Lundi, jour de l’Action de grâce, le Canada et l’Inde se sont attablés non pas pour dîner ensemble après des mois de tension, mais pour échanger des allégations, des récriminations et des expulsions spectaculaires, ce qui a eu pour effet de plomber les relations diplomatiques comme jamais et de mettre en péril les relations globales du Canada avec un pays désigné comme « partenaire stratégique » il y a deux ans à peine.
Cet épisode extraordinaire a été déclenché par la divulgation de la GRC au gouvernement de « preuves nombreuses, claires et concrètes » qui, selon les allégations, reconnaîtraient six diplomates, dont Sanjay Verma, le haut-commissionnaire de l’Inde, comme « personnes d’intérêt » en lien avec le décès de Hardeep Singh Nijjar, activiste sikh et citoyen canadien, à Surrey, en Colombie-Britannique, en juin 2023.
Au cours de la fin de semaine, Ottawa a exigé de New Delhi qu’elle lève l’immunité des six individus en question. New Delhi a refusé, de sorte que lundi matin, Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada, a émis un avis d’expulsion à leur endroit. Le gouvernement indien a par la suite « rappelé » les diplomates par mesure préventive.
Au Canada, il s’agit de la plus importante expulsion publique de diplomates étrangers depuis 1978, où le gouvernement de Pierre Trudeau avait expulsé13 diplomates soviétiques sur la base de soupçons d’espionnage.
Dans un communiqué de presse émis lundi, la GRC a souligné « l’ampleur et la portée des activités criminelles orchestrées par des agents du gouvernement de l’Inde » au Canada, alléguant des homicides, des extorsions, de la coercition et des menaces.
Michael Duheme, commissaire de la GRC, a averti que « malgré les mesures prises par les organismes d’application de la loi, les méfaits se poursuivent et constituent une menace importante pour [la] sécurité publique [de la population Canadienne] ».
Plus tard dans la journée, Joly a déclaré que les actes de violence allégués « ont vraiment augmenté » après les premiers commentaires en septembre 2023 du premier ministre Justin Trudeau liant des « agents du gouvernement de l’Inde » au décès de Nijjar.
Les alliés se sont montrés modestes dans leur soutien : mardi, le département d’État américain a déclaré que Washington souhaite « voir l’Inde coopérer avec l’enquête canadienne », alors que mercredi, le bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni a déclaré que « la coopération du gouvernement indien avec le processus judiciaire du Canada est la prochaine étape indiquée ».
Le soutien de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande s’est avéré plus réticent.
L’Inde nie et exerce des représailles
Le gouvernement indien a répliqué en expulsant six diplomates canadiens, dont le haut-commissaire en fonction et le haut-commissaire adjoint à New Delhi.
En outre, le ministère des Affaires étrangères de l’Inde a émis une déclaration virulente de 500 mots dans laquelle il rejette les allégations de la GRC, qu’il qualifie d’« absurdes » et considère influencées par le « programme politique du gouvernement Trudeau ».
Dans la déclaration, qui comporte des propos incendiaires habituellement réservés au Pakistan, ennemi juré de l’Inde, il accuse M. Trudeau d’être « hostile » à l’Inde et de « traîner le pays dans la boue » à des fins de gains politiques.
L’année dernière, Ottawa a tenté à plusieurs reprises de coopérer avec le gouvernement de Narendra Modi, premier ministre de l’Inde. Selon le Toronto Star, les tentatives de communication du Canada ont redoublé avant les allégations explosives de lundi.
À Singapour, en fin de semaine, le ministre adjoint des Affaires étrangères, le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement et le commissaire adjoint de la GRC ont rencontré Ajit Doval, conseiller de Modi à la sécurité nationale.
Les trois fonctionnaires auraient passé cinq heures à présenter des preuves à la GRC « concluant que six agents du gouvernement de l’Inde constituent des personnes d’intérêt dans des activités criminelles », selon Justin Trudeau.
Protéger le commerce de la crise diplomatique
Mary Ng, ministre canadienne responsable du commerce, a émis une déclaration lundi dans laquelle elle tentait de rassurer les entreprises qu’Ottawa « reste pleinement engagé à soutenir les liens commerciaux bien établis entre le Canada et l’Inde ».
En septembre 2023, en réponse aux premières allégations de M. Trudeau, New Delhi a évité d’entraver directement le commerce et les investissements, optant plutôt pour la suspension temporaire des services de visa pour les Canadiens.
En août 2024, le commerce de marchandises entre le Canada et l’Inde s’élevaità un total mensuel de 937 millions $ CA. En comparaison, le commerce de marchandises entre le Canada et la Chine s’élevait à 10,9 milliards $ CA le même mois.