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Pourquoi apprendre le japonais ou le coréen? Une étude de motivation auprès de jeunes adultes à Montréal

Motivations et contexte de l’étude

Dans les mois à venir, le gouvernement du Canada devrait publier sa stratégie indo-pacifique, qui marquera l’intensification de l’accent mis sur l’Asie à l’égard de sa politique étrangère et définira les aspects de ce que pourrait être l’engagement avec la région. En attendant de connaître les détails de cette stratégie, deux points essentiels méritent d’être soulignés :

  1. Afin que l’Asie occupe une place plus importante dans notre orientation internationale, il faudra la participation active de plus d’une poignée de ministères du gouvernement fédéral. À l’instar des autres pays qui ont mené des stratégies similaires, les gouvernements infranationaux, les établissements d’enseignement et les organisations de la société civile ont également un rôle important à jouer dans cet effort. Il en va de même pour les Canadiens ordinaires.
  2. Le succès à long terme de la stratégie indo-pacifique dépendra de notre capacité à considérer nos homologues indo-pacifiques autrement que sous l’angle étroit du commerce et des autres transactions commerciales. Il ne fait aucun doute que l’économie sera un élément central de cette stratégie. Mais la valeur du Canada en tant que partenaire indo-pacifique exige que nous adoptions une approche plus globale. C’est pourquoi nous devrons investir dans des initiatives qui nous sensibilisent aux histoires, aux cultures et aux sociétés de la région. Cela signifie qu’il ne faut pas traiter l’Asie comme un simple objet d’étude, mais s’engager à atteindre un niveau plus profond de compréhension mutuelle entre nous et nos homologues de l’autre côté du Pacifique. 

Sur ces deux points, le Québec est un cas intriguant. En février 2022, le gouvernement provincial a publié sa propre stratégie indo-pacifique[1], qui vise à renforcer la position de la province dans la région au moyen du commerce et de l’investissement, ainsi que d’initiatives culturelles et éducatives. Ces initiatives comprennent la création d’une chaire universitaire d’études asiatiques, l’extension de son programme de scientifiques en résidence en Asie et le développement de nouvelles possibilités de stages et de projets de bénévolat pour les jeunes en Asie.

Des sondages récents suggèrent que les Québécois pourraient être réceptifs à un intérêt accru pour l’Indo-Pacifique. En 2021, le sondage d’opinion national de la Fondation Asie Pacifique du Canada (FAP Canada) a interrogé des adultes de toutes les régions du pays sur leur intérêt à en savoir plus sur l’Asie. Au Québec, le pourcentage de personnes qui se sont dites « intéressées » était de 49 % - 10 % « très intéressées » et 39 % « plutôt intéressées ». Le total était plus faible que dans les autres provinces, mais l’intérêt de la moitié de la population pour l’Asie constitue une base solide pour promouvoir un engagement plus important. De plus, un sondage réalisé par la FAP Canada l’année précédente (2020) montre une croissance impressionnante de la sensibilisation du Québec à l’importance de l’Asie. À la question de savoir s’il faut mettre davantage l’accent sur l’enseignement de l’Asie dans les écoles provinciales - sa géographie, son histoire, ses sociétés, ses cultures, etc. - l’appui a augmenté davantage au Québec que dans toute autre partie du Canada, faisant plus que doubler, passant ainsi de 27 pour cent en 2012 à 60 pour cent en 2020.

Qu’en est-il de l’appui à l’enseignement des langues asiatiques? Dans toutes les régions du Canada, cette évolution a été plus modeste. Mais les données pour la même période (2012-2020) montrent également une nette tendance à la hausse, passant de 25 % en 2012 à 41 % en 2020. Il est à noter qu’au Québec, le pourcentage de répondants qui appuient l’enseignement des langues asiatiques est toujours plus faible (37 %) que ceux qui s’y opposent (52 %) (l’appui était le plus élevé en Colombie-Britannique, à 51 %, et le plus faible en Saskatchewan et au Manitoba, à 29 %). Néanmoins, le déploiement d’une stratégie indo-pacifique, tant au niveau provincial que fédéral, pourrait avoir une incidence sur la perception du besoin d’un plus grand nombre de locuteurs de langue asiatique. En effet, pour le Québec et pour le reste du Canada, une telle stratégie serait incomplète sans un engagement envers les types de capacités qui permettront d’approfondir notre compréhension de la région et de démontrer notre sérieux en tant que partenaire international. La création de programmes visant à soutenir l’acquisition de cet ensemble de compétences essentielles doit tenir compte de ce qui attire les gens, en particulier les jeunes et les jeunes adultes, à vouloir apprendre les langues asiatiques. Le présent rapport explore ces questions dans le contexte du Québec.

Les résultats présentés ici sont fondés sur des entretiens réalisés au printemps 2022 avec 25 jeunes adultes (âgés de 18 à 38 ans) de Montréal qui apprennent le japonais ou le coréen. Quatorze d’entre eux s’identifient comme francophones, sept comme anglophones, et les quatre autres comme parlant une langue maternelle autre que le français ou l’anglais. La majorité des participants se sont inscrits à ces cours de langue non pas pour obtenir des crédits universitaires ou collégiaux, mais plutôt de leur propre initiative et en fonction de leur intérêt personnel. Ces entretiens apportent donc un éclairage précieux sur des questions qui prendront de plus en plus d’importance à mesure que le Québec - et le reste du Canada - s’engagera dans une phase plus intense de ses relations internationales avec l’Indo-Pacifique. Ces questions sont les suivantes :

  • Qu’est-ce qui motive les jeunes adultes à apprendre une langue asiatique, et comment ces motivations changent-elles, le cas échéant, avec le temps?
  • Quel est le lien entre l’apprentissage d’une langue asiatique et le développement d’une conscience plus large de la culture, de l’histoire et de la société auxquelles la langue est associée?
  • Quels sont les facteurs à considérer pour promouvoir l’apprentissage des langues asiatiques dans le contexte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme français-anglais?

