À retenir :
Le Canada a formalisé ses liens en matière de défense avec l’Indonésie à travers un récent protocole d’entente sur la coopération militaire, établissant une collaboration structurée dans les exercices conjoints, la sécurité maritime, le renforcement des capacités et les échanges professionnels.
En plus de l’accord de partenariat économique global (APEG) entre le Canada et l’Indonésie, qui devrait être signé en 2025, le protocole d’entente sur la défense reflète l’approche intégrée d’Ottawa envers l’Asie du Sud-Est, liant sécurité et instruments économiques.
Le statut de l’Indonésie, en tant que plus grande économie de l’Asie du Sud-Est et emplacement maritime stratégique, en fait un partenaire décisif dans un paysage régional encombré. La posture de non-alignement de Jakarta signifie que la valeur du Canada se manifeste dans sa complémentarité aux initiatives américaines, australiennes et japonaises, tout en offrant des contributions axées sur la connaissance du domaine maritime et le renforcement des capacités, façonnant ainsi la profondeur et la durabilité de la présence du Canada dans l’Indo-Pacifique.
En bref :
- Le 25 août, le Canada et l’Indonésie ont conclu un protocole d’entente sur la coopération militaire entre les Forces armées canadiennes et les Forces armées nationales indonésiennes. L’accord couvre l’entraînement conjoint, la coopération en matière de sécurité maritime, le renforcement des capacités de défense et les échanges visant à accroître l’interopérabilité.
- La conclusion du protocole coïncide avec la participation du Canada au grand exercice militaire conjoint Garuda Shield. L’exercice, qui a débuté en 2007 comme exercice bilatéral entre les États-Unis et l’Indonésie, est devenu une plateforme multinationale majeure pour la coopération en matière de défense. L’édition 2025 est la plus importante à ce jour, rassemblant plus de 6 500 troupes de 13 nations, incluant le Canada, l’Australie, le Brésil, Brunei, la France, l’Inde, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Royaume-Uni et les États-Unis, avec le Cambodge, l’Inde et la Papouasie-Nouvelle-Guinée en tant qu’observateurs. L’exercice de cette année a mis en avant l’assistance humanitaire, le secours en cas de catastrophe et les opérations conjointes, fournissant ainsi un banc d’essai pour la coordination bilatérale et multilatérale.
- Le Canada complète ses efforts en coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité à travers les forums régionaux sur la sécurité. Le Canada est membre fondateur du Forum régional ANASE de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), participe aux réunions des ministres de la Défense de l’ASEAN-Plus comme observateur dans les groupes de travail sur la sécurité humanitaire et la sécurité maritime, et a ratifié des accords de sécurité antérieurs avec la Malaisie, les Philippines, et Singapour.
Implications :
Le protocole d’entente renforce la présence canadienne dans l’Indo-Pacifique en consolidant sa présence sécuritaire en Asie du Sud-Est. L’Indonésie, en tant que plus grande économie de l’Asie du Sud-Est et état maritime stratégique, joue un rôle pivot pour le Canada. Le pays abrite des routes maritimes vitales, notamment les détroits de Malacca et de Sunda, essentiels aux flux commerciaux internationaux. Le détroit de Malacca, par exemple, gère environ 30% du commerce mondial, consacrant ce couloir comme clé reliant les océans Indien et Pacifique. Le détroit de Sunda, moins fréquenté, représente une route stratégique inestimable en cas de perturbations dans le détroit de Malacca.
Cette importance géographique s’entrecroise avec les activités régionales plus larges du Canada. Selon une étude du Lowy Institute, le Canada a réalisé 35 exercices conjoints en 2023-2024 en Asie du Sud-Est et se classe dixième quant à son importance dans la coopération en matière de défense dans cette région. Le Canada pénètre un domaine encombré où la confiance et l’engagement durable sont essentiels. Pour se démarquer, Ottawa devra faire preuve de constance à long terme et livrer des contributions spécifiques, notamment dans les domaines liés à la connaissance maritime, à l’aide humanitaire et à la sécurité climatique. Pour l’Indonésie, pays non aligné participant à des exercices avec des puissances occidentales et non occidentales, la valeur du Canada réside dans sa capacité à complémenter les initiatives américaines, japonaises et australiennes, tout en offrant une coopération pragmatique sans imposer un alignement stratégique. Cette démarche d’équilibriste déterminera dans quelle mesure le Canada pourra s’intégrer aux réseaux de sécurité de l’Asie du Sud-Est.
