Alors que les tensions sur le commerce international s’intensifient, les Philippines se retrouvent prises entre deux de leurs plus grands partenaires économiques, les États-Unis et la Chine. En 2024, les États-Unis représentaient le principal marché d’exportation, tandis que la Chine dominait les importations. Cette double dépendance pose un enjeu stratégique croissant pour Manille, notamment face aux menaces accrues de tarifs imposés par Washington, son allié de défense de longue date, et dans un contexte de tensions maritimes persistantes avec Beijing en mer de Chine méridionale.
En réponse aux tarifs réciproques annoncés lors du « Liberation Day » par le président américain Donald Trump, les Philippines ont entamé des négociations avec les États-Unis tout en accélérant les efforts pour diversifier leur portefeuille commercial. Ces efforts incluent l’accélération des discussions sur les accords de libre-échange en vigueur avec le Canada et l’Union européenne, tout en élargissant les relations commerciales avec des marchés émergents plus proches. Notamment, sous le régime de tarifs réciproques de Trump, les Philippines bénéficient de droits de douane relativement plus faibles, ce qui en fait une destination attrayante pour les investissements et la relocalisation potentielle de chaînes de valeur. Cependant, concrétiser ces opportunités nécessitera de surmonter des défis de longue date, notamment la faiblesse des infrastructures logistiques philippines et les inefficacités persistantes de la réglementation.
L’exposition commerciale des Philippines aux États-Unis par rapport à la Chine
En 2024, les Philippines ont exporté 19,8 G$ CA de biens vers les États-Unis et importé 9,3 G$ CA, générant un excédent commercial de 6,8 G$ CA, ce qui souligne leur forte dépendance au marché américain. Une grande partie de ces exportations concerne des composants électroniques et des semi-conducteurs, des secteurs non seulement vitaux pour l’économie, mais aussi de plus en plus exposés aux tensions géopolitiques et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement.
En contrepartie, les Philippines ont exporté pour 13,1 G$ CA de produits vers la Chine et importé pour 45,8 G$ CA, faisant de la Chine leur principale source d’importations. Ce déséquilibre commercial, largement centré sur les matières premières et les produits intermédiaires, expose les Philippines à une potentielle coercition économique de la part de Beijing. La dépendance stratégique des Philippines envers la sécurité et la défense américaines, juxtaposée à leur dépendance économique vis-à-vis de la Chine, place Manille dans une situation géopolitique précaire.
Réponse des Philippines aux menaces tarifaires et aux pressions des États-Unis
En réponse à l’imposition par les États-Unis de tarifs réciproques de 17 %, Manille a exploré des canaux bilatéraux et régionaux pour négocier avec Washington. Le 2 mai, des responsables philippins ont rencontré le négociateur en chef américain, Jamieson Greer, afin de discuter« des moyens mutuellement bénéfiques pour renforcer les relations bilatérales ». Bien que les détails de la rencontre n’aient pas été divulgués, le gouvernement philippin a indiqué qu’il pourrait y avoir des concessions commerciales, telles qu’une réduction des droits de douane sur les importations américaines. Les Philippines ont également réaffirmé leur appui au communiqué conjoint de l’ANASE du 10 avril, s’opposant aux mesures de représailles contre les États-Unis.
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, ainsi que l’imposition de tarifs, constituent un obstacle majeur pour les exportations philippines, mais créent aussi de nouvelles opportunités dans un contexte de chaînes d’approvisionnement mondiales en constante évolution. Tandis que les tarifs douaniers relativement faibles des Philippines offrent une destination attrayante pour les entreprises cherchant à se relocaliser dans la région, ses faibles coûts de main-d’œuvre et sa population active anglophone renforcent aussi son attrait comme pôle industriel alternatif à des pays tels que l’Indonésie et le Vietnam.
