ASEAN Summit 2025 in Malaysia Group Shot
Anwar Ibrahim, premier ministre de Malaisie, au centre, entouré des participants au 46e sommet entre l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), le Conseil de coopération du Golfe et la Chine à Kuala Lumpur, en Malaisie, le mardi 27 mai 2025. | Photo : Samsul Said/Bloomberg gracieuseté de Getty Images

Le récent sommet de l’ANASE à Kuala Lumpur, en Malaisie – qui s’est tenu dans un contexte de montée du protectionnisme américain et des tarifs douaniers imposés par le président américain Donald Trump pendant son second mandat – a été l’occasion pour les pays d’Asie du Sud-Est de se regrouper et de renforcer les liens commerciaux et économiques existants.

Le thème de la présidence malaisienne de l’ANASE en 2025 est « inclusion et durabilité », avec un accent particulier sur la centralité et l’intégration économique de l’ANASE. À l’occasion du sommet des 26 et 27 mai, les dirigeants de l’ANASE ont adopté et signé la Kuala Lumpur Declaration on ASEAN 2045 : Our Shared Future (déclaration de Kuala Lumpur sur l’ANASE 2045 : notre avenir commun), une feuille de route sur 20 ans visant à guider le bloc face aux « mégatendances » mondiales tout en renforçant son rôle en tant que communauté.

Les objectifs énoncés dans la déclaration comprennent une augmentation importante du commerce et des investissements entre les pays de l’ANASE, faisant du bloc « la plateforme industrielle et manufacturière de l’Indo-Pacifique avec des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) dynamiques », et utilisant l’Accord-cadre sur l’économie numérique de l’ANASE (DEFA) pour doubler la valeur de l’économie numérique de la région et atteindre 2 billions $ US d’ici 2030.

Les réunions de l’ANASE ont longtemps été critiquées pour leur incapacité à produire des progrès concrets, en raison du respect par les membres des principes de consensus et de non-ingérence. Néanmoins, le sommet de cette année s’est distingué à plusieurs égards.

L’un des accomplissements les plus importants a été la tenue du tout premier sommet entre l’ANASE, le Conseil de coopération du Golfe et la Chine qui s’est déroulé en même temps que le Sommet de l’ANASE. (Les membres du Conseil de coopération du Golfe comprennent le Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.) Ce lien avec le Conseil de coopération du Golfe est important : son commerce total de marchandise avec la Chine s’élevait à près de 298 milliards de dollars américains en 2023 et 36 % des importations totales de pétrole brut de la Chine cette année-là provenaient de pays du Conseil. C’est également le septième partenaire commercial de l’ANASE.

Ce rassemblement de trois des régions à la croissance la plus rapide du monde pour une réunion trilatérale était historique, car il mêlait des liens commerciaux anciens à l’urgence géopolitique actuelle. Bien que l’ANASE et le Conseil de coopération du Golfe aient déjà tenu des réunions officielles, c’était la première fois que la Chine y était invitée. Ce carrefour tridirectionnel allie les leviers financiers des pays du Golfe, les capacités technologiques de la Chine et les liens dynamiques entre la demande et la chaîne d’approvisionnement du marché de l’ANASE. Parmi les engagements pris par les trois partenaires figurent le renforcement de la collaboration économique, l’amélioration de la connectivité, la coopération en matière de développement durable et un rôle plus actif des pays du Sud dans la gouvernance mondiale.

Les discussions ont également porté sur la dédollarisation et l’autonomie financière, les délégués plaidant pour des systèmes de paiement transfrontaliers interopérables afin de se prémunir contre l’instabilité extérieure. Prises ensemble, ces données indiquent que les pays du Sud perçoivent une augmentation de l’isolationnisme commercial des États-Unis et y réagissent. Moins de deux mois après l’annonce des tarifs douaniers réciproques par Donald Trump le 2 avril, « jour de la libération », les répercussions sont déjà perceptibles dans la région et de nouvelles relations commerciales et géoéconomiques se développent rapidement pour protéger les pays contre une dépendance excessive à l’égard des États-Unis.

Que la Chine ait figuré en bonne place n’a rien de surprenant; le premier ministre Li Qiang, qui a participé au sommet trilatéral, a déclaré que la Chine était disposée à s’allier à l’ANASE et au Conseil de coopération du Golfe pour « exploiter pleinement la synergie “un plus un plus un sont supérieurs à trois” », afin de partager « les valeurs asiatiques communes de paix, de coopération, d’ouverture et d’inclusion ».

Cette déclaration s’inscrit dans le contexte de la récente tournée du président chinois Xi Jinping en Asie du Sud-Est, qualifiée d’« offensive de charme », à un moment où la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine s’envenimait. Bien que les négociations entre Washington et Beijing viennent de s’achever, l’incertitude qui a entaché l’année 2025 est suffisante pour forcer les États de l’ANASE à nouer de nouvelles amitiés. Par conséquent, les membres du bloc ont fait progresser les négociations sur l’Accord sur le commerce des marchandises de l’ANASE (ATIGA) et l’Accord de libre-échange ANASE-Chine version 3.0 (ACFTA), deux accords majeurs pour une intégration économique plus poussée et une plus grande résilience de la chaîne d’approvisionnement. Plus précisément, la mise à niveau de l’ACFTA a introduit neuf nouveaux chapitres sur l’économie numérique, l’économie verte et la connectivité de la chaîne d’approvisionnement, et vise à construire un « mégamarché entre la Chine et l’ANASE » fondé sur un avenir commun et la promotion de la « prospérité et du développement communs ».

Toutefois, malgré le positionnement géopolitique, des questions subsistent sur les résultats concrets et substantiels de ce Sommet de l’ANASE. Par exemple, la Malaisie, en tant que présidente de l’ANASE, avait déjà encouragé les membres du bloc à adopter une position commune en réponse aux tarifs douaniers américains, mais le Vietnam, l’un des pays les plus durement touchés de la région, a envoyé des négociateurs directement à Washington, D.C., mesure prise ensuite par la Malaisie.

Au bout du compte, la position du Sommet de l’ANASE était de réaffirmer son engagement à s’abstenir d’imposer des mesures de représailles en réponse aux tarifs douaniers américains. Bien que certains membres engagent des négociations bilatérales avec Washington, les dirigeants de l’ANASE ont également formé un groupe de travail pour coordonner la réponse régionale. Le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a également contacté Donald Trump pour organiser un sommet entre les États-Unis et l’ANASE. Plutôt qu’une position dure, il semble que les pays tableront sur davantage de négociations et de stratégies.

La situation au Myanmar et en mer de Chine méridionale figurent parmi les défis. Au cours du sommet, il y a eu une nouvelle poussée en faveur d’un plan de consensus en cinq points pour résoudre la crise du Myanmar. Une déclaration en faveur d’« un cessez-le-feu étendu et élargi » a été approuvée, exhortant toutes les parties à reprendre le cessez-le-feu temporaire d’avril 2025 à la suite du tremblement de terre dévastateur du mois précédent dans ce pays. Au sujet de la question plus délicate de la situation en mer de Chine méridionale, la déclaration du sommet a réaffirmé son ferme soutien à un code de conduite juridiquement contraignant entre l’ANASE et la Chine, fondé sur le droit international, y compris la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982.

La bataille sera toutefois difficile pour parvenir à une position commune sur la mer de Chine méridionale, étant donné que les revendications territoriales des États divergent. Les Philippines ont dénoncé avec force les infractions de la Chine en mer des Philippines occidentales et demandent aux États de l’ANASE d’adopter collectivement l’initiative de transparence qu’elle a lancée en février 2023 et de diffuser publiquement des photos et des vidéos d’un navire chinois utilisant un laser militaire contre un navire des garde-côtes philippins. Cette initiative de transparence vise à exposer les actions de la Chine en mer de Chine méridionale, qui, espère Manille, unira l’ANASE autour de la volonté de défendre ses eaux territoriales.

D’autres États de l’ANASE, dont la Malaisie, ont été réticents à joindre cette initiative de peur qu’elle n’entraîne une nouvelle agression de la Chine et d’aller à l’encontre de la préférence du bloc pour la diplomatie discrète. Lors d’un dialogue sur la sécurité maritime de l’ANASE à Manille en mai 2025, des diplomates, des groupes de réflexion et des universitaires de l’ANASE ont discuté de solutions communes à ce problème en cours, tout en respectant un engagement en faveur d’un ordre fondé sur les règles et sur la CNUDM. Toutefois, les participants ne croyaient pas à la création d’un Code de conduite ANASE-Chine au cours de la prochaine décennie et doutaient de son efficacité dans le maintien de la paix et de l’ordre en mer de Chine méridionale.

Compte tenu de la capacité du bloc à faire d’énormes progrès sur le plan commercial, l’ANASE pourrait bénéficier d’une position plus forte et plus unie sur la question de la mer de Chine méridionale, une position qui ne provoquerait pas la Chine, mais qui affirmerait plutôt que la région de l’Asie du Sud-Est a besoin d’une sécurité à long terme et d’une stabilité liée à la défense pour tirer le meilleur parti de son intégration commerciale et économique.

