevées de l’Accord ; (2) un historique démontrant le respect des engagements commerciaux ; et (3) un accord unanime des membres du PTPGP. Il est peu probable que la Chine réussisse à relever ce défi.
Les ministres membres du PTPGP réunis à Vancouver en 2024 ont à peine voilé leur condamnation des ambitions de la Chine en critiquant la coercition économique et en déclarant que « la coercition économique n’est pas conforme aux exigences élevées de l’accord ni aux attentes des membres du PTPGP ». Ces éléments sont désormais inclus dans la Déclaration de Melbourne et offrent des critères impartiaux pour évaluer les candidats et exclure la Chine de l’adhésion en raison de sa persistante militarisation des chaînes d’approvisionnement.
Le fait que le PTPGP reste, pour l’instant, un regroupement sans la Chine ni les États-Unis devrait accroître son attrait auprès des nations commerçantes de taille moyenne, qui cherchent à faire avec les tensions géopolitiques sans prendre position.
Sauver l’OMC
Les responsables politiques américains et les analystes ont commencé à considérer l’OMC comme étant largement dépassée. Bien qu’elle se dise favorable au multilatéralisme, la Chine a récemment multiplié les mesures protectionnistes unilatérales en matière d’importation et d’exportation, ce qui va à l’encontre de l’esprit, et parfois au contenu, des règles de l’OMC. Pourtant, comme le montre la Déclaration de Melbourne, le reste du monde n’a pas encore abandonné l’OMC. La déclaration des ministères membres du PTPGP ainsi que leurs échanges avec les membres de l’ANASE et l’UE renforcent l’importance d’un système commercial réglementé « mettant à son centre l’Organisation mondiale du commerce ».
La réunion de Melbourne a également montré un appui pour diverses négociations et initiatives de réforme de l’OMC, dont les pourparlers multilatéraux sur le commerce électronique et la simplification de l’investissement. De plus, les déclarations engagent les États membres du PTPGP, de l’ANASE et de l’UE à prolonger le moratoire de l’OMC sur les tarifs douaniers applicables aux transmissions électroniques. Cela est important, car le moratoire, qui fait l’objet de débats dans certains pays de l’ANASE, pourrait prendre fin lors de la prochaine réunion ministérielle de l’OMC en mars 2026. La réunion de Melbourne démontre, par écrit au moins, le soutien ferme de nombreux pays en faveur du système commercial multilatéral fondé sur des règles et leur engagement dans sa réforme en cours.
Dialogues entre les pays membres du PTPGP et l’UE et entre les pays membres du PTPGP et ceux de l’ANASE
Les premiers dialogues de haut niveau entre les pays membres du PTPGP et l’UE et entre les pays membres du PTPGP et ceux de l’ANASE, qui se sont déroulés en marge du sommet, en étaient sans doute l’aspect le plus attendu. La proposition d’un possible « rapprochement » entre les zones commerciales, avancée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et le premier ministre canadien, Mark Carney, a été repoussée à une date ultérieure. Au lieu de cela, les parties ont publié deux communiqués très similaires réitérant leur soutien à l’OMC et exprimant leur souhait d’intensifier la coopération en matière de commerce électronique, de résilience des chaînes d’approvisionnement et de facilitation des investissements. La déclaration PTPGP-ANASE comporte une section distincte consacrée à l’harmonisation réglementaire, tandis que la déclaration PTPGP-UE met de l’avant une section dédiée à la diversification commerciale, ce qui illustre la divergence de priorités.
La déclaration PTPGP-UE contient également un engagement prometteur à élaborer « des plans de travail dans les domaines de coopération d’intérêt mutuel ». Cependant, les détails concernant l’approfondissement de la collaboration entre les groupes ont été remis à plus tard. La prochaine conférence ministérielle de l’OMC au Cameroun, qui aura lieu en mars, sera l’occasion de vérifier si les trois coalitions peuvent s’unir pour former une alliance solide en faveur du commerce réglementé et de la réforme de l’OMC.
Les éléments manquants
Sans surprise, les déclarations ne font aucune allusion explicite aux tarifs américains ou à la militarisation mesures de contrôle des exportations en Chine. Elles se contentent de mentionner de manière générale une opposition collective à la coercition économique. Les nations de l’ANASE, de l’UE et du PTPGP dépendent étroitement de la Chine et des États-Unis sur le plan commercial et en matière de sécurité. Cela signifie qu’elles ont un intérêt commun à éviter toute confrontation directe.
Les coalitions auraient cependant pu faire plus d’efforts dans la lutte contre la hausse des restrictions commerciales internes. La barrière tarifaire imposée par le président Trump a provoqué un détournement considérable des échanges commerciaux, les exportations chinoises étant massivement redirigées vers les marchés du PTPGP, de l’ANASE et de l’UE, ce qui a entraîné une hausse des nouvelles restrictions commerciales. L’industrie sidérurgique en a été le signe avant-coureur après avoir été frappée par des tarifs douaniers américains particulièrement élevés de 50 %. Le Canada et l’UE ont mis en place des contingents tarifaires limitant le commerce de l’acier, y compris avec les pays du PTPGP. Des mesures incitant à acheter canadien ou acheter européen pourraient entraîner une détérioration du commerce au sein des coalitions et entre celles-ci. Par conséquent, le PTPGP, l’ANASE et l’UE devraient coopérer pour atténuer les dommages causés par le détournement des échanges commerciaux.
L’augmentation du nombre d’accords bilatéraux signés par les États-Unis, qui incluent de nouvelles réglementations sur le transbordement et des promesses strictes en matière de sécurité économique, pourrait entraver les échanges commerciaux au sein des coalitions et entre celles-ci. Washington met en place un système en étoile dont elle serait le centre et dans lequel des accords bilatéraux confèrent différents niveaux d’accès au marché américain. Les échanges avec les pays tiers, notamment réglementés par des droits de transbordement de 40 % et des règles très restrictives concernant l’origine, mettent en danger les chaînes de valeur régionales et rendent l’intégration commerciale entre les différents pays de plus en plus difficile. À cela s’ajoutent des dispositions sur la sécurité économique. Le récent accord entre les États-Unis et la Malaisie stipule que cette dernière devra harmoniser ses restrictions sur les importations et ses mesures de contrôle des exportations avec celles des États-Unis chaque fois que cela sera estimé nécessaire pour protéger les intérêts américains de sécurité nationale. Bien que ces mesures soient principalement dirigées contre la Chine, elles pourraient aussi entraver les échanges commerciaux entre les pays de l’ANASE, du PTPGP et de l’UE. Il est donc crucial de prendre cette éventualité au sérieux lors de leurs discussions.
La tortue ou le lièvre?
En quelques mois, l’administration Trump a profondément transformé le système commercial mondial, et la Chine resserre rapidement les vis sur ses exportations de terres rares. En contraste avec l’accélération inédite de ces perturbations économiques, la Déclaration de Melbourne ne reflète pas l’urgence de la situation. C’est à la fois un défaut et une qualité.
Les allusions à la place centrale occupée par l’OMC et à l’établissement d’un commerce réglementé lors du sommet de Melbourne pourraient paraître idéalistes ou dépassées, tels des échos d’une ère révolue. Cependant, la normalité, la continuité et la prévisibilité ont également de la valeur. L’ordre commercial multilatéral pourrait bien survivre aux perturbations commerciales actuelles et à la présidence de Donald Trump, qui, loin d’être transformatrice, pourrait finir par être considérée comme une distraction. Cela a assurément été un moment de ralliement pour les économies moyennes et petites qui dépendent du commerce pour soutenir le système commercial multilatéral actuel.
Cependant, la simple préservation du statu quo actuel ne suffira pas. Le succès ou l’échec du PTPGP, de l’ANASE et de l’UE dépendra de leur capacité à surmonter les défis ayant contribué à la crise actuelle, soit l’inertie institutionnelle, la désuétude de l’OMC, la concentration des chaînes d’approvisionnement et une répartition inéquitable des bénéfices tirés du commerce. Ces défis exigent de la patience et de l’attention soutenue, ce qui n’est pas le point fort de l’administration Trump, qui privilégie l’action rapide et radicale.
Une plus grande rapidité est cependant nécessaire dans certains domaines, notamment en ce qui a trait à la protection des chaînes d’approvisionnement contre les interruptions dans les pays du PTPGP, de l’ANASE et de l’UE. Sinon, il y a un véritable danger de voir s’étendre les conflits géopolitiques et le protectionnisme, ce qui entraînerait des perturbations dans les échanges commerciaux entre les nations favorables au libre-échange. Le premier ministre Carney a reconnu la nécessité d’agir et a mandaté son représentant personnel, John Hannaford, pour collaborer avec la nouvelle présidence vietnamienne du CPTPP en vue « d’obtenir des résultats concrets au début de l’année prochaine ». La résilience de la chaîne d’approvisionnement devrait être l’une des priorités, en particulier en ce qui concerne les efforts continus d’intégration de fournisseurs internes plutôt qu’externes aux coalitions pour les secteurs vulnérables, tels que celui des minéraux critiques.
Pour résumer, il reste beaucoup à accomplir pour que les partisans du commerce réglementé atteignent leurs objectifs.