Les principales conclusions des entretiens sont les suivantes :

  1. Pour la plupart des participants, la culture populaire japonaise ou coréenne a été l’élément déclencheur qui les a poussés à s’inscrire à un cours de japonais ou de coréen. Dans certains cas, les étudiants avaient un mélange de motifs, et parfois ces motifs ont évolué pour inclure le désir de poursuivre une carrière liée d’une manière ou d’une autre à l’un de ces pays.
     
  2. Les participants ont reçu peu d’informations formelles sur le Japon ou la Corée du Sud au cours de leur scolarité primaire ou secondaire, ou de leur formation universitaire ou collégiale, et peu d’entre eux ont eu l’occasion de visiter le pays qui les intéresse. Cependant, beaucoup ont été proactifs en cherchant des moyens d’en savoir davantage sur le pays cible.
     
  3. Malgré le manque d’éducation scolaire sur l’Asie, plusieurs participants ont fait preuve d’une compréhension critique et nuancée et d’une appréciation de la culture et de la société japonaise ou coréenne, souvent à un niveau permettant de remettre en question les stéréotypes sur ces pays. Ils ont également exprimé le souhait d’avoir plus d’opportunités locales pour interagir avec des locuteurs natifs de ces langues et en apprendre davantage sur leurs pays et leurs cultures.
     
  4. En général, ni les participants anglophones ni les participants francophones n’ont considéré l’engagement du Canada envers le bilinguisme français-anglais comme un obstacle majeur à l’apprentissage des langues asiatiques.

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Les renseignements recueillis au cours de ces entretiens peuvent aider à informer les Canadiens à différents niveaux de gouvernement et au sein de la société civile sur la façon de concevoir des programmes de langue asiatique qui répondent à ce qui motive les étudiants potentiels actuels et futurs. De tels programmes, à leur tour, nous aideront à entretenir le type de familiarité qui soutiendra les nouvelles orientations de la politique étrangère du Canada et du Québec envers l’Indo-Pacifique.


[1] Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie. Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique. Québec : Gouvernement du Québec. 2021. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/relations-internationales/publications-adm/politiques/STR-Strategie-IndoPacifique-Long-FR-1dec21-MRIF.pdf?1638559704

Motivations et objectifs de l’apprentissage du japonais ou du coréen

Malgré l’importance croissante de l’Asie dans le monde, l’apprentissage d’une langue asiatique est encore relativement rare au Canada. Cela est particulièrement vrai pour les étudiants non patrimoniaux, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas exposés à ces langues par le biais de leur famille ou d’autres liens patrimoniaux. Cependant, selon le sondage d’opinion national de décembre 2021 de la FAP Canada, une majorité de jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans (61 %) et de 25 à 34 ans (54 %) ont déclaré qu’ils seraient intéressés par l’apprentissage d’une langue asiatique. Que savons-nous de ce qui stimule cet intérêt? Qu’est-ce qui, selon les apprenants, pourrait entretenir ce désir d’apprendre? Par ailleurs, certains facteurs peuvent-ils les décourager d’apprendre une langue asiatique?

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Utilité ou curiosité?

De nombreux arguments concernant la valeur de l’apprentissage d’une langue étrangère reposent sur l’hypothèse que les étudiants sont attirés par la possibilité d’un avantage matériel, tel que des perspectives de carrière ou un salaire plus élevé. Compte tenu des taux de croissance économique enregistrés en Asie au cours des dernières décennies et de l’importance stratégique de la région, il n’est pas surprenant que de tels arguments aient été avancés en faveur de l’apprentissage des principales langues de la région. De plus, on suppose souvent que, malgré ces avantages, les jeunes pouvaient être découragés en raison du niveau de difficulté perçu de ces langues, notamment par rapport à des langues linguistiquement plus proches du français ou de l’anglais. Par exemple, une source[1] largement citée estime qu’il faut environ 3,5 fois plus d’heures d’enseignement pour atteindre un niveau de compétence en japonais, en coréen ou en chinois que pour un niveau de compétence similaire en langues germaniques ou romanes.

Les participants à cette étude nous incitent à reconsidérer ces deux hypothèses. Presque tous ont décrit leurs motivations pour apprendre le japonais ou le coréen comme étant de nature beaucoup moins utilitaire. Pour 80 % d’entre eux (20 sur 25), leur intérêt a été motivé, au moins initialement, par une curiosité et un intérêt pour la culture populaire japonaise ou coréenne - anime, manga et jeux vidéo dans le cas du Japon, et K-pop (musique) et K-dramas dans le cas de la Corée. La plupart ont indiqué que la majorité des médias qu’ils consomment sont asiatiques, et non américains, et que leur désir initial d’apprendre la langue était de pouvoir profiter de la culture populaire japonaise ou coréenne sans avoir à recourir aux sous-titres ou aux traductions.