L’engagement du Canada reflète des dynamiques régionales plus larges. Des exercices multinationaux tels que le Super Garuda Shield, l’exercice Balikatan (exercice militaire annuel entre les Philippines et les États-Unis) et le Rim of the Pacific Exercise (le plus grand exercice maritime de l’Indo-Pacifique) soulignent l’engagement militaire croissant des partenaires régionaux et extra-régionaux, dont le Canada, envers l’Asie du Sud-Est. Collectivement, ces activités renforcent l’intégration du Canada dans l’architecture sécuritaire croissante de la région. Globalement, les États-Unis restent le premier partenaire en matière de défense dans la région, responsables d’environ 40% de tous les exercices bilatéraux et multilatéraux en 2023-24, notamment dans les États maritimes d’Asie du Sud-Est. Le Japon et l’Australie suivent de près, avec 134 et 104 exercices respectivement, facilitée par des ententes offrant des avantages concrets tels que l’appui logistique, le partage de renseignements et les transferts de technologies de défense. En comparaison, les ententes de défense chinoises sont généralement plus symboliques, axées sur le dialogue et des gestes de bonne volonté, plutôt que sur une interopérabilité substantielle ou un partage technologique. Son influence est plus marquée en Asie du Sud-Est continentale, où elle est le premier partenaire au Laos et au Cambodge.
Ce qui s'ensuit :
1. Opérationnaliser le protocole d’entente
Le Canada et l’Indonésie devraient faire avancer les initiatives tangibles sous le protocole d’entente, notamment les exercices pratiques, les échanges d’officiers, la coopération en matière de sécurité maritime et les programmes de renforcement des capacités. La participation au Super Garuda Shield 2025 représente une plateforme opportune pour tester l’interopérabilité, la coordination des réponses en temps de crise et les opérations d’assistance humanitaire avec les partenaires régionaux. Dorénavant, l’enjeu sera d’institutionnaliser ces activités pour assurer la continuité et approfondir la collaboration en matière de défense.
2. L’intégration régionale à travers les plateformes de l’ANASE
La conclusion attendue de l’accord de libre-échange Canada-ANASE en 2025 constitue une opportunité pour intégrer la coopération bilatérale en matière de défense avec l’Indonésie au sein d’une stratégie régionale économique plus large. Allier les initiatives de sécurité aux engagements économiques pourrait renforcer la crédibilité et l’influence d’Ottawa, mais la réussite dépendra de la capacité du Canada à naviguer autour des préférences de l’ANASE pour des approches non confrontatrices, basées sur le consensus et les manœuvres d’ajustement régional entre grandes puissances. La capacité d’Ottawa à tirer parti de ses atouts spécifiques témoigne de sa fiabilité et fournit des contributions concrètes, déterminantes pour la profondeur et la durabilité de sa présence dans l’Indo-Pacifique.
3. Naviguer l’équilibre militaire-civil en Indonésie
En mars, les politiques de défense de l’Indonésie sous la présidence de Prabowo Subianto ont été révisées pour élargir le rôle du militaire dans les affaires civiles, réactivant ainsi certains éléments d’anciennes doctrines où l’armée assumait des fonctions civiles. Ce double système a été formellement aboli en 1998, mettant fin à environ trois décennies d’implantation militaire dans les sphères politiques et administratives civiles. Des critiques soulignent que le retour à cette pratique risque de compromettre les institutions démocratiques.
Cette inquiétude a pris une nouvelle forme d’urgence ces dernières semaines, alors que plusieurs manifestants considèrent la dépendance du gouvernement aux forces de sécurité comme faisant partie du grand retour de la dominance militaire dans la vie civile. Les manifestations, commencées fin août concernant les avantages exécutifs et les préoccupations liées au coût de la vie, ont récemment dégénéré en violences après la mort d’un livreur, attisant la colère autour de la brutalité policière et de l’administration Prabowo. La réponse agressive du gouvernement à ces manifestations a intensifié l’examen de la militarisation des villes, avec des affrontements émergents à Jakarta et Makassar.
À mesure que l’Indonésie actualise ses politiques nationales de défense pour 2025-2029, elle doit relever le défi de renforcer la sécurité tout en protégeant ses normes démocratiques. Pour le Canada, cela souligne la nécessité d’intégrer la coopération en matière de défense avec un appui à la transparence, à la reddition de comptes et à l’équilibre civil-militaire afin de maintenir des partenariats crédibles et durables dans la région.
Édité par Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada