Le 2 avril, le président américain Donald Trump, dans le cadre de sa proclamation de tarifs généralisés du « jour de libération », a annoncé l’imposition d’un tarif douanier de 46 % sur les produits d’exportation vietnamiens. À la suite d’un sursis de 90 jours sur les tarifs réciproques, le Vietnam, comme de nombreux autres pays, a tenté de négocier avec les États-Unis par la diplomatie et des concessions commerciales.
Cela marque un changement frappant par rapport au premier mandat de Trump, durant lequel le Vietnam avait bénéficié des retombées des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, alors que les fabricants cherchaient à diversifier leurs activités industrielles et leurs sites de production vers d’autres marchés, dont le Vietnam. Cette fois-ci, cependant, avec une économie toujours dépendante des exportations, particulièrement vers les États-Unis, et un secteur manufacturier étroitement imbriqué dans les chaînes d’approvisionnement chinoises, le Vietnam se retrouve vulnérable à une nouvelle vague de menaces tarifaires américaines, ainsi qu’à un différend commercial croissant avec la Chine.
Alors que le pays cherche à réduire cette vulnérabilité et à diversifier ses échanges, quelles sont les opportunités et les défis, et comment le Canada peut-il se positionner comme partenaire stratégique pour soutenir la croissance continue du Vietnam ?
Quelle est l’exposition commerciale du Vietnam aux États-Unis par rapport à la Chine ?
L’économie vietnamienne dépend fortement du commerce, les exportations vers les États-Unis contribuant de manière significative à son PIB. En 2024, le Vietnam a enregistré un excédent commercial substantiel avec les États-Unis, atteignant environ 170,6 G$ CA, ce qui représente le plus grand déficit commercial des États-Unis au monde. Cela positionne les États-Unis comme une destination cruciale pour les produits d’exportation à forte valeur ajoutée du Vietnam, tels que les composants électroniques, les vêtements et les chaussures. En revanche, le Vietnam affiche un déficit commercial important avec la Chine : il importe environ 200 G$ CA de biens et n’exporte que 84,5 G$ CA. Le Vietnam dépend massivement de la Chine pour ses intrants de production, y compris les matières premières et les composants, notamment ceux utilisés dans la machinerie, l’électronique et les produits chimiques industriels, essentiels à son secteur manufacturier. Le Vietnam demeure le premier partenaire commercial de la Chine au sein de l’ANASE et le quatrième au niveau mondial, ce qui reflète l’intégration étroite du pays dans les chaînes d’approvisionnement chinoises.
Essentiellement, le Vietnam dépend énormément de la Chine pour ses intrants de production, tandis que les États-Unis représentent un marché irremplaçable pour ses produits finis d’exportation. Le profil commercial du Vietnam est donc particulièrement sensible aux pressions géopolitiques ou économiques des deux puissances. À mesure que les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis s’intensifient, le Vietnam se retrouve de plus en plus pris dans leur rivalité, tout en cherchant à affirmer sa pertinence et sa valeur pour les deux puissances sans s’aligner ouvertement avec l’une ou l’autre.
Comment le Vietnam a-t-il répondu aux menaces tarifaires et aux pressions des États-Unis ?
Le Vietnam a adopté une série de mesures proactives pour atténuer les tensions et faire face au déséquilibre commercial. En mars, avant l’annonce de Trump lors de la « journée de libération » sur les tarifs réciproques, le Vietnam a dévoilé des plans visant à réduire les droits de douane sur des exportations américaines clés, notamment le gaz naturel liquéfié, les véhicules et les produits agricoles. Ce même mois, le pays a approuvé une phase d’essai pour l’internet par satellite Starlink d’Elon Musk et a accordé à SpaceX la permission d’opérer au Vietnam jusqu’en 2030.
Suite à la décision des États-Unis d’imposer des droits de douane de 46 % sur les produits vietnamiens, Hanoï a intensifié ses efforts pour apaiser les relations à travers des concessions commerciales et la diplomatie. En réponse directe aux préoccupations de Washington concernant la réorientation de produits chinois vers le Vietnam pour contourner les droits de douane américains, le Parti communiste vietnamien (PCV) a mis en place des réglementations plus strictes pour vérifier l’origine des biens utilisés dans le secteur manufacturier national.
En amont des négociations commerciales, le PCV a encouragé les entreprises vietnamiennes à augmenter leurs achats de produits d’exportation américains à forte valeur ajoutée, dans le cadre d’un effort plus large visant à réduire le déséquilibre commercial. À l’issue de la première phase de négociation le 7 mai, l’atmosphère semblait optimiste : le négociateur en chef des États-Unis, Jamieson Greer, a qualifié les échanges de constructifs, affirmant que le Vietnam était resté réceptif à l’idée de réduire le déficit commercial et d’assouplir les restrictions sur les importations américaines.
Bien que ces concessions commerciales puissent contribuer à amadouer les États-Unis, elles risquent de fragiliser les relations du Vietnam avec la Chine. Tout compromis économique significatif en faveur des États-Unis pourrait entraîner des représailles de la part de la Chine. Plus important encore, compte tenu de l’intégration du Vietnam dans les chaînes d’approvisionnement chinoises, toute mesure de rétorsion économique de la part de la Chine, comme des droits de douane accrus sur les produits vietnamiens ou une réduction des investissements chinois, pourrait provoquer d’importantes perturbations dans l’activité industrielle vietnamienne. En conséquence, le Vietnam marche sur une corde raide, cherchant à s’affirmer comme un pôle industriel alternatif pour les États-Unis, tout en évitant soigneusement toute action qui pourrait être perçue comme un alignement avec Washington.
Opportunités et risques liés à des liens étroits avec la Chine
Le Vietnam a récolté d’importants bénéfices économiques en renforçant ses liens commerciaux avec la Chine, notamment grâce à un volume accru d’échanges, à des investissements directs étrangers et à une intégration croissante dans les chaînes d’approvisionnement chinoises. En 2024, la Chine demeure le principal partenaire commercial du Vietnam, représentant environ un tiers du total des échanges commerciaux du pays. Les relations économiques entre les deux pays se sont intensifiées depuis le début de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis lors du premier mandat du président Trump.
De nombreux fabricants, y compris des usines chinoises, ont transféré leur production au Vietnam dans le cadre de la stratégie de diversification « Chine+1 », stimulant ainsi le commerce bilatéral et les flux d’investissements. La Chine a été le premier investisseur au Vietnam en 2024, avec environ 6,5 G$ CA en investissements directs étrangers, soit un tiers de tous les nouveaux investissements dans le pays. Ce partenariat économique croissant a également favorisé un approfondissement de l’intégration dans les chaînes d’approvisionnement. La Chine reste la principale source d’intrants pour le Vietnam, fournissant près de la moitié des matières premières et équipements utilisés par les industriels vietnamiens.
Les liens commerciaux étroits du Vietnam avec la Chine ont fait l’objet d’un examen accru de la part des États-Unis. Des inquiétudes persistent quant au contournement des tarifs par des produits chinois réorientés via le Vietnam. L’annonce du 2 avril reflète cette appréhension, Peter Navarro, conseiller principal pour le commerce du président Trump, ayant allégué qu’un tiers des exportations vietnamiennes étaient en réalité des produits chinois reconditionnés localement. Bien que le Vietnam ait bénéficié de la relocalisation de la production, des études indiquent que la majorité des exportations du pays vers les États-Unis incluent une valeur ajoutée générée au Vietnam, plutôt que des produits simplement transbordés depuis la Chine.
Le Vietnam est de plus en plus conscient des risques liés à sa dépendance massive envers la Chine, surtout à mesure que les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis s’intensifient. En réponse, le pays cherche à diversifier ses partenariats commerciaux. La volonté du Vietnam de diversifier est également motivée par la crainte que Pékin n’utilise ces liens économiques pour influencer la politique étrangère vietnamienne ou les différends territoriaux en mer de Chine méridionale.
Au cours des dernières années, le Vietnam a rejoint plusieurs accords commerciaux internationaux, dont le Partenariat économique régional global (RCEP) et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Jusqu’en octobre 2024, le Vietnam fait partie de 17 accords de libre-échange, avec deux autres en négociation, dont l’accord de libre échange Canada-ANASE. En dépit de ces efforts, le Vietnam n’a pas encore trouvé de fournisseur alternatif pour ses intrants essentiels, rendant un découplage complet de la Chine ni pratique ni réalisable à court terme.
Les alternatives, au-delà de la Chine et des États-Unis
Au-delà des marchés américain et chinois, les principales destinations d’exportation du Vietnam incluent les pays de l’ANASE, l’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud. En 2024, le Vietnam a également élargi sa portée vers les marchés africains et sud-américains, stimulant les échanges commerciaux avec l’Argentine, le Brésil, etl’Afrique du Sud. Alors que de nombreux efforts gouvernementaux se sont concentrés sur les négociations avec Washington, Hanoï a encouragé les industries locales à réévaluer leurs chaînes d’approvisionnement et à explorer d’autres marchés. Le ministère vietnamien de l’Industrie et du Commerce a annoncé des plans pour soutenir cette transition en fournissant aux entreprises des conseils juridiques et des informations sur les marchés alternatifs pour leurs exportations.
Un approfondissement de l’intégration au sein de l’ANASE pourrait aider le Vietnam à réduire sa dépendance vis-à-vis des marchés chinois et américains, en dynamisant les échanges régionaux et en élargissant ses partenariats dans les chaînes d’approvisionnement. De janvier à novembre 2024, le Vietnam a réalisé 46,7 G$ CA d’exportations vers l’ANASE, positionnant le bloc au quatrième rang des destinations d’exportation du pays. En tirant parti des réseaux d’approvisionnement régionaux de l’ANASE, le Vietnam pourrait s’approvisionner en matières premières auprès d’autres membres du bloc et ainsi réduire sa dépendance à la Chine. Un exemple notable est le partenariat croissant avec la Malaisie, un pôle régional émergent pour la fabrication et l’emballage de semi-conducteurs, d’où le Vietnam a importé 5,6 G$ CA de chipsets en 2024. Ces chipsets, contenant des circuits intégrés, jouent un rôle crucial dans l’alimentation des technologies modernes, allant des composants de consommation aux applications militaires.
Une intégration plus poussée avec l’ANASE, cependant, n’est pas sans limites. Le marché collectif de l’ANASE reste plus restreint, avec un pouvoir d’achat inférieur à celui des États-Unis ou de la Chine. Bien que le commerce régional puisse soutenir les exportations vietnamiennes, il ne saurait rivaliser en volume et en valeur avec ces grandes puissances. De plus, plusieurs pays de l’ANASE, tels que l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande, exportent des biens similaires, notamment dans l’électronique, la machinerie et les produits agricoles. Ce chevauchement intensifie la concurrence régionale et pourrait limiter les opportunités de croissance des exportations vietnamiennes au sein du bloc.
Renforcement des liens avec le Canada, le Japon et la Corée du Sud
En dépit des ouvertures économiques et diplomatiques envers les États-Unis, il n’existe à ce jour aucun signe que Trump réduira ou annulera les tarifs réciproques à l’issue du sursis de 90 jours en juillet. Si les tarifs persistent, le Vietnam pourrait être amené à réorienter ses exportations vers des marchés alternatifs comme le Canada. En 2023, le Vietnam était le principal partenaire commercial du Canada au sein de l’ANASE, avec un commerce bilatéral atteignant 14,1 G$ CA. Les deux pays sont également membres du PTPGP, ce qui élimine la majorité des tarifs sur les biens échangés. Depuis la ratification du PTPGP, les exportations du Vietnam vers le Canada ont augmenté de 60 %, passant de 5,3 G$ CA en 2018 à 12,4 G$ CA en 2023. À l’avenir, le Canada et le Vietnam explorent des moyens de renforcer leur commerce bilatéral dans les domaines de l’écotechnologie, de l’infrastructure et de l’aérospatiale.
Au-delà du Canada, le Vietnam continue de renforcer sa position en tant qu’alternative commerciale clé et pôle d’investissement mondial. Dans le cadre de la stratégie « Chine+1 », des conglomérats sud-coréens comme Samsung et Hyundai ont transféré une partie de leurs opérations au Vietnam, stimulant ainsi le commerce et l’investissement. En 2024, la Corée du Sud est devenue le deuxième investisseur étranger au Vietnam et son quatrième partenaire commercial. En avril 2025, les deux pays se sont engagés à porter leur commerce bilatéral à 209 G$ CA, tout en élargissant leur coopération dans les domaines de l’énergie nucléaire et du GNL.
Le Vietnam approfondit également ses liens avec des puissances moyennes telles que l’Inde et le Japon. En avril 2025, le Vietnam et le Japon ont convenu d’améliorer leur coopération en écotechnologie et en recherche sur les semi-conducteurs, tout en réaffirmant leur engagement commun envers un ordre mondial fondé sur des règles. En 2024, l’Inde et le Vietnam se sont engagés à porter leur commerce bilatéral à 21 G$ CA dans le cadre de leur partenariat stratégique croissant.
Édité par Erin Williams, gestionnaire principale de programme, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada.