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Le secteur du charbon en Chine : à quoi ressemble une transition énergétique équitable ?

En tant que premier producteur et consommateur de charbon au monde, la Chine sait qu’elle doit réduire sa dépendance au charbon si elle est vraiment déterminée à respecter son engagement de plafonner ses émissions de carbone d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Si les préoccupations croissantes en matière de sécurité énergétique nationale alimentent une augmentation à court terme de la production de charbon et de l’électricité, toute voie vers la neutralité carbone pour la Chine nécessitera une réduction progressive, voire une élimination totale, du charbon.

C’est bien plus facile à dire qu’à faire. Selon l’Agence international de l’énergie, le charbon a assuré plus de 60 %  de l’approvisionnement énergétique total de la Chine en 2020. Dans le but de maintenir les prix de l’énergie nationale bas, de répondre aux fluctuations de la demande d’électricité en période de pointe et de réduire sa dépendance aux importations de charbon dans un contexte de tensions géopolitiques, la Chine a continué d’augmenter sa production de charbon, qui atteindra un niveau record de 4,24 milliards de tonnes en 2022.  À titre de comparaison, l’Inde, deuxième plus grand producteur de charbon au monde, ne produira que 893 millions de tonnes la même année. 

Production annuelle de carbon en ChineCompte tenu de l'ampleur de l'industrie du charbon en Chine, une transition énergétique entraînerait à moyen et long terme la mise au chômage de millions de travailleurs chinois à tous les échelons de la chaîne de valeur du charbon.  Selon une simulation récente des analystes, les emplois soutenus par le secteur charbonnier chinois pourraient passer de 2,7 millions en 2021 à 1,44 million en 2035 et à 94 000 en 2050, « le nombre d'emplois perdus dans le secteur minier devant à lui seul dépasser 1,1 million en 2035 ».  

Le chômage prévu sera concentré dans les régions autonomes de Mongolie-Intérieure et du Xianjiang et dans des provinces comme le Shanxi et le Shaanxi, en particulier dans les zones pauvres et rurales. Les travailleurs au chômage auront également du mal à trouver un nouvel emploi en raison de leur âge et de leur niveau d’éducation et de qualification relativement faible. Par exemple, la moitié des houilleurs ont plus de 45 ans et 60 % d’entre eux ont un niveau d’éducation inférieur ou égal à celui de l’école intermédiaire.  

Ces dernières années, le concept de transition équitable dans le secteur de l'énergie a gagné en importance à mesure que les inégalités de la décarbonisation sont apparues. Fondamentalement, une transition équitable consiste à « verdir » l’économie d’une manière équitable et inclusive, de sorte que les travailleurs et les communautés des secteur touchés ne fassent pas les frais de la décarbonisation. La Chine n'est certainement pas la seule à devoir relever le défi de la mise en œuvre d'une transition équitable dans le l'industrie de la houille ; rappelez-vous le déclin des mines de charbon dans la région centrale des Appalaches aux États-Unis ou les programmes de fermeture des mines dans les années 1960 et 1980 au Royaume-Uni.  

Au Canada, le gouvernement fédéral a créé le Groupe de travail : Transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon Canadiennes dans le cadre de l’élimination progressive du charbon. Après avoir rencontré les collectivités touchées, le groupe de travail a émis des recommandations soulignant l’importance d’un véritable engagement public et d’une politique gouvernementale qui favorisera le réemploi ou permettra aux autres travailleurs de « prendre leur retraite dans la dignité ». Néanmoins, le Rapport sur une transition équitable de 2022 rédigé par le Bureau du vérificateur général du Canada, a conclu que le gouvernement fédéral n’est toujours pas « prêt à soutenir une transition équitable vers une économie à faibles émissions de carbone pour les travailleurs et les collectivités ». Bien que le gouvernement fédéral ait engagé 185 millions de dollars canadiens pour les collectivités touchées par l'élimination progressive du charbon et qu'il ait récemment introduit le Plan pour des emplois durables, six des dix recommandations du groupe de travail n'ont pas encore été appliquées.

La Chine a déjà connu des pertes d’emploi similaires dans l’industrie houillère. En effet, alors que la production de charbon n'a cessé d'augmenter, l'emploi dans le secteur du charbon était déjà en baisse en raison des améliorations de l'efficacité. En 2013, l’industrie charbonnière chinoise comptait 5,29 millions de travailleurs, soit près du double du nombre d’emplois actuels. Le taux élevé de licenciements tout au long des années 2010 a incité le gouvernement central à engager 18,8 milliards de dollars canadiens (100 milliards de yuans) pour les travailleurs touchés dans les industries du charbon et de l'acier depuis 2016. Toutefois, ces politiques ont surtout été axées sur la réinstallation et le réemploi ailleurs dans l'industrie du charbon pour les travailleurs des sociétés à capitaux publics, avec des subventions pour les travailleurs licenciés qui ne peuvent pas retrouver un emploi immédiatement. Cette stratégie ne sera plus viable si le charbon doit être progressivement abandonné. La Chine doit recycler et intégrer les travailleurs des entreprises d'État et des mines privées dans des industries plus durables ou donner aux travailleurs âgés les moyens de prendre une retraite anticipée. 

