Conclusions principales :
Les élections à la Chambre haute du Japon, tenues le 10 juillet, ont porté un coup historique pour le Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir et son partenaire junior, Komeito, qui ont perdu le contrôle majoritaire de la Chambre haute du Parlement. Sur les 125 sièges disputés, la coalition n’a obtenu que 47, tandis que l’opposition, menée par le Parti démocrate constitutionnel (centre-gauche), en a remporté 78, tirant parti de la frustration des Japonais face à la hausse du coût de la vie et à la détérioration du climat des tarifs douaniers.
Le parti populiste Sanseito a également enregistré des gains inattendus, remportant 14 sièges grâce à une campagne anti-immigration sous le slogan « Les Japonais d’abord ». Le premier ministre japonais, Ishiba Shigeru, déjà éprouvé par la défaite aux élections législatives de l’année précédente, a accepté ces « résultats difficiles » mais a déclaré qu’il resterait en fonction.
Ces élections ont fait office de référendum sur la gestion économique du gouvernement, notamment en raison des négociations tarifaires stagnantes avec les États-Unis, les électeurs ayant choisi de soutenir les partis prônant un allégement fiscal.
En bref :
- Dans sa pire performance depuis la fin des années 1990, la coalition PLD-Komeito n’a pas réussi à obtenir les 50 sièges nécessaires (sur les 150 disputés) pour préserver la majorité. Ayant déjà perdu la chambre basse en octobre 2024 pour la première fois depuis 2009, ce dernier revers affaiblit davantage le gouvernement minoritaire d’Ishiba, augmentant l’incertitude quant à son avenir.
- Le parti d’extrême droite Sanseito est passé d’un seul siège à 14 sièges inattendus à la Chambre haute. Ce parti, qui a été fondé sur YouTube suite à la prolifération de théories complotistes durant la COVID-19, a élargi son attrait en menant une campagne sur un agenda nationaliste « Japonais d’abord » , plaidant pour des « règles et lois beaucoup plus strictes » en matière d’immigration. Son alerte quant à une « invasion silencieuse » par des étrangers et ses accusations d’abus du système de santé public japonais par des étrangers ont trouvé écho auprès d’une partie de l’électorat, faisant sortir au grand jour des opinions jusque-là marginales. Ces inquiétudes ont gagné en popularité à mesure que la population étrangère résidente au Japon s’est accrue, la majorité venant des pays asiatiques environnants, tels que la Chine, la Corée du Sud et le Vietnam.
- En dépit de cet échec, Ishiba resteraau pouvoir, soutenant que le LDP devrait honorer sa responsabilité envers la nation puisqu’il occupe « la première place comparativement aux autres partis. » Cependant, il est attendu qu’il sera confronté à des pressions intenses pour démissionner.
Implications
Les mécontentements économiques sont à l’origine des gains de l’opposition. Le taux de participation , qui a atteint 58,05%, soit 52% de plus qu’en 2022 lors des élections de la Chambre haute, signale que les électeurs rejettent le statu quo et s’inquiètent du malaise économique que traverse le pays. Cela met en lumière de nouvelles forces qui pourraient refaçonner les politiques domestiques et étrangères. L’opposition officielle, le Parti démocrate constitutionnel (PDC), a sécurisé 22 sièges. D’autres partis ont tiré profit de la frustration largement ressentie face à la flambée des prix à la consommation. À titre d’exemple, le prix du riz a plus ou moins doublé depuis 2024. Le PDC a bâti sa campagne électorale autour de promesses telles que « l’abolition de la taxe à la consommation sur les produits alimentaires » et l’expansion des dépenses sur les prestations sociales pour alléger les difficultés des ménages. Cette stratégie a été bien accueillie par l’électorat, contrairement à la position du PLD, qui prône des restrictions budgétaires et refuse de réduire les taxes à la consommation.
L’attractivité de la rhétorique « Japon d’abord » annonce un penchant vers la droite auprès de l’électorat. Bien que les résidents étrangers ne représentent que 3 % de la population du Japon, les inquiétudes publiques concernant l’acquisition de biens immobiliers par des étrangers ainsi que la présence croissante de travailleurs migrants se sont accrues. Les gains électoraux réalisés par Sanseito ont mis en avant ces questions, auparavant marginales dans les discussions publiques, reflétant un changement dans le discours autour de l’immigration et de l’identité nationale. La réussite du parti a mis de la pression sur le PLD pour contrer les anxiétés liées au changement social, même si des voix plus modérées alertent que se pencher trop vers la droite pourrait aliéner les électeurs centristes.
Ce qui s'ensuit
1. Leadership et gouvernance en suspens
Les résultats font que le Japon ait un Parlement à majorité partagée et remettent sérieusement en question le leadership et la longévité d’Ishiba. Tandis qu’il a jusqu’à présent évité de démissionner, les analystes notent qu’une telle perte décisive pourrait facilement forcer sa sortie. Même s’il reste au pouvoir, son gouvernement minoritaire aurait besoin du soutien de l’opposition pour adopter des lois, ce qui entraînerait probablement des compromis politiques, en particulier sur les questions fiscales. L’incertitude politique accroît le risque d’un blocage prolongé, voire d’élections générales anticipées si la gouvernance devient intenable. S’ajoutent à ces pressions le fait que le Japon doit conclure un accord commercial avec les États-Unis avant le 1er août, pour éviter l’imposition de droits de douane élevés sur ses exportations.
2. Les liens Canada-Japon resteront probablement stables au milieu de l’incertitude
Les bouleversements des élections japonaises ne nuiront probablement pas aux récentes avancées réalisées dans les relations entre le Japon et le Canada. La visite de la ministre canadienne des Affaires étrangères, Anita Anand, le 8 juillet à Tokyo, a marqué une grande étape bilatérale, avec la ratification d’un accord sur la sécurité des informations entre les deux pays. (ASI). Cet instrument juridiquement contraignant permet le partage sécurisé des technologies de défense classifiées, des données sur les menaces cybernétiques et des renseignements opérationnels, et signale un nouveau niveau de coopération institutionnalisée entre les deux pays. En attente de ratification, l’accord renforce le profil indo-pacifique du Canada et appuie son agenda de présidence du G7, offrant une « alternative fiable » à l’instabilité mondiale.
Pour le Japon, la ratification de cet accord élargira sa collaboration en matière de sécurité au-delà des États-Unis tout en s’intégrant plus étroitement à la communauté occidentale du renseignement. Alors que les deux pays font face à des menaces régionales et à des réalignements mondiaux changeants, l’accord met en avant un engagement commun en faveur d’un ordre stable et fondé sur des règles dans l’Indo-Pacifique. Les résultats des élections au Japon, dans ce contexte, rappellent surtout les contraintes domestiques auxquelles sont confrontés les dirigeants. Tandis qu’Ottawa comprend que l’attention à court terme à Tokyo soit portée sur l’allègement interne de l’économie, le Japon continuera de collaborer avec le Canada sur la sécurité régionale, l’unité du G7 et le commerce, des domaines où les intérêts des deux pays s’alignent.
• Édité par Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada, et Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie.