L’incertitude tarifaire, un enjeu de taille pour le Japon

Japanese auto factory worker

À retenir

Suite à la décision de l’administration américaine, annoncée le 2 avril, d’imposer des droits douaniers de base de 10 % à compter du 5 avril et des droits réciproques de 24 % à compter du 9 avril, le premier ministre japonais Ishiba Shigeru et le président américain Donald Trump ont eu un entretien téléphonique de 25 minutes le 7 avril, au cours duquel M. Ishiba a demandé à M. Trump de revenir sur sa décision. Le 9 avril, le président Trump a annoncé le report de 90 jours de la mise en place des droits de douane réciproques, mais le choc demeure réel pour le Japon. Washington a certes indiqué que le Japon aurait priorité dans les prochaines négociations commerciales, mais, dans les milieux politiques de Tokyo, certains se sentent trahis par Trump et son rejet de la demande d’exemption du Japon, et se refusent un trop grand optimisme quant à l’avenir bilatéral.

En bref

  • En mars, M. Trump a accusé le Japon de manipuler sa devise et, le 2 avril, a qualifié les pratiques commerciales du Japon d’« injustes », prenant pour exemple un droit de douane de 700 % sur le riz américain, une affirmation que Tokyo dément formellement. Dans la perspective des droits douaniers de 24 % qui risquent de frapper les exportations japonaises, des représentants du gouvernement japonais ont exprimé leur « profond regret » face à la décision de M. Trump d’imposer ces droits. Une taxe de 25 % sur l’acier et l’aluminium est déjà en place depuis le 12 mars, et aucun pays n’en est exempté.
  • Les droits de douane de 25 % sur les voitures, également en vigueur depuis le 3 avril, risquent de faire perdre quelque 15,3 milliards de dollars canadiens (1,6 billion de yens) par an à Toyota, Honda, Nissan et Mazda, compte tenu de la place de 28 % occupée par le secteur automobile dans les exportations japonaises à destination des États-Unis. Les analystes préviennent en outre que l’augmentation des droits d’importation sur les voitures pourrait réduire la croissance du PIB japonais de 0,2 % sur deux ans.
  • Au vu de droits de douane américains considérés comme une « crise nationale », le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir et le premier ministre Ishiba ont mis sur pied un nouveau comité le 11 avril pour faire face à l’intensification des pressions tarifaires. Comme réaction intérieure, le gouvernement japonais envisage notamment de distribuer une somme de 286 $ à 476 $ CA (30 000 à 50 000 yens) à chaque citoyen, estimant que les droits de douane élevés imposés par l’administration Trump pourraient persister dans un avenir prévisible.
  • Les dirigeants industriels japonais cherchent à obtenir des exemptions stratégiques, tandis que les décideurs politiques envoient des émissaires de haut rang nouvellement nommés pour entamer des pourparlers directs avec leurs homologues américains. Le 4 avril, le premier ministre Ishiba a signalé que le Japon envisageait diverses mesures de rétorsion envers les États-Unis, y compris d’éventuels droits de représailles en vertu des lois nationales et une action auprès de l’Organisation mondiale du commerce.

Conséquences

Lors de la visite officielle du premier ministre Ishiba à Washington en février 2025 (il fut alors le premier dirigeant d’Asie à rencontrer le président Trump), le Japon s’est engagé à soutenir les objectifs protectionnistes des États-Unis en élargissant la coopération économique et en réaffirmant les engagements de défense des États-Unis dans l’Indo-Pacifique. L’inclusion du Japon dans la vague de droits de douane réciproques annoncée le 2 avril a pris le Japon par surprise, car le Japon prévoyait en être exempté compte tenu de son « statut spécial » en tant que principal allié des États-Unis et investisseur majeur au pays. Les discussions prévues ce mois-ci entre le Japon et les États-Unis devront reprendre là où le sommet les a laissées, et aborder l’acquisition de U.S. Steel par Japan Steel, de même que l’élargissement de la coordination de la politique monétaire, en plus des négociations tarifaires.

