Note documentaire sur le 10e anniversaire de l’Accord de libre-échange Canada-Corée

Canada and South Korea Flags

Importance de cet anniversaire

L’année 2025 marque le dixième anniversaire de l’Accord de libre-échange Canada-Corée (ALECC), entré en vigueur en 2015. Ce jalon arrive à un moment de grande incertitude causé par l’intensification des tensions entre les États-Unis et la Chine, l’évolution des chaînes d’approvisionnement et les pressions protectionnistes accrues de Washington. Dans ce contexte, l’ALECC est plus qu’une simple entente commerciale : il représente le premier accord de libre-échange bilatéral du Canada avec un partenaire de l’Indo-Pacifique, servant également d’ancrage stratégique pour ses engagements plus généraux dans la région. Ces dix dernières années, l’accord a permis de multiplier les occasions d’affaires et de renforcer les liens institutionnels avec la Corée du Sud, accentuant ainsi la présence du Canada dans la région. 

Dix ans de croissance 

Depuis l’entrée en vigueur de l’ALECC, l’échange de biens entre le Canada et la Corée du Sud a doublé (Figure 1). Plus précisément, les exportations de marchandises canadiennes sont passées d’un peu plus de 4 milliards $ CA en 2015 à 7,6 milliards $ CA en 2024, tandis que les importations de la Corée sont passées de 8,2 milliards $ CA à 16,9 milliards $ CA durant la même période. Cette croissance est le résultat de l’élimination quasi-totale des droits de douane – 93 % des exportations coréennes et 99 % des exportations canadiennes ne sont touchées par aucun droit de douane – et d’une meilleure complémentarité sectorielle entre les deux économies. 

Les données préliminaires de 2025 laissent croire que cette trajectoire se poursuit. Durant la première moitié de 2025, les exportations canadiennes en Corée ont atteint 8,2 milliards $ CA, surpassant déjà la somme pour toute l’année 2024, alors que les importations de la Corée se situaient à 3,7 milliards $ CA. Bien qu’il faille les interpréter prudemment, ces données semestrielles indiquent que le commerce bilatéral devrait battre un nouveau record en 2025.  

 

 

Exportations par secteur

Entre 2015 et juin 2025, les exportations canadiennes en Corée du Sud concernaient quelques secteurs importants, en grande majorité les produits minéraux. Les minerais, les combustibles minéraux et les ressources connexes comptent pour 57 % des exportations totales du Canada en Corée du Sud, ce qui souligne l’importance du rôle du marché comme destination pour l’économie des ressources canadiennes. Les produits agricoles, y compris la viande et les fruits de mer, forment le second pilier (12 %); la machinerie, le matériel électrique et les produits du bois constituent la majorité du commerce restant. En bref, le profil des exportations du Canada en Corée du Sud demeure fortement axé sur les ressources, mais se diversifie progressivement vers les produits fabriqués à plus forte valeur.

 

 

Les produits en provenance de la Corée du Sud sont principalement liés au secteur de la fabrication de pointe (Figure 3). De 2015 à 2025, les véhicules comptaient à eux seuls pour près de la moitié de toutes les importations (44 %, 48,8 milliards $ CA), suivis de la machinerie (17 %, 18,8 milliards $ CA), puis du matériel électrique (12 %, 13,6 milliards $ CA). Ensemble, ces trois catégories comptent pour près des trois quarts de la part totale des produits de haute technologie et industriels. Les produits du fer et de l’acier forment le deuxième groupe en importance; les produits chimiques, les plastiques et les produits pharmaceutiques composent la majorité du reste. Ce profil met en relief la force concurrentielle de la Corée du Sud en tant que fournisseur d’équipement de transport et de produits fabriqués de haute valeur pour le Canada.