De plus, dans le cadre du régime de tarifs réciproques, les Philippines bénéficient d’exemptions tarifaires plus importantes : environ un tiers de leurs exportations vers les États-Unis, principalement des produits électroniques de grande valeur comme les cartes mémoire et les semi-conducteurs, sont exemptés de droits américains. Toutefois, la capacité du pays à tirer parti de ces nouvelles opportunités dépendra de sa capacité à attirer et à retenir de nouveaux investissements, ainsi qu’à améliorer ses réseaux logistiques. Les investissements directs étrangers aux Philippines ont légèrement augmenté, passant de 8,2 G$ CA à 8,7 G$ CA entre 2022 et 2023. Cependant, les IDE philippins restent à la traîne par rapport à ceux de ses voisins régionaux, en raison de problèmes persistants liés à des systèmes financiers sous-développés et à un manque de transparence des processus réglementaires.
Opportunités et risques des liens étroits avec la Chine
Comme d’autres pays d’Asie du Sud-Est, les Philippines ont su tirer parti de liens économiques étroits avec la Chine, notamment grâce à un accès accru aux marchés et aux investissements. En 2024, la Chine représentait un quart des importations totales des Philippines. Les entreprises chinoises se sont également imposées comme des investisseurs majeurs, avec environ 30,8 G$ CA en IDE entre 2010 et 2023, investis dans des projets d’infrastructures et de développement communautaire à travers le pays.
Les investissements chinois aux Philippines ont continué d’augmenter malgré la position diplomatique plus ferme adoptée par le président Ferdinand Marcos Jr. envers la Chine, comparativement à son prédécesseur Rodrigo Duterte (2016–2022), qui privilégiait une approche de rapprochement avec Beijing pour garantir un soutien financier. Marcos Jr. a adopté une position plus rigide à l’égard des incursions maritimes chinoises en mer de Chine méridionale et a renforcé les liens stratégiques avec les États-Unis et leurs alliés. Malgré les tensions diplomatiques croissantes, la Chine a continué de fournir environ 279,5 M$ CA en prêts pour les infrastructures et a offert une aide au développement aux Philippines en 2023. Entre janvier et septembre 2024, Manille a approuvé des projets totalisant 25,2 M$ CA, soit plus du double de l’année précédente.
Dans un contexte d’incertitude croissante quant à l’engagement des États-Unis en Asie du Sud-Est, les Philippines marchent sur une corde raide dans la gestion de leurs relations avec la Chine. Bien que le pays continue de dépendre des fonds critiques de Pékin, Manille s’inquiète des risques pour sa souveraineté que pourrait entraîner cette dépendance économique, surtout en période d’incursions maritimes continues. Par conséquent, les Philippines ont adopté une approche à double volet : accueillir les investissements chinois en fonction des objectifs de développement national, tout en maintenant une position ferme sur la sécurité et le territoire.
Alternatives pour les Philippines en dehors des États-Unis et de la Chine : l’ANASE peut-elle aider ?
En dehors de leurs deux plus grands partenaires, les États-Unis et la Chine, les principaux marchés d’exportation des Philippines sont le bloc ANASE (15 %), le Japon (14,1 %), l’Union européenne (11 %) et la Corée du Sud (4,9 %). Après l’imposition des tarifs américains du 2 avril, le gouvernement philippin a exprimé sa volonté de diversifier le commerce avec les pays africains et latino-américains, bien que les échanges avec ces régions restent limités. En 2024, le Mexique, principale destination d’exportation des Philippines en Amérique latine, ne représentait que 1,2 % du total des exportations du pays, tandis que l’ensemble des pays africains ne comptait que pour 0,25 %.
En décembre 2022, les Philippines ont entamé des discussions préliminaires pour des accords de libre-échange avec des pays comme l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique. Toutefois, la plupart de ces discussions en sont encore aux premières étapes, à l’exception du Chili, où des négociations formelles doivent commencer en juillet 2025. En plus de l’absence d’accords commerciaux formels avec les pays d’Amérique latine, les entreprises philippines font face à des lacunes informationnelles sur ces marchés émergents et sur les voies d’accès, auxquelles s’ajoutent des barrières culturelles et linguistiques.