Les entreprises japonaises tentent proactivement de se protéger contre les vents contraires qui prévalent dans le paysage commercial. La décision de Honda de s’approvisionner en batteries pour véhicules hybrides auprès de l’usine de Toyota en Caroline du Nord, par exemple, témoigne d’une collaboration plus étroite entre les constructeurs automobiles dans le but d’atténuer les effets des droits de douane. Honda pourrait également envisager d’accroître sa production aux États-Unis, puisque 38 % de ses ventes américaines proviennent actuellement du Canada ou du Mexique. Par ailleurs, l’engagement du conglomérat japonais SoftBank, à hauteur de 141,4 milliards $ CA, en faveur d’entreprises américaines dans le domaine de l’IA met en lumière le désir des grandes entreprises de faire preuve de bonne volonté. Sur le plan politique, le Japon fait pression pour obtenir des exemptions sur l’acier et l’aluminium, soulignant que les métaux japonais spécialisés demeurent essentiels pour l’industrie manufacturière américaine. Les pourparlers en vue d’acquérir du matériel militaire américain, éventuellement l’avion-cargo C17, reflètent également les efforts déployés pour apaiser les attentes de Washington en matière de dépenses de défense, qui, selon Tokyo, devraient atteindre 2 % du PIB d’ici 2027.

Les tensions avec les États-Unis pourraient conduire le Japon à améliorer ses relations commerciales avec la Chine. En 2023, en réponse aux pressions exercées par Washington pour limiter les transferts de technologies sensibles, Tokyo a certes révisé ses règles d’exportation et exige désormais des licences pour 23 types d’outils semi-conducteurs avancés, mais cette politique s’abstient de nommer explicitement la Chine. On peut y voir une volonté de Tokyo de ne pas trop contrarier la Chine, qui reste au cœur des chaînes d’approvisionnement japonaises. Le premier ministre Ishiba s’est d’ailleurs engagé à nourrir des « relations stratégiques et mutuellement bénéfiques » avec Beijing, notamment au moyen de sommets et de missions commerciales de haut niveau. Au moment où les pressions tarifaires et les risques géopolitiques s’intensifient, concilier les réalités de la sécurité nationale et de l’interdépendance économique reste un défi crucial pour le Japon.

Prochaines étapes

  • Pourparlers Japon-Chine et coordination trilatérale : la visite du premier ministre Ishiba en Chine, prévue en mai, met en évidence la couverture stratégique du Japon face à l’augmentation des droits de douane américains. Lors d’une récente réunion économique et commerciale trilatérale avec Beijing et Séoul, la première en cinq ans, les discussions ont principalement porté sur les inquiétudes des trois parties face au protectionnisme et à la stabilité des chaînes d’approvisionnement. Tokyo souhaite renforcer les liens régionaux et explorer d’autres voies commerciales, notamment la possibilité d’un accord de libre-échange trilatéral avec la Chine et la Corée du Sud, afin de réduire les vulnérabilités liées au marché américain.
  • Répercussions sur la politique intérieure : au Japon, la décision de M. Ishiba de ne pas prendre de mesures de rétorsion immédiates est jugée trop faible et suscite de plus en plus de critiques. La fin de la période de grâce de 90 jours, en juillet, coïncide avec les élections à la Chambre haute du Japon, que le PLD de M. Ishiba doit absolument remporter pour conserver sa majorité. L’annonce de l’administration Ishiba d’exclure les questions monétaires des discussions ministérielles de cette semaine semble témoigner d’un certain durcissement. L’accroissement des pressions de la part du parti d’opposition pourrait pousser M. Ishiba à envisager des réductions d’impôts supplémentaires ou des solutions plus fortes, sans aller jusqu’à l’imposition de droits de représailles.
  • Retombées potentielles pour l’énergie et l’acier canadiens : les efforts déployés par le Japon pour resserrer ses liens économiques avec les États-Unis, y compris un projet de collaboration entre les États-Unis, le Japon et l’Alaska dans le domaine du GNL, qui pourrait ne pas être entièrement réalisable en raison de sa faible rentabilité, et une offre d’acquisition ou un plan d’investissement de plusieurs milliards de dollars ciblant U.S. Steel, soulèvent des préoccupations stratégiques pour le Canada. Le projet de GNL en Alaska pourrait nuire aux ambitions d’exportation de GNL de Kitimat (Colombie-Britannique) sur le marché asiatique, tandis que l’élargissement des investissements du Japon dans l’industrie de l’acier aux États-Unis risquerait d’éroder la compétitivité du Canada dans un de ses principaux secteurs d’exportation. Les décideurs politiques canadiens doivent évaluer de près ces risques émergents, au fur et à mesure que les négociations tarifaires se poursuivent entre les États-Unis et le Japon.

Tae Yeon Eom

En tant que chercheur à la Fondation Asie-Pacifique du Canada, Tae Yeon Eom examine les problèmes socio-économiques et politiques sur et autour de la péninsule coréenne, explorant comment ces dynamiques influencent les politiques nationales, la sécurité régionale et les relations internationales. En intégrant ces perspectives, son travail vise à fournir une compréhension globale des défis et des opportunités en Asie de l'Est aux lecteurs canadiens et internationaux.

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