 

 

Commerce des services

Le commerce des services bilatéral entre le Canada et la Corée du Sud a connu une croissance constante depuis la signature de l’ALECC, atteignant 2,5 milliards $ CA en 2023, contre 1,8 milliard $ CA en 2018. Les exportations de services canadiens ont presque doublé ces dix dernières années (passant de 1,1 milliard $ CA en 2015 à 1,9 milliard $ CA en 2024), se traduisant en un surplus commercial de services de plus en plus important. Deux principaux secteurs sont à l’origine de ce surplus : les voyages et les services commerciaux. Les dépenses des visiteurs sud-coréens au Canada demeurent la principale contribution à ce secteur; celles-ci ont d’ailleurs fortement rebondi depuis la pandémie pour remonter presque aux niveaux d’avant 2020. Les services commerciaux, y compris les services professionnels et techniques, rapportent un surplus stable à longueur d’année. Ensemble, ces secteurs rappellent la résilience du commerce bilatéral des services et l’importance grandissante des échanges de personne à personne et axés sur le savoir dans les relations économiques entre le Canada et la Corée du Sud.

Tendances provinciales : la Colombie-Britannique en tête, l’Alberta en hausse

Les exportations canadiennes en Corée du Sud sont très concentrées dans quatre provinces (Colombie-Britannique, Québec, Ontario et Alberta) qui, ensemble, comptent pour plus de 90 % du total. La Colombie-Britannique est invariablement en tête, contribuant à près de la moitié de toutes les exportations grâce à ses ports de transbordement sur le Pacifique et à ses vastes ressources naturelles. Les exportations de la province vers la Corée du Sud ont presque doublé depuis 2015, notamment grâce aux réductions des droits de douane, aux mesures de promotion du commerce et aux liens institutionnels renforcés. Les exportations de la Colombie-Britannique demeurent axées sur les combustibles minéraux, les minerais et les produits forestiers, ce qui en fait la principale courroie de transmission du commerce des ressources canadiennes en Asie du Nord-Est et le nouveau centre pour les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL).

 

 

De son côté, l’Alberta joue un rôle de plus en plus important dans le commerce entre le Canada et la Corée. En 2022, ses exportations ont grimpé à 1,5 milliard $ CA, surpassant brièvement celles du Québec et de l’Ontario, alors que la Corée du Sud s’est empressée de s’approvisionner en GNL d’une autre source à la suite du choc énergétique résultant de l’invasion généralisée de l’Ukraine par la Russie. Ce pic était surtout motivé par le prix, mais la part de plus en plus importante de l’Alberta dans les exportations totales depuis 2024 indique une réorientation continue du commerce énergétique canadien vers la Corée du Sud.

Quant au Québec et à l’Ontario, ils apportent de la diversité aux exportations. Le Québec exporte des minerais, de la pulpe et d’autres ressources, de même que des produits de son secteur aérospatial de calibre mondial. L’Ontario, pour sa part, exporte de la machinerie, des instruments optiques et des minéraux critiques, intrants essentiels aux secteurs de la fabrication avancée en Corée du Sud, notamment pour les batteries. Ensemble, ces profils provinciaux révèlent une relation commerciale influencée par les ressources canadiennes et le rôle émergent du pays comme fournisseur de composants industriels de grande valeur, ce qui laisse entrevoir la continuité des échanges et de nouvelles possibilités dans le cadre de l’ALECC.

Dans l’ensemble, les dix dernières années montrent une trajectoire claire. Le commerce entre le Canada et la Corée a cru de façon constante, s’est élargi dans plusieurs secteurs et s’est ancré dans une variété de ressources, d’énergies et de produits industriels de grande valeur. Cette concentration reflète à la fois la complémentarité structurelle et les possibilités émergentes en minéraux critiques, en GNL et en fabrication avancée, ce qui montre que les possibilités offertes par l’ALECC dépassent largement la réduction des droits de douane. Pour le Canada et la Corée du Sud, il s’agit d’une plateforme stratégique servant à surmonter les perturbations mondiales et pour le Canada, à renforcer sa présence dans la région indo-pacifique.

Rôle stratégique de l’ALECC dans le contexte des perturbations mondiales  

1) Protectionnisme et fragmentation du marché 

Le commerce mondial est entré dans une période de turbulence marquée par une remontée du protectionnisme et la fragmentation de la chaîne d’approvisionnement. Pour le Canada, ce nouvel environnement fait monter d’un cran la nécessité de diversifier son commerce et de disposer d’un accès stable et réglementé aux autres marchés. L’ALECC fournit un cadre fiable qui protège les exportateurs canadiens des chocs tarifaires soudains et contribue à préserver leur part de marché dans l’une des économies les plus concurrentielles de l’Indo-Pacifique.

Cas 1 : Exportations de porc

Les produits de porc canadiens sont parmi ceux ayant le plus bénéficié de l’ALECC. En 2024, le Canada était le quatrième fournisseur de viande en importance en Corée du Sud, y expédiant près de 535 milliards $ CA en produits de viande, principalement du porc, ce qui représente un taux de croissance annuel composé de 26 % depuis 2020. Les réductions douanières en vertu de l’ALECC jouent un rôle essentiel dans la compétitivité du porc canadien par rapport à celui des États-Unis et de l’Europe, ce qui permet aux producteurs du pays d’accroître leurs parts de marché malgré la volatilité de la demande mondiale et les pressions protectionnistes.

 

Cas 2 : Exportations d’huile de canola 

L’huile de canola canadienne a maintenu son emprise dans le marché en croissance rapide de l’huile à cuisson en Corée du Sud; en 2023, le Canada y était le quatrième fournisseur d’huile à cuisson, y expédiant pour environ 67 millions $ CA. Malgré la volatilité des prix causée par les événements climatiques et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le canola canadien est demeuré concurrentiel grâce aux droits de douane préférentiels prévus par l’ALECC, qui ont réduit ou éliminé les droits sur la plupart des produits de graines oléagineuses. Cette stabilité renforce le rôle du Canada en tant que fournisseur d’huiles de haute qualité dans un marché où les consommateurs sont toujours sensibles aux prix, mais préfèrent de plus en plus des importations constantes et sûres.

2) Changements technologiques dans l’économie numérique

Les progrès rapides en IA, en automatisation et en fabrication de pointe modifient le paysage mondial en matière de concurrence et de flux commerciaux. Dans le contexte de l’ALECC, le Canada et la Corée du Sud ont l’occasion de renforcer leur collaboration dans les domaines du commerce numérique, de la gouvernance en IA, de la cybersécurité et des technologies de nouvelle génération.

Cette possibilité se répercute déjà dans les partenariats dirigés par l’industrie. Appuyée par Samsung Securities, Tenstorrent, à Toronto, met au point des puces fragmentées pour l’IA en collaboration avec BOS Semiconductors, ce qui indique que l’intégration s’approfondit entre le secteur du matériel canadien pour l’IA et l’écosystème sud-coréen des semiconducteurs. De façon semblable, Kinaxis, basée à Ottawa, a établi un partenariat avec Samsung Electronics pour déployer RapidResponse, sa plateforme d’IA visant à optimiser les chaînes d’approvisionnement mondiales de Samsung. Les cas illustrés montrent que la collaboration bilatérale évolue, passant d’un dialogue sur les politiques, comme le Dialogue Canada-Corée (volet 1.5) sur l’intelligence artificielle en 2025, à des projets industriels concrets de grande valeur qui donnent aux deux économies une place plus concurrentielle dans un marché mondial de plus en plus numérique.

3) Sécurité énergétique et transition écologique 

La sécurité énergétique et la transition écologique sont devenues des piliers centraux de la coopération Canada-Corée du Sud en vertu de l’ALECC. La Corée du Sud, troisième pays importateur de GNL dans le monde, est confrontée au besoin urgent de diversifier ses sources énergétiques pour réduire sa dépendance aux fournisseurs géopolitiquement instables. Le Canada s’affaire d’ailleurs à accroître sa capacité d’exportation de GNL sur la côte ouest pour se positionner comme un fournisseur fiable à long terme. Exemple phare, le projet de GNL Woodfibre en Colombie-Britannique a trouvé des acheteurs sud-coréens pour des contrats à long terme, signe avant-coureur que le Canada pourrait pénétrer le marché énergétique de la Corée du Sud.