Le sondage de la FAP Canada mentionné ci-dessus suggère qu’il existe une série de motivations possibles pour les jeunes adultes d’apprendre une langue asiatique, y compris la possibilité de voyager ou de vivre/étudier dans l’un de ces pays, qui s’est classée au premier rang. Il est à noter que l’intérêt pour la culture populaire ne figurait pas parmi les options de cette question particulière, ce qui reflète peut-être un point aveugle dans notre compréhension de ce qui attire les gens à apprendre ces langues.

De plus, les motifs d’apprentissage d’une langue asiatique peuvent ne pas être statiques. Au fur et à mesure que de nombreux participants à cette étude ont exploré leur intérêt pour le Japon ou la Corée et leurs langues respectives, leurs intérêts se sont élargis et ils ont également développé le désir de pouvoir communiquer avec des personnes issues de ces cultures. Plusieurs des participants avaient également une combinaison de motifs qui, dans certains cas, incluaient d’éventuelles occasions professionnelles attrayantes parce que ce serait un moyen de s’engager dans la culture cible ou même de vivre dans ce pays.

La difficulté n’est pas un facteur dissuasif

Bien que de nombreux participants aient reconnu que l’apprentissage du japonais ou du coréen pouvait parfois être difficile, le niveau de difficulté perçu de ces langues n’a pas été mentionné comme un élément qui aurait pu les dissuader de les apprendre. Il est toutefois intéressant de noter que certains participants ont mentionné, de leur propre gré, qu’ils n’avaient pas l’impression que l’environnement social était particulièrement favorable ou encourageant. Par exemple, plusieurs d’entre eux ont déclaré que d’autres personnes avaient remis en question la valeur ou l’utilité de l’apprentissage d’une langue asiatique, ce qui leur donnait l’impression de devoir « justifier » pourquoi ils investissaient du temps dans l’apprentissage d’une langue qui n’est pas largement parlée en dehors du Japon ou de la Corée. Pour illustrer ce point, Samantha, étudiante en études est-asiatiques, moitié américaine et moitié iranienne, se souvient qu’on lui a demandé pourquoi elle apprenait le japonais plutôt que l’espagnol, une langue très répandue aux États-Unis, ou le farsi, en raison de son héritage. Elle a répondu :

« La majorité de ce que je consomme est constituée de médias japonais. Je veux aller au Japon, et c’est ma matière principale. Alors évidemment, j’ai appris le japonais. ... Je ne vais pas apprendre l’espagnol au cas où je devrais communiquer avec quelqu’un qui ne parle qu’espagnol. ... Ce n’est vraiment pas aussi pertinent pour moi que l’apprentissage du japonais, et l’apprentissage de l’espagnol n’a pas vraiment sa place dans l’avenir que j’envisage. Et donc c’est intéressant quand je reçois ces réactions, parce que je me dis : « Ok, je suppose, mais le japonais est pertinent pour moi ». - Samantha, 19 ans

Certains participants qui ont décrit la culture populaire japonaise ou coréenne comme la chose qui a suscité leur intérêt ont également mentionné qu’il y a aussi un inconvénient à cette association. Si l’attrait des cultures populaires asiatiques est désormais reconnu comme un élément qui a suscité l’intérêt du monde entier pour l’apprentissage du japonais ou du coréen, plusieurs participants ont déclaré que les fans de ces cultures populaires sont souvent stigmatisés.

Par exemple, Vincent et Étienne, deux étudiants de la langue japonaise qui ont grandi au Québec, ont dit que lorsqu’ils étaient à l’école secondaire, le fait d’aimer les anime était considéré comme « bizarre » ou enfantin, ce qui, selon eux, a souvent amené les amateurs d’anime à cacher leur intérêt. Alice, qui est une fan de K-pop, a déclaré que ceux qui aimaient ce genre de musique n’étaient pas bien perçus par les autres. Christelle, également fan de K-pop et de K-dramas, a observé que les filles et les femmes ont tendance à s’intéresser davantage à ces formes de culture pop, ce qui peut amener certains à considérer l’apprentissage du coréen comme un passe-temps féminisé.

L’émergence de termes tels que « weeaboo » ou « koreaboo »,[2] utilisés pour décrire des fans obsédés par la culture pop japonaise et coréenne, respectivement, au point de s’approprier ou de fétichiser des aspects de ces cultures tout en ignorant les contextes historiques et sociaux dont ces produits culturels sont issus, contribue à cette stigmatisation.

En résumé, le rôle des cultures populaires japonaises et coréennes semble donc être à double tranchant : il peut susciter une étincelle initiale de curiosité et d’admiration, mais aussi laisser certains apprenants se sentir stigmatisés en raison des associations parfois faites avec le fanatisme de la culture pop asiatique. Toutefois, s’il est vrai que dans certains cas, les consommateurs de culture populaire ne portent pas un regard profond et plus critique sur le pays d’où émerge cette culture pop, on peut dire que cette observation est vraie pour la culture populaire en général. De plus, les participants à cette étude constituent un correctif important, ou du moins une exception notable, à cette hypothèse.