La réduction de la dépendance de la Chine au charbon apportera aussi de grands avantages pour la santé publique. Le charbon est l’un des principaux responsables de la pollution atmosphérique en Chine. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le charbon est à l’origine d’environ 2 millions de décès par an dans le pays. Ces décès prématurés sont liés non seulement à la pollution atmosphérique causée par les centrales thermiques à charbon, mais aussi à la combustion résidentielle du charbon, qui libère des particules mortelles provenant du charbon non traité dans des espaces clos. Le degré de pauvreté énergétique est important dans les zones rurales, incluant les régions qui seront touchées par l'élimination progressive du charbon. De plus, les ménages concernés dépendent généralement de la combustion de charbon brut dans leur domicile pour le chauffage, la cuisson et les chaudières. Une transition équitable doit donc garantir une électrification équitable et un accès à des sources d’énergie plus propres et abordables, ce qui réduira la prévalence des maladies respiratoires et contribuera à combler le fossé socio-économique entre les zones urbaines et rurales en Chine. 

De même, le gouvernement chinois doit également s'attaquer au volet santé et sécurité au travail d'une transition équitable, car la pneumoconiose des travailleurs du charbon, communément appelée "maladie du poumon noir", est la maladie professionnelle la plus répandue en Chine. On estime à 6 millions le nombre de Chinois qui souffrent de pneumoconiose, mais très peu de travailleurs du charbon ont obtenu une indemnisation de la part des entreprises minières. Un programme de transition équitable pour les travailleurs licenciés du secteur du charbon doit prévoir une indemnisation et une assurance maladie suffisantes pour ceux qui souffrent de maladies respiratoires liées à leur activité professionnelle. 

En raison de la nature très localisée du secteur du charbon en Chine, il n'existe pas d'approche unique pour le recyclage et la réinstallation des travailleurs du charbon.   L'un des problèmes est que les grandes entreprises publiques ont construit des communautés entières, y compris des hôpitaux et des écoles, autour des mines existantes, d'où la réticence des travailleurs au chômage à déménager. Le gouvernement central chinois devrait coopérer avec les gouvernements locaux au niveau des provinces, des préfectures, des comtés et des cantons pour créer des politiques adaptées aux circonstances régionales.   Cependant, étant donné que le gouvernement central se concentre actuellement sur l'optimisation de la production de charbon et d'électricité, les efforts déployés pour coordonner une transition équitable ont été minimes.    

Certains gouvernements locaux ont commencé à mettre en œuvre des transitions vertes pour les collectivités dépendantes du charbon. Dans la province de Liaoning, le gouvernement provincial investit 117 milliards de dollars canadiens (600 milliards de yuans) dans le développement des énergies propres, avec de nouveaux projets d'énergie renouvelable, tels que des éoliennes, construits dans d'anciennes villes dépendantes du charbon comme Fuxin. À Xuzhou, dans la province de Jiangsu, un lac d'affaissement de mine de charbon a été récupéré et transformé pour devenir le parc de la zone humide du lac Pan'an (Pan’an Lake Wetland Park), aujourd’hui une attraction touristique populaire. Toutefois, ces projets ont été menés au coup par coup, et la volonté d'associer les travailleurs concernés et leurs communautés aux initiatives de transition écologique a été faible. Le gouvernement central devra fournir un mandat clair pour une transition équitable aux gouvernements locaux et coordonner les efforts afin de s'assurer que tous les travailleurs soient pris en charge de manière adéquate et inclus dans une future économie verte.  

Une réduction progressive à long terme du charbon en Chine sera difficile, mais nécessaire, dans la lutte mondiale contre le changement climatique. L'application d'une transition équitable dans l'industrie houillère chinoise permettra de faire en sorte que des millions de travailleurs chinois du charbon ne subissent pas le coût économique d'une transition verte. Si les responsables chinois investissent dans les travailleurs touchés, électrifient les collectivités pauvres en énergie, s'attaquent aux conséquences du charbon sur la santé publique et développent des alternatives économiques durables pour les collectivités dépendantes du charbon, la Chine peut devenir un modèle mondial de transition équitable, et son économie et sa société s'en porteront bien mieux.    

Les opinions exprimées ici sont celles de l'auteur et ne représentent pas nécessairement les opinions de la Fondation Asie Pacifique du Canada.

Patrick Wen Rui Leong

M. Wen Rui Leong est étudiant en maîtrise en Affaires internationales à l’Université Carleton, où il se spécialise dans les organisations internationales et les politiques publiques mondiales. Ses recherches sont axées sur les partenariats environnementaux régionaux de la Chine et leurs effets sur la gouvernance environnementale mondiale. Il est également analyste subalterne des politiques au sein d’Environnement et Changement climatique Canada, dans l’équipe chargée de l’engagement du Canada envers la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.