Au-delà du GNL, les deux pays s’accordent sur la coopération énergétique pour la nouvelle génération. En 2023, le Canada et la Corée du Sud ont signé un PE sur les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques et en hydrogène propre, liant ainsi les projets miniers canadiens aux écosystèmes sud-coréens de production de véhicules électriques et de batteries. Ces initiatives contribuent à l’intégration stratégique du commerce énergétique transactionnel à la chaîne d’approvisionnement, évolution qui solidifie la place du Canada dans les plans de décarbonation industrielle en Corée du Sud et positionne les deux pays de façon à profiter de la transition écologique mondiale.

4) Résilience de la chaîne d’approvisionnement 

La résilience de la chaîne d’approvisionnement constitue une priorité à la suite des perturbations liées à la pandémie, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des chocs climatiques qui exposent la vulnérabilité des réseaux de production mondiaux. L’ALECC offre un cadre réglementaire pour renforcer l’intégration de la chaîne d’approvisionnement Canada-Corée dans des secteurs critiques comme ceux des semiconducteurs, des matériaux de batteries et de l’agroalimentaire.

Un bon exemple de cette situation est l’investissement qu’a réalisé l’entreprise sud-coréenne POSCO Holdings en 2024 dans un projet de lithium canadien pour s’approvisionner en matériaux de batteries pour véhicules électriques, élaboré en partenariat avec Invest Albert. La coopération prend également de l’expansion en aval : NextStar Energy, la coentreprise ontarienne de LG Energy Solution–Stellantis, a entamé la production en série de modules de batteries à la fin 2024 et devrait commencer à produire des piles en 2025. Ensemble, ces investissements illustrent l’intégration des firmes sud-coréennes dans la chaîne d’approvisionnement des batteries au Canada, de l’exploitation minière à la fabrication, renforçant ainsi la sécurité de l’approvisionnement tout en faisant progresser l’ambition du Canada à devenir un partenaire fiable en transition écologique à l’échelle mondiale.

Les dix prochaines années 

La possible adhésion de la Corée du Sud à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), accord dont le Canada est l’un des 12 membres et fondateurs, donnerait lieu à d’autres occasions d’entente. Le Canada pourrait se servir des dispositions existantes de l’ALECC pour assurer une intégration harmonieuse, préservant l’accès préférentiel aux entreprises canadiennes tout en harmonisant les nouveaux engagements en vertu du PTPGP. Ce faisant, le Canada garantirait la continuité de ses activités et renforcerait sa coopération avec la Corée du Sud au sein d’une structure commerciale réglementaire plus vaste dans la région.

Les dix prochaines années de l’ALECC seront moins définies par l’élimination des droits de douane que par son rôle de plateforme servant à améliorer la coopération stratégique bilatérale. Le Canada et la Corée du Sud sont tous deux bien placés pour renforcer leur collaboration en ce qui a trait aux minéraux critiques, aux technologies de pointe, au commerce numérique et à l’énergie propre. Inspirées du cadre de l’ALECC, les ententes sectorielles ciblées pourraient transformer l’accord en une plateforme institutionnelle favorisant la croissance poussée par l’innovation et les partenariats en transition énergétique.

De plus, l’ALECC servira toujours de modèle important pour la stratégie de diversification du Canada en Indo-Pacifique. En tant que premier accord bilatéral de libre-échange du Canada avec un partenaire indo-pacifique, l’accord montre le rôle que les accords commerciaux peuvent jouer dans l’avancement des objectifs économiques et stratégiques. Profitant de cette réussite, le Canada peut se servir de l’ALECC comme modèle pour intégrer davantage la libéralisation du commerce en veillant à la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, à la résilience énergétique et à la coopération dans le secteur de l’économie numérique dans la région.

Sun Ryung Park

Sun Ryung Park Ph.d. est chercheuse-boursière principale, Asie du Nord-Est, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle s'intéresse à la transition écologique, à la sécurité énergétique et à la transformation numérique dans la région Asie-Pacifique.

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Hyun Kim est chercheur-boursier, Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacific du Canada, financé par le programme Global Challengers de la Korea Foundation. Hyun détient une maîtrise en sciences politiques axée sur la sécurité internationale de l'Université Hankuk des études étrangères.

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Jeehye Kim PhD est gestionnaire principale du programme pour l’Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacifique du Canada, supervisant le programme de recherche lié au Japon, à la Mongolie, à la Corée du Nord et au Sud et à Taïwan.

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