Volonté d’une meilleure prise de conscience et de connexions plus étroites

Presque tous les participants à cette étude ont déclaré que leur volonté de communiquer avec des locuteurs natifs du japonais ou du coréen était devenue un objectif important. C’est ce qu’on appelle la motivation intégrative - lorsqu’un étudiant a la volonté de s’intégrer à la culture de sa langue cible et d’apprendre la langue pour mieux comprendre et connaître les personnes qui parlent cette langue. Elle implique une ouverture et un respect de l’autre communauté culturelle, de ses valeurs, de ses identités et de ses modes de vie. À l’inverse, la motivation instrumentale fait référence à l’apprentissage d’une langue pour des raisons pratiques, comme l’obtention d’une promotion au travail ou la satisfaction d’une exigence linguistique universitaire[3]

Bien que les apprenants en langues puissent avoir une combinaison de motifs - qui est à la fois intégrative et instrumentale - la plupart des participants à cette étude étaient motivés avant tout par un intérêt personnel et une disposition positive envers la culture, la société et les habitants du Japon ou de la Corée. Cet attrait initial est ensuite devenu une sorte de passerelle vers l’approfondissement de leur intérêt et de leur familiarité avec ces pays. Aucun des participants n’a mentionné les perspectives de carrière comme principale raison d’apprendre le japonais ou le coréen. À l’exception d’un participant menant des recherches universitaires sur la péninsule coréenne, aucun des autres n’avait de projet ou d’emploi spécifique nécessitant la maîtrise du japonais ou du coréen. Toutefois, certains ont dit que c’était leur intérêt personnel initial pour le Japon ou la Corée - leur motivation intégrative - qui les a amenés par la suite à envisager une carrière potentielle liée à l’un ou l’autre pays. C’est le cas de Vincent, qui a déclaré qu’il changeait de carrière pour réaliser son ambition de longue date, à savoir partir au Japon.

« J’ai fait de la recherche ici et là sur qu’est-ce qui est en demande, qu’est-ce qui est utile. Moi personnellement j’ai toujours eu une facilité dans la traduction français-anglais. Puis je voyais de la demande constante de traducteurs pour compagnie X, une boîte médiatique ou tourisme. … Maintenant j’essaie de faire mon bac pour avoir la certification pour qu’une fois lorsque je déménage je vais avoir le papier, ce qui va être probablement très pratique à l’embauche. » - Vincent, 35

Jia, qui est d’origine chinoise, a déclaré qu’elle apprenait le coréen dans le seul but de voyager et de découvrir la Corée « hors des sentiers battus », mais qu’elle ne pensait pas continuer, à long terme, à apprendre la langue. Elle a toutefois mentionné des objectifs professionnels liés au Japon :

« Pour moi, le Japon présente un attrait à plus long terme. Si j’avais une occasion de travail là-bas, je serais plus intéressée à la poursuivre, donc il y aura cette motivation supplémentaire et aussi la nécessité d’être fonctionnelle et de m’intégrer dans un environnement de travail. Alors qu’en Corée, je veux juste y aller et m’amuser. » - Jia, 26

Tous les participants avaient en commun la volonté de communiquer avec les habitants de leur pays cible dans la langue de ce dernier et de mieux comprendre sa culture, sa société et sa vie quotidienne. Au cours de leurs entretiens, les participants ont indiqué qu’ils tenaient en grande estime les cultures japonaise et coréenne. Néanmoins, contrairement au stéréotype selon lequel les amateurs de culture pop asiatique n’ont qu’une compréhension superficielle ou une perception trop idéalisée de ces pays, de nombreux participants à cette étude ont fait preuve d’une conscience critique de ces sociétés qui va au-delà de la manière dont elles ont tendance à être dépeintes dans la culture populaire et les médias occidentaux. Cette compréhension et cette appréciation peuvent aider à combattre les stéréotypes sur les Asiatiques et les Canadiens d’origine asiatique. La section suivante examine le lien entre l’apprentissage des langues et la sensibilisation culturelle.


[1] Pour une référence rapide, voir le document « Foreign language training », U.S. Department of State Foreign Service Institute, https://www.state.gov/foreign-language-training/.

[2] Koo, Se-Woong. « Qui sont les Koreaboos? » Korea Exposé. Le 8 février 2022. https://koreaexpose.com/koreaboo-love-korean-culture-and-want-to-be-korean/

[3] Gardner, Robert C. « Integrative Motivation and Second Language Acquisition, » in Motivation and Second Language Acquisition, eds. Zoltan Dörnyei et Richard Schmidt. (Honolulu : Université de Hawaï, 2001).

Apprentissage des langues, relations avec les communautés et approfondissement des connaissances

Apprentissage « à distance »

La plupart des participants à cette étude n’avaient pas visité leur pays cible. Cela pourrait être dû au fait que beaucoup d’entre eux ont commencé à apprendre la langue peu avant ou pendant la pandémie, ce qui a rendu les voyages vers ces pays presque impossibles. Qui plus est, peu d’entre eux ont eu des interactions fréquentes avec des Japonais ou des Coréens en dehors de leurs enseignants et de leurs partenaires d’échange linguistique. Les données des recensements et des sondages permettent de comprendre pourquoi il peut être plus difficile de rencontrer des locuteurs natifs dans la vie de tous les jours. Comparativement aux autres provinces, le Québec compte moins de personnes d’origine japonaise ou coréenne. De plus, dans le sondage d’opinion national 2021 de la FAP Canada, seulement 22 % des répondants québécois ont eu des interactions quotidiennes ou hebdomadaires avec des personnes d’Asie ou des Canadiens d’origine asiatique, comparativement à 65 % en Colombie-Britannique et 45 % en Ontario.