Une autre étape importante de ce Sommet de l’ANASE a été l’annonce de l’admission de son nouveau membre, le Timor-Leste, cette année. Le Timor-Leste deviendra bientôt membre à part entière du bloc, après quoi l’ANASE inclura tous les États souverains situés dans la limite géographique de l’Asie du Sud-Est. Cette adhésion pourrait soutenir et développer l’engagement de l’ANASE en faveur du multilatéralisme, étant donné que le Timor-Leste est membre de la Communauté des pays de langue portugaise, qui comprend notamment le Brésil.

Malgré une certaine inquiétude au début quant à la capacité et à la préparation du Timor-Leste à rejoindre l’ANASE – le Timor-Leste étant une petite nation – les pays voisins ont contribué à sa préparation institutionnelle et diplomatique. Par exemple, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines avaient déjà contribué à la formation et aux capacités techniques des fonctionnaires du Timor-Leste. Il s’agit donc d’un moment historique pour l’ANASE : elle accueille une nation qui a lutté fort pour obtenir son indépendance. En outre, le Timor-Leste est l’un des trois seuls États membres de l’Asie du Sud-Est, avec l’Indonésie et les Philippines, qui font partie de la plateforme internationale du Partenariat pour un gouvernement ouvert, une initiative de transparence qui encourage la responsabilité, l’inclusion et la participation. Le pays pourrait encourager d’autres États membres de l’ANASE à participer et à réaffirmer leurs engagements en matière de transparence et de responsabilité.

Ces avancées sont importantes pour les partenaires de dialogue de l’ANASE, notamment le Canada, l’Union européenne et d’autres puissances occidentales. Alors que les incertitudes commerciales mondiales persistent, l’ANASE se présentera comme une plaque tournante dans un monde de plus en plus multipolaire. Comme le montre le sommet entre l’ANASE, le Conseil de coopération du Golfe et la Chine, l’ANASE peut tirer parti de sa capacité à rassembler des communautés à travers le monde.

C’est l’occasion pour le nouveau premier ministre canadien, Mark Carney, d’approfondir ses relations avec la région. En octobre 2024, le premier ministre canadien, Justin Trudeau à l’époque, s’est joint aux dirigeants de l’ANASE lors d’un « Sommet extraordinaire ANASE-Canada sur l’amélioration de la connectivité et de la résilience de l’ANASE ». En mai 2025, lors du 22e Dialogue ANASE-Canada qui a eu lieu au Laos, le Canada a réaffirmé son engagement à l’égard du partenariat et de la coopération stratégiques dans des domaines tels que la coopération maritime, la cybersécurité et la lutte contre la criminalité transnationale. Alors que la Déclaration conjointe sur le partenariat renforcé ANASE-Canada (2021-2025) expire à la fin de cette année, les dirigeants canadiens devraient anticiper l’adoption du nouveau Plan d’action ANASE-Canada pour 2026-2030, en particulier à l’approche du sommet des partenaires à la fin 2025.

Il convient de noter que les États-Unis sont toujours un acteur majeur de l’investissement étranger direct de l’ANASE, représentant 32 % du total de cet investissement en 2023. Pour cette raison, et en raison d’autres facteurs géopolitiques et géoéconomiques, l’ANASE ne fermera pas la porte à la négociation de tarifs douaniers ni à toute autre question liée au commerce avec les États-Unis. Toutefois, comme les États-Unis se sont révélés être un partenaire de moins en moins prévisible et fiable, le Canada est bien placé pour mieux se positionner.

Le Canada peut le faire tout en réaffirmant son engagement envers un ordre international fondé sur des règles, que l’ANASE appuie également. Depuis des décennies, la position internationale du Canada est si étroitement liée à celle des États-Unis que pour les partenaires à l’extérieur de l’Amérique du Nord, les deux pays sont presque la même entité. Pour avoir de meilleures relations internationales, le Canada devrait affirmer ses propres principes, s’appuyer solidement sur ses fondements de puissance moyenne et favoriser des relations plus solides et plus profondes avec l’ANASE par divers moyens. Encourager l’engagement de l’ANASE en faveur du libre-échange multilatéral, de l’ordre international fondé sur des règles et de la neutralité stratégique est une façon d’y parvenir; l’introduction de voies stratégiques concrètes pour développer des relations économiques et commerciales accélérerait encore plus l’amélioration de ces relations.

• Édition par Erin Williams, gestionnaire principale de programme; Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie; et Ted Fraser, rédacteur principal, FAP Canada

Tricia Yeoh

La Dre Tricia Yeoh est professeure agrégée de pratique à l’École de politique et de relations internationales de l’Université de Nottingham en Malaisie et chercheuse principale à la Fondation Asie-Pacifique du Canada.

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