Outre les économies africaines et latino-américaines, des négociations commerciales sont en cours avec l’Union européenne, avec un accord attendu d’ici 2027. Le secteur textile philippin bénéficierait grandement d’un tel accord, avec des prévisions de 250 000 nouveaux emplois et 838,6 M$ CA en valeur additionnelle d’exportations au cours des deux à trois premières années de mise en œuvre. Au-delà du commerce, ces accords avec les alliés occidentaux reflètent une réorientation stratégique plus large. À mesure que les tensions mondiales s’intensifient et que les politiques américaines deviennent plus imprévisibles, notamment sous la présidence de Trump, les Philippines cherchent à forger des partenariats avec des économies alternatives partageant une vision commune.
À l’inverse, un approfondissement du commerce au sein de l’ANASE aiderait les Philippines à rééquilibrer leur portefeuille d’exportations et à réduire leur dépendance envers les États-Unis et la Chine, notamment dans les secteurs de haute performance comme l’électronique, les semi-conducteurs et le textile. À mesure que des pays comme la Malaisie, le Vietnam et la Thaïlande développent davantage leur industrie des semi-conducteurs, une chaîne d’approvisionnement plus intégrée au sein de l’ANASE permettrait aux Philippines de renforcer leur rôle dans la chaîne de valeur régionale. Entre janvier et août 2024, les semi-conducteurs représentaient 77 % du total des exportations électroniques philippines, soulignant les atouts du pays dans les activités en aval de l’industrie, telles que l’assemblage et l’emballage. Alors que de plus en plus de partenaires régionaux se tournent vers les processus en amont, comme la conception de puces et l’innovation, les Philippines bénéficieraient de la demande croissante pour les activités en aval.
Opportunités spécifiques pour le Canada afin d’approfondir les liens commerciaux avec les Philippines
Dans un contexte de montée du protectionnisme et de menace de récession économique mondiale, les Philippines cherchent activement à diversifier leur commerce. Si les États-Unis mettent en œuvre l’ensemble des tarifs réciproques annoncés par le président Trump, les principales industries philippines, dont l’électronique, le textile et l’agriculture, pourraient subir des pertes importantes. Pour atténuer ce risque, Manille renforce ses liens avec des partenaires alternatifs.
En 2023, le Canada a importé 2,2 G$ CA de produits philippins et exporté 1,2 G$ CA vers les Philippines, faisant de ce pays le troisième plus grand marché d’exportation du Canada au sein du bloc ANASE. La viande et le blé figuraient parmi les principales exportations canadiennes vers les Philippines, avec une valeur respective de 255 M$ CA et 235 M$ CA. Depuis 2020, les exportations de viande canadienne vers les Philippines ont plus que doublé, avec une croissance prévue de 22 % d’ici 2030. Toutefois, le Canada ne fournit actuellement que 4 % du total des importations de blé des Philippines, ce qui souligne un potentiel de croissance important dans ce secteur.
En mai 2025, les Philippines ont exprimé leur intérêt à rejoindre formellement l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). En décembre 2024, le Canada et les Philippines ont entamé des discussions exploratoires en vue d’un accord de libre-échange, avec des discussions préliminaires supplémentaires tenues en juin 2025 et des négociations exploratoires prévues d’ici la fin de l’année. Un tel accord offrirait des avantages significatifs pour les Philippines, en réduisant les tarifs sur les exportations clés (électronique, semi-conducteurs, produits agricoles) et en soutenant les efforts de diversification des marchés d’exportation au-delà des États-Unis.
Au-delà du commerce, les secteurs de l’énergie propre et de la cybersécurité offrent aussi des opportunités solides pour élargir la coopération avec le Canada. En 2024, le gouvernement canadien a exprimé son appui à la transition des Philippines vers l’énergie propre, notamment en diversifiant leurs sources énergétiques, comme le nucléaire, un domaine dans lequel le Canada possède une expertise reconnue. De plus, le Canada, reconnu comme chef de file mondial en cybersécurité, devrait permettre aux Philippines de profiter des initiatives conjointes continues en formation et gouvernance du cyberespace, ainsi que du déploiement d’attachés cybernétiques canadiens dans l’ensemble de l’Indo-Pacifique.
• Édité par Vina Nadjibulla, vice-présidente chargée de la recherche et de la stratégie, FAP Canada