Table 1

Graph 4

Néanmoins, les participants ont généralement trouvé d’autres occasions d’interagir avec la culture japonaise ou coréenne, notamment à travers les films, la musique et les communautés en ligne, ainsi que par le biais de loisirs tels que la danse, les arts martiaux ou les cours de cuisine. Ils ont également indiqué que Montréal compte plusieurs restaurants et épiceries japonais et coréens, ainsi que des festivals culturels et artistiques. Néanmoins, bien qu’ils aient probablement eu plus de contacts avec des locuteurs natifs japonais ou coréens que le Québécois moyen, ils aimeraient que ces occasions se multiplient, non seulement pour pratiquer leurs compétences linguistiques, mais aussi pour en apprendre davantage sur le pays cible. (Quelques participants ont d’ailleurs noté que de telles occasions ne sont pas aussi fréquentes dans d’autres régions du Québec que Montréal).

Certaines personnes interrogées ont décrit des exemples de situations dans lesquelles elles apprécieraient l’occasion d’approfondir leurs connaissances sur le Japon ou la Corée. Sacha, un homme de 38 ans qui apprend le coréen, a déclaré qu’il aimerait participer à des séminaires ou rejoindre des groupes de discussion informels dirigés par des locuteurs coréens natifs qui pourraient partager leurs histoires et parler de la vie quotidienne en Corée. Il ajoute que les cours de langue ont tendance à être trop académiques, se concentrant principalement sur l’acquisition de la langue elle-même, ce qui rend difficile l’apprentissage de ce qui se passe en Corée.

Vincent, un apprenant japonais, a déclaré que même s’il aimait assister aux festivals japonais à Montréal, il trouvait que ces événements présentaient la culture sans offrir suffisamment de renseignements.

« Il y a plusieurs événements qui approchent la culture japonaise qui sont la plupart du temps à un degré d’introduction. Quand il y avait le hanami ... il n’y a personne qui va te détailler sur le sujet. Je comprends pourquoi, parce que c’est fait pour être un peu plus un point d’approche pour le public général. » - Vincent, 35

(Remarque : Le hanami est la coutume japonaise consistant à apprécier la beauté des fleurs, notamment au printemps. Un festival de fleurs hanami a eu lieu en avril 2021 à Montréal, mettant en valeur différents aspects de la culture japonaise tels que la gastronomie, la musique, les mangas et la mode).

Selon Philippe, qui effectuait des recherches universitaires sur la Corée, l’apprentissage des langues et de la culture passe par l’immersion et les interactions réelles.

« Les cours, ce n’est pas la meilleure façon d’apprendre le coréen. Apprendre une langue, il faut que tu sois immergé là-dedans, tu ne peux pas l’apprendre par cœur… La vraie culture coréenne pour moi c’est les marchés, les madames, aller négocier les prix » - Philippe, 25

Certains participants ont déclaré avoir créé des communautés locales fondées sur un intérêt commun pour le Japon ou la Corée et l’apprentissage des langues. Daniela a déclaré qu’elle retrouvait souvent ses amis pour écouter de la K-pop et parler de leurs séries coréennes préférées. Roxanne et Noémie ont trouvé motivant d’apprendre une langue avec des amis qui s’intéressaient également à la culture populaire coréenne et japonaise, respectivement.

Tenter de combler les lacunes

À l’instar de plusieurs jeunes adultes interrogés dans le cadre de cette étude ont indiqué, leur intérêt pour l’apprentissage du japonais ou du coréen était lié à leur intérêt pour la culture japonaise ou coréenne, et ils ont considéré que l’établissement de liens avec d’autres personnes qui connaissent bien l’un de ces endroits était un complément important à cette poursuite. Ces activités auto-motivées ne se sont pas nécessairement traduites par un intérêt accru pour le suivi de l’actualité de ces deux pays. En fait, très peu de participants ont déclaré qu’ils le faisaient régulièrement, généralement par manque de temps ou d’intérêt. Certains ont dit qu’ils étaient au courant de certains événements d’actualité dans ces pays grâce aux médias sociaux et qu’ils regardaient des vidéos sur YouTube ou suivaient des comptes Twitter qui traitaient de la vie quotidienne, de la culture et de l’actualité de l’un de ces deux pays. D’autres ont dit qu’ils recevaient parfois des informations sur les événements actuels de la part de leurs amis japonais ou coréens.

Certains participants ont fait remarquer qu’ils avaient le sentiment d’avoir eu des lacunes dans leur éducation formelle antérieure sur l’Asie. Une majorité d’entre eux, y compris ceux qui ont grandi au Québec, n’ont pas eu de base d’éducation formelle sur l’Asie au primaire ni au secondaire. À cet égard, le Québec n’est pas une exception - selon un sondage de la FAP Canada, une majorité de Canadiens ont déclaré avoir reçu peu ou pas d’éducation formelle sur l’Asie à l’école secondaire, bien que ce chiffre soit le plus élevé au Québec (85 %).

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En raison de ce manque d’exposition à l’Asie plus tôt dans leur vie, certains participants ont délibérément choisi des sujets de recherche dans leurs études postsecondaires liés au Japon ou à la Corée afin d’en apprendre davantage sur ces pays. En fait, des participants comme Lily, une apprenante de la langue coréenne du Nouveau-Brunswick qui se spécialise dans les études sur l’Asie de l’Est, ont déclaré que ce n’est qu’à l’université qu’elle a commencé à se renseigner sur l’Asie dans le cadre de ses cours.

« Lorsque je suis arrivé à McGill, j’ai appris toutes ces choses dont j’avais l’impression que j’aurais déjà dû savoir. Pas nécessairement pour la Corée, mais pour d’autres pays également... Je me souviens d’une chose qui m’a beaucoup étonné dans un de mes cours de première année : la guerre de Corée n’est pas techniquement terminée. J’ai été époustouflé d’apprendre cela. On n’a jamais appris ça à l’école, on n’a même jamais parlé de la guerre de Corée. » - Lily, 22 ans

Réfléchissant à son propre manque relatif d’éducation formelle sur l’Asie, Daniela, une apprenante de la langue coréenne, a déclaré :

« Pour moi, l’Europe et l’Amérique sont liées. L’autre endroit qui a toujours été un mystère pour beaucoup d’entre nous est la partie asiatique du monde. Le fait que j’aie dû le découvrir à travers les mangas est vraiment intéressant. Mais j’ai l’impression que l’on peut en découvrir davantage, plus qu’à travers une série dont on sait qu’elle est fictive. » - Daniela, 19 ans

Parallèlement, pour des participants comme Léa, le manque d’exposition à l’Asie et aux cultures asiatiques a renforcé leur curiosité et leur désir d’en savoir davantage.

« Quand je m’intéresse à la culture japonaise, à la culture coréenne ou à la culture asiatique de l’Est, c’est un choix “autre”. C’est un univers qui s’ouvre devant nous qu’on ne connaissait pas… Les gens sont intéressés, les gens ont envie de les connaître. On a moins été exposés donc on a envie de découvrir. » - Léa, 26

En soulignant une autre lacune dans leur éducation sur l’Asie, beaucoup ont reconnu qu’ils en savaient relativement peu sur les autres parties de cette région et qu’ils croyaient qu’il faudrait faire davantage pour mieux faire connaître la région dans son ensemble - une reconnaissance pertinente au résultat du sondage mentionné dans l’introduction de ce rapport, selon lequel environ la moitié de la population du Québec est très ou assez intéressée à en apprendre davantage sur l’Asie.

Revenant sur la question de la culture populaire, certains participants, tout en notant qu’elle peut être un moteur de l’intérêt pour l’apprentissage des langues, ont également mis en garde contre les limites possibles qu’elle peut présenter pour favoriser une prise de conscience et des relations plus sincères. Par exemple, Mathilde, dont le conjoint est coréen, a constaté que, selon son expérience, certains Coréens hésitent à s’ouvrir parce qu’ils ont l’impression que les autres ne s’intéressent à eux qu’en raison de la culture populaire

« Les gens ne veulent pas parler de leurs origines de peur d’être juste associés à ça, du pays où ils ont grandi… [Leur perception] c’est plutôt : tu ne vas pas pouvoir me comprendre, alors pourquoi tu essaies de me comprendre?

Quand on apprend la langue… c’est difficile parce qu’on essaie d’en apprendre un peu plus sur la culture, mais on ne veut pas s’immiscer… ne pas être respectueux envers la culture non plus. Comment je peux te faire savoir que je m’intéresse vraiment à toi et pas juste à des dramas et de la K-pop? » - Mathilde, 30   

Mathilde a suggéré que pour combler ce fossé, les gens devraient développer une compréhension du passé de la Corée et de sa position actuelle dans le monde et faire preuve de patience lorsqu’ils rencontrent des Coréens. D’après son expérience, si la culture populaire peut servir de point de départ à un intérêt accru des jeunes pour le Japon ou la Corée, elle doit être complétée par des possibilités d’apprentissage des sociétés, de l’histoire et des cultures de ces pays, notamment directement auprès des Japonais et des Coréens.

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Garder l’esprit ouvert

Si les participants à cette étude ont été incités à apprendre la langue japonaise ou coréenne en raison de sentiments positifs à l’égard de leurs cultures populaires, dans l’ensemble, ils ont tout de même été en mesure de développer une conscience nuancée et critique de ces pays. Cette constatation vaut aussi bien pour ceux qui ont visité le Japon ou la Corée que pour ceux qui ne l’ont pas fait. Certains participants ont admis qu’au départ, ils avaient une image très idéalisée de ces pays, mais ont noté que ces perceptions ont changé avec le temps, à mesure qu’ils en apprenaient davantage.

L’idée d’un paradoxe, ou d’un contraste, dans les sociétés japonaise et coréenne est un exemple qui est revenu dans plusieurs entretiens. De nombreux participants ont perçu ces lieux comme étant riches en traditions, mais aussi très modernes. Certains participants ont pensé à des paysages naturels à côté de villes animées et de gratte-ciel. Cette idée de contraste s’étend aux interactions personnelles avec les gens, comme l’ont observé Cédric et Léa, deux francophones apprenant le coréen, qui ont tous deux remarqué que, bien que les Coréens semblent froids à l’extérieur, ils peuvent aussi être très chaleureux et accueillants une fois qu’ils apprennent à vous connaître.

En effet, de nombreux participants avaient un mélange de perceptions positives et négatives de ces pays. Beaucoup apprécient des valeurs telles que le respect des aînés et l’éthique du travail, mais critiquent également les hiérarchies sociales strictes et la discrimination à l’égard des femmes et des membres de la communauté LGBTQ. Ces participants ont déclaré être conscients que le Japon et la Corée ne sont pas parfaits, et certains ont mentionné ce qu’ils considèrent comme un écart entre la réalité et ce que la culture populaire et les médias ont tendance à dépeindre.

De plus, quelques participants ont spécifiquement critiqué le pouvoir de convaincre et la marque de la nation japonaise et coréenne.

« Ça ne me tente pas de te répondre avec de la propagande sud-coréenne. Je pense que la Corée du Sud est un pays qui a tellement un marketing de son identité incroyable qui fonctionne tellement bien… J’adore tellement la Corée mais en même temps il y a un côté fake que j’haïs. » - Philippe, 25

« Le semestre dernier, j’ai suivi un cours sur l’histoire de la Chine au XXsiècle. Nous avons parlé de la Chine et du Japon et c’était intéressant. Dans mon cours de littérature coréenne, nous avons traité de la littérature de la période coloniale... Le type d’approche de la puissance douce est “manga, anime, le Japon est si gentil!”. Mais regardez ce qui s’est passé. Il y a l’histoire et le pouvoir de convaincre - c’est une représentation plus complexe du Japon. » - Hannah, 20 ans

David, un apprenant japonais anglophone, a déclaré que la manière dont le Japon est dépeint en Occident a tendance à être stéréotypée et parfois inexacte, notamment en ce qui concerne les personnages de samouraïs ou de ninjas dans les films hollywoodiens. Étienne, qui est francophone et en train d’apprendre le japonais, a déclaré que les médias occidentaux exagèrent parfois certains faits concernant le Japon, comme les trains bondés et les restaurants qui refusent de servir les étrangers. Tout en reconnaissant qu’il y avait une part de vérité dans ces histoires, il a déclaré qu’il a rarement rencontré ces situations lors de ses visites au Japon.

Toutefois, les participants n’ont pas nécessairement rejeté toutes les représentations négatives, et plusieurs d’entre eux, qui ne sont jamais allés au Japon ou en Corée, ont exprimé des inquiétudes quant à la manière dont ils pourraient être traités ou perçus comme des étrangers lorsqu’ils s’y rendront :

« … si je finis enfin par aller au Japon pour au moins un an, je n’ai pas le goût d’être mise à un pied plus bas que les hommes. Mais ça va quand même être le cas peu importe ce que je fais. Aussi le fait que je ne suis pas Japonaise, j’ai des traits d’une femme blanche. Je ne sais pas si les gens là-bas vont me regarder bizarrement. Je ne penserais pas, surtout dans les grosses villes. Mais c’est quand même quelque chose que je me demande. » - Noémie, 21

Christelle, une apprenante coréenne d’origine haïtienne, a partagé des préoccupations similaires concernant la perception des étrangers en Corée :

« J’aimerais visiter [la Corée]… mais ça reste quand même uniforme comme culture. Il y a beaucoup de monde qui ne sont pas habitués de voir des personnes étrangères ou noires. Quand j’y pense, ça peut être stressant. » - Christelle, 24

La plupart des participants ont déclaré qu’au fil du temps, ils ont pu acquérir une meilleure compréhension, plus nuancée, du Japon ou de la Corée, de ses aspects positifs et négatifs. Toutefois, leurs appréhensions ne les ont pas découragés de continuer à apprendre le japonais ou le coréen ou de faire des projets de visite et d’expérience au Japon ou en Corée à l’avenir.

Plusieurs participants ont mentionné un exemple intéressant de la façon dont la langue peut servir de passerelle vers une plus grande familiarité avec le pays et la culture cibles, à savoir que l’apprentissage du japonais ou du coréen les a aidés à mieux comprendre des aspects culturels tels que la hiérarchie sociale, notamment en raison de l’utilisation des formules honorifiques et des niveaux de formalité dans les deux langues. Les sociolinguistes parlent de « compétence en communication interculturelle » pour souligner la capacité à parler non seulement une langue correctement, mais aussi d’une manière socialement appropriée - en d’autres termes, avec une compétence interculturelle[1]. Bien que la langue ne soit pas la seule composante de la communication et de la sensibilisation interculturelles, elle peut être un facteur important.

Samantha, par exemple, a discuté des différences entre s’adresser à un enseignant au Japon et à un enseignant en Amérique du Nord, et a réfléchi à la manière dont elle adapterait son style de conversation au Japon :

« ...Si je devais vivre au Japon - parce que je pense être une personne assez franche - il serait intéressant de voir comment cette partie de ma personnalité se marie avec une langue qui est très restrictive... Il est vraiment important de respecter la culture et de parler formellement aux gens quand il le faut. Mais, parallèlement, j’ai l’impression que ma façon occidentale de parler ne peut pas vraiment coexister entièrement avec cette structure. » - Samantha, 19 ans

De nombreux participants ont déclaré qu’il serait impossible de comprendre réellement un pays, sa culture, sa société et son histoire sans connaître la langue, car il y a une limite à ce que l’on peut apprendre en ne parlant que le français ou l’anglais. Simultanément, ils pensaient qu’il serait difficile d’apprendre une langue sans s’intéresser à sa culture, notamment parce qu’il serait difficile de maintenir sa motivation lors de l’apprentissage de langues relativement difficiles comme le japonais ou le coréen.

D’autres ont dit que l’apprentissage de la langue cible leur a fait adopter un état d’esprit et une attitude différents. Lorsqu’on leur a demandé pourquoi l’apprentissage des langues devrait être encouragé, la plupart des participants ont répondu que cela peut vous rendre plus ouvert d’esprit et plus tolérant envers les différentes cultures, même si cela sera plus difficile pour certains apprenants que pour d’autres.

Mais dans le contexte du Québec, où le français est la seule langue officielle, est-ce que l’une de ces personnes interrogées a estimé que le fait d’encourager l’apprentissage des langues asiatiques dans le cadre du pivot de la politique étrangère de la province vers l’Asie entrerait en conflit avec l’engagement de maintenir cette langue?


[1] Byram, Michael et Irina Golubeva, « Conceptualising intercultural (communicative) competence and intercultural citizenship », dans The Routledge Handbook of Language and Intercultural Communication, ed. Jane Jackson. (Londres : Routledge, 2020)

L’apprentissage des langues asiatiques au Canada et au Québec

Pour mettre en contexte les opinions des participants sur la promotion de l’apprentissage de la langue asiatique au Québec, il est utile de réfléchir d’abord aux approches du Canada et du Québec en matière de diversité et de langue(s) officielle(s). Cela nous aide à comprendre pourquoi, malgré les avantages personnels ou sociétaux évidents de l’apprentissage d’une langue asiatique (ou d’une autre langue tierce), plusieurs participants ne pensaient pas nécessairement que le gouvernement devait en faire une priorité ou l’encourager officiellement.

L’idée que le Canada est une société multiculturelle reconnaît que les Canadiens proviennent d’une variété d’origines raciales et ethniques. La Loi sur le multiculturalisme de 1988 vise à préserver, améliorer et intégrer les différences culturelles dans la société canadienne et à garantir l’égalité d’accès et la pleine participation de tous les Canadiens aux différentes sphères de la vie canadienne. Le multiculturalisme canadien s’appuie également sur le bilinguisme institutionnel, c’est-à-dire la capacité des institutions fédérales à fonctionner en français et en anglais.

Le multiculturalisme canadien a été rejeté au Québec, car beaucoup ont fait valoir qu’il ébranlait le statut unique du Québec en mettant les francophones sur le même pied que tous les autres groupes culturels du Canada. Le Québec a ainsi adopté un modèle interculturel[1], qui repose sur l’idée de l’intégration des diverses communautés minoritaires à la culture majoritaire par le biais de la francisation et de la sécularisation du domaine public. Deux considérations importantes sous-tendent cette approche :

  1. Il existe une culture majoritaire au sein de la nation québécoise, ce qui se traduit par une vision spécifique de la nation, de l’identité et de l’appartenance nationale. En revanche, il n’y a pas de culture majoritaire au Canada, car la diversité définit l’identité nationale.
  2. Les Québécois francophones constituent une minorité en Amérique du Nord anglophone, c’est pourquoi l’accent est mis sur la protection de la langue, nécessaire à l’intégration et à la cohésion collective. Le multiculturalisme canadien ne reflète pas des préoccupations similaires concernant la protection des langues, car la langue anglaise n’est pas menacée.

Selon la Charte de la langue française, communément appelée loi 101, tous les enfants du Québec doivent être éduqués en français jusqu’à la fin de l’école secondaire. Bien que le gouvernement continue de promouvoir et de protéger la langue française et la culture québécoise, la fragilité du Québec francophone est accentuée par la mondialisation, la présence croissante d’immigrants et l’incertitude quant à leur francisation, et la question non résolue de la souveraineté du Québec. Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État et le projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, récemment adopté, sont deux exemples récents du débat en cours sur le modèle d’intégration du Québec. Dans un tel contexte, la promotion de l’apprentissage des langues asiatiques pourrait être considérée comme une concurrence aux efforts visant à protéger et à promouvoir le français.

Bien que les participants n’aient pas été interrogés sur leur vision du multiculturalisme ou de l’interculturalisme, leurs opinions concernant l’apprentissage des langues asiatiques au Québec reflétaient largement les questions d’identité, d’intégration et de diversité dans la province.

Articuler les avantages de l’apprentissage d’une langue asiatique

On a demandé aux participants s’ils encourageraient d’autres personnes, comme des amis ou des membres de leur famille, à apprendre une langue asiatique. La majorité des participants ont répondu par l’affirmative et ont mis en avant des raisons similaires à leurs propres motivations pour apprendre le japonais ou le coréen. Il s’agit notamment de la compréhension d’un pays cible et de sa culture, ou de la communication avec des locuteurs de langue maternelle, surtout si le futur apprenant a déjà un intérêt marqué pour la culture japonaise ou coréenne. Bien que cela ne fasse pas souvent partie des principales motivations de l’apprentissage du japonais et du coréen, les participants ont également déclaré que l’apprentissage des langues en général présente des avantages cognitifs et peut aider une personne à apprécier sa propre culture.

Toutefois, les participants ont également évoqué les avantages de l’apprentissage des langues pour la société dans son ensemble, notamment :

  • Accroître l’ouverture d’esprit et la tolérance envers les autres
  • Rendre notre société plus accueillante pour les nouveaux immigrants et promouvoir la diversité
  • Améliorer les relations entre le Canada et l’Asie ou le Québec et l’Asie

Les perceptions négatives peuvent entraîner un manque d’intérêt

Étant donné qu’un nombre important de personnes, en particulier les jeunes, sont intéressées par l’apprentissage du japonais ou du coréen en raison de l’attrait des cultures populaires de ces pays, certains participants ont fait valoir que l’offre de cours de langue répondrait à une demande existante et croissante. Toutefois, quelques autres ont dit que même si le gouvernement encourageait officiellement l’apprentissage des langues asiatiques, ils ne pensaient pas que beaucoup de gens seraient intéressés. Selon eux, peu de gens au Québec veulent apprendre une langue asiatique ou une troisième langue. Bien que Montréal soit l’une des villes les plus multiculturelles et multilingues du Canada, les personnes qui