Les câbles sous-marins du monde entier sont menacés. Le Canada peut-il les protéger?

fibre optic cables
Graphic Design: Chloe Fenemore

Les infrastructures sous-marines essentielles – notamment les câbles à fibres optiques, les plateformes pétrolières et les gazoducs – sont indispensables aux communications mondiales et à la sécurité économique, mais elles sont confrontées à des menaces croissantes. Ces derniers mois, Taïwan a connu une recrudescence des sectionnements de câbles – cinq incidents ont déjà eu lieu en 2025 – tandis que des sabotages similaires sont survenus dans la mer Baltique, notamment après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Les câbles sous-marins sont également très vulnérables aux catastrophes naturelles et aux accidents, ce qui rend difficile l’attribution des dommages à des acteurs malveillants. Par contre, le coût et la complexité de la réparation de ces systèmes dépassent de loin l’effort nécessaire pour les sectionner. C’est peut-être la raison pour laquelle des États comme la Chine et la Russie auraient décidé de lancer des attaques furtives contre les infrastructures sous-marines essentielles, car il s’agit d’une tactique de « zone grise » peu risquée et rentable. Par le biais de ces opérations de « zone grise », Beijing pourrait chercher à tester la résilience de ses voisins et à contester l’influence des États-Unis dans des régions maritimes clés.

Pour le Canada, qui dispose déjà de câbles et de pipelines essentiels et qui prévoit de nouvelles liaisons dans l’Arctique, l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord, il est essentiel de relever ces défis en matière de protection. Le renforcement de la résilience grâce à la redondance des câbles (plusieurs câbles pour assurer une connexion fluide même si l’un d’entre eux est endommagé) et l’amélioration de la connaissance du domaine maritime grâce à la coopération internationale seront essentiels à la sauvegarde de notre infrastructure sous-marine.

Pourquoi est-il si difficile de protéger les infrastructures sous-marines essentielles?

Plus de 600 câbles sous-marins tapissent les océans du monde entier et ils sont responsables de la transmission de plus de 95 % des données internationales, notamment le trafic Internet, les échanges financiers et les communications gouvernementales. En outre, les pipelines sous-marins transportent des ressources pétrolières et gazières essentielles à travers des corridors maritimes. Ensemble, ces systèmes soutiennent la connectivité numérique, la sécurité énergétique et les opérations de défense avancées.

Malgré leur rôle crucial, les infrastructures sous-marines essentielles sont vulnérables aux dommages causés par les catastrophes naturelles, comme les tremblements de terre et les typhons, et par les activités humaines, comme l’ancrage et le dragage par des navires de pêche. Déterminer si un dommage est accidentel ou intentionnel reste un défi juridique et technique majeur, ce qui permet à des acteurs malveillants de mener des tentatives de sabotage sans à avoir à rendre des comptes.

La propriété privée présente un défi supplémentaire en raison des conflits d’intérêts entre les acteurs commerciaux et étatiques. Presque tous les câbles sous-marins sont produits et installés par quatre entreprises privées : SubCom (États-Unis), Alcatel Submarine Networks (France), Nippon Electric Company (Japon) et HMN Technologies (Chine). Si les mesures d’incitation fondées sur le marché ont permis d’accroître la connectivité internationale dans le monde entier en relativement peu de temps, elles ont également entraîné le regroupement des câbles dans des points d’étranglement maritimes et des eaux géostratégiques clés, compliquant ainsi les efforts déployés par les États pour effectuer des patrouilles et des contrôles conjoints.

La difficulté de protection s’explique aussi en partie par l’absence de mécanismes d’application de la loi, notamment dans les eaux internationales lorsque la compétence n’est pas claire ou qu’elle est contestée. Les cadres existants, tels que la Convention de 1884 pour la protection des câbles sous-marins et l’article 21 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, n’offrent que des mesures de protection partielles en l’absence de règlements précis.

Que savons-nous des récents sectionnements de câbles près de Taïwan et dans la mer Baltique?

Les sectionnements répétés de câbles menacent gravement la réputation de Taïwan en tant que chef de file de la technologie numérique, car elles normalisent la perturbation des activités quotidiennes qui dépendent de la sécurité des télécommunications. En février 2023, deux câbles sous-marins reliant Taïwan et les îles Matsu ont été endommagés à une semaine d’intervalle dans des circonstances suspectes qui impliqueraient un chalutier chinois. Les 14 000 habitants des îles Matsu ont été privés d’une connexion Internet stable pendant plus de 50 jours, ce qui a entraîné une détresse et des pertes financières dues à l’arrêt du commerce électronique et à la perturbation du tourisme.

Deux récents sectionnements de câbles près de Taïwan se distinguent aussi pour leurs propriétés illégales, coercitives, agressives et trompeuses. De nombreux navires chinois arborent des « pavillons de complaisance » pour dissimuler leur pays d’origine et désactivent leur système d’identification automatique, ce qui les rend difficiles à repérer. Par exemple, le 3 janvier, un câble situé au large de la côte nord-est de Taïwan a été retrouvé sectionné après qu’un cargo chinois battant pavillon camerounais a été découvert chassant sur son ancre de manière inhabituelle. Cet incident a été suivi d’un autre le 25 février, lorsque le capitaine et l’équipage chinois d’un navire chinois battant pavillon togolais ont été arrêtés au motif qu’ils auraient délibérément sectionné un câble au large de la côte sud-ouest de Taïwan.

Enfin, les récents incidents survenus dans la mer Baltique pourraient être interprétés comme des tests en vue d’une future attaque hybride contre les pays de l’OTAN alliés des États-Unis. Ces dernières années, les infrastructures sous-marines essentielles de la Finlande et de la Suède, deux États qui ont rejoint l’OTAN en 2023 et en 2024, ont été la cible de dommages, ce qui laisse penser que la Chine et la Russie pourraient recourir au sabotage des câbles pour saper l’ordre régional dirigé par les États-Unis.

Comment Taïwan et les pays baltes ont-ils réagi aux sectionnements de câbles?  

Les gouvernements ont renforcé leurs efforts pour protéger les infrastructures sous-marines essentielles principalement en améliorant la résilience, notamment en investissant dans la redondance des câbles, en élaborant des cadres juridiques pour faciliter l’attribution et en recherchant des plateformes bilatérales et multilatérales pour la coopération avec la surveillance des réparations.

Taïwan, qui dispose actuellement de 15 câbles sous-marins, prévoit en installer au moins 2 autres au cours du premier semestre de 2025. De plus, Taïwan est en train de développer 700 points d’accès par satellite et étudie la possibilité d’un partenariat avec l’opérateur de satellites canadien Telesat. Après avoir désigné les câbles sous-marins comme des infrastructures essentielles à la suite des sectionnements de 2023, Taïwan a mis en place un système d’alerte automatique pour les câbles sous-marins entre Taïwan et les îles Matsu. Elle a également modifié sa loi sur la gestion des télécommunications, ce qui entraîne l’imposition de sanctions plus sévères en cas de perturbation des câbles. À la suite du sectionnement de câbles en janvier 2025, Taïwan s’est également engagé à mettre en œuvre des inspections plus strictes des navires étrangers.

Pour Taïwan, la coopération avec les partenaires régionaux en matière de sécurité a été essentiellement bilatérale. En janvier, Taïwan a demandé l’aide de la Corée du Sud pour enquêter sur un navire chinois soupçonné d’avoir sectionné des câbles avant de se rendre dans la ville portuaire coréenne de Busan. Outre la déclaration officielle du Japon condamnant l’incident de sectionnement de câbles du 3 janvier, un destroyer de la Force maritime d’autodéfense japonaise a traversé le détroit de Taïwan pour la première fois en solitaire le 5 février, démontrant ainsi l’engagement du pays en faveur de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan.

Dans la région de la mer Baltique, l’Allemagne a ouvert la voie en sensibilisant les acteurs à la vulnérabilité des infrastructures sous-marines essentielles, notamment en publiant une déclaration commune avec la Finlande à la suite d’un incident de sectionnement de câbles en novembre 2024, qui a exigé une enquête approfondie sur le navire chinois prétendument impliqué. Ce qui distingue la région balte, c’est que la collaboration interétatique est renforcée par le soutien institutionnel de l’Union européenne et de l’OTAN. L’UE a annoncé son plan d’action sur la sécurité des câbles en février 2025, développant une déclaration antérieure publiée en 2024. Outre la création de la cellule de coordination des infrastructures sous-marines critiques en 2023, l’OTAN a lancé en janvier 2025 l’opération Baltic Sentry, une nouvelle mission de sécurité visant à lutter contre le sabotage des infrastructures sous-marines essentielles.

Le Canada doit-il s’inquiéter?

Malgré une prise de conscience croissante, la capacité actuelle du Canada à protéger ses infrastructures sous-marines contre les attaques et à y répondre reste limitée. En novembre 2024, le câble sous-marin de Bell Canada entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador est à nouveau endommagé après avoir été sectionné une première fois en 2023. Même si la GRC a conclu que la cause était probablement involontaire, la perturbation a mis en évidence un angle mort dans la détection et la rapidité d’intervention.

Ces risques sont exacerbés par la dépendance du Canada à l’égard des infrastructures privées. Le seul câble sous-marin transpacifique du Canada, le câble Topaz, étant entièrement détenu par Google, la connectivité stratégique du Canada dans le Pacifique peut être compromise par des acteurs privés dont les intérêts commerciaux peuvent entrer en conflit avec les impératifs de sécurité nationale. En outre, le Canada est confronté à des risques accrus en raison de l’éloignement et de la capacité de surveillance limitée dans l’Arctique et l’Atlantique Nord, où de futurs câbles, tels que SednaLink, sont prévus.

En outre, les communautés autochtones – en particulier dans l’Arctique – pourraient être touchées de manière disproportionnée. Au Nunavut, par exemple, où les problèmes de connectivité sont persistants, le gouvernement fédéral a récemment annoncé un financement pour le projet de liaison hydroélectrique et de fibre optique à Kivalliq, visant à relier la région de Kivalliq, au Nunavut, au réseau du Manitoba, ainsi qu’un financement pour un câble visant à relier Iqaluit, au Nunavut, au réseau du Groenland. Les deux projets visent à développer l’accès à large bande et la fiabilité énergétique. Toutefois, avec des dates d’achèvement prévues jusqu’en 2031, ces initiatives en sont encore au stade de la planification et du développement. Cette situation contraste fortement avec celle des communautés autochtones de la côte de la Colombie-Britannique, qui ont bénéficié d’améliorations tangibles en matière de connectivité numérique grâce au projet de câble à fibres optiques Connected Coast.

Que doit faire le Canada pour protéger les infrastructures sous-marines essentielles?

Les infrastructures sous-marines essentielles du Canada sont de plus en plus vulnérables aux menaces hybrides, qui vont des cyberintrusions et des perturbations des signaux au sabotage potentiel de câbles et de pipelines sous-marins par des acteurs étrangers ayant des ambitions croissantes dans l’Arctique. Si les partenariats avec les alliés de l’OTAN demeurent une priorité, le Canada devrait également envisager une collaboration plus étroite avec des partenaires aux vues similaires dans la région indo-pacifique, comme le Japon et la Corée du Sud, qui offrent des possibilités concrètes d’améliorer la résilience technologique et l’alignement stratégique. En intégrant la protection des infrastructures sous-marines essentielles dans son plan d’action de 2022 avec le Japon et dans son partenariat stratégique global de 2022 avec la Corée du Sud, le Canada peut tirer parti de l’expertise de calibre mondiale de ces deux pays dans la production, le déploiement, la surveillance et la réparation des câbles sous-marins.

Jusqu’à présent, le Canada a joué un rôle actif dans la recherche d’un consensus et dans la sensibilisation au domaine maritime mondial, notamment en participant à la déclaration commune du G7 sur la connectivité par câble pour des réseaux de communications numériques sûrs et résilients en mars 2024 et en approuvant les principes de New York sur les câbles sous-marins en septembre 2024. En tant que président du G7 pour 2025, le Canada a également dirigé les efforts visant à publier la Déclaration des ministres des Affaires étrangères du G7 sur la sécurité et la prospérité maritimes en mars, soulignant la nécessité d’une coopération internationale.

En plus de faire preuve de solidarité au sein du G7, le Canada pourrait envisager des initiatives politiques axées sur la région indo-pacifique, comme l’adhésion au Cable Connectivity and Resilience Centre basé en Australie, qui a été créé dans le cadre du partenariat quadrilatéral en 2023 pour superviser la protection des infrastructures sous-marines essentielles dans la région indo-pacifique. Le Canada pourrait tirer parti de son partenariat de défense de longue date avec l’Australie, son principal partenaire en matière de défense dans la région indo-pacifique, afin d’obtenir une assistance technique pour l’entretien de ses câbles sous-marins transpacifiques et de contribuer au partage d’information et aux dialogues fondés sur la recherche entre les pays de la région indo-pacifique.

De même, le Canada peut tirer parti de son appartenance à l’alliance de renseignement du Groupe des cinq et de son expérience en matière de surveillance des navires sombres pour contribuer à l’établissement d’une liste noire des navires suspects qui peuvent être originaires de Chine, mais qui utilisent des pavillons d’autres États, comme le Cameroun et le Togo, pour dissimuler leur identité, et qui sont souvent utilisés pour sectionner des câbles sous-marins.

Enfin, la présence navale continue du Canada dans le détroit de Taïwan, comme le passage du NCSM Ottawa le 16 février – le sixième depuis le lancement de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique en 2022 – est essentielle pour signaler l’engagement du Canada à faire du détroit de Taïwan une voie navigable internationale.

Si l’exploitation des partenariats internationaux peut aider à combler les lacunes en matière de capacité, le Canada doit donner la priorité à la redondance des câbles, en particulier dans les zones maritimes difficiles d’accès. Des investissements ciblés dans la Garde côtière canadienne et les navires de réparation permettraient de réagir rapidement en cas de sabotage. Les communautés autochtones devraient également être pleinement intégrées dans la planification nationale des infrastructures sous-marines essentielles, étant donné que la concurrence stratégique géopolitique s’intensifie dans les trois océans du Canada.

Jeehye Kim

Jeehye Kim PhD est gestionnaire principale du programme pour l’Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacifique du Canada, supervisant le programme de recherche lié au Japon, à la Mongolie, à la Corée du Nord et au Sud et à Taïwan.

Explainer: Key Players and Issues in South Korea’s Upcoming Presidential Election South Korea Faces Post-Impeachment Era of Turmoil and Resilience

Hyun Kim

Hyun Kim est chercheuse-boursière, Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacific du Canada, financé par le programme Global Challengers de la Korea Foundation. Hyun détient une maîtrise en sciences politiques axée sur la sécurité internationale de l'Université Hankuk des études étrangères.

Explainer: Key Players and Issues in South Korea’s Upcoming Presidential Election

Mei Terasawa

Mei Terasawa est coordonnatrice de projet à la Fondation Asie Pacifique du Canada, aide au programme de développement des jeunes professionnels Canada-Asie et au programme des jeunes leaders indo-pacifiques. Mei a un diplôme en relations internationales de l'Université de la Colombie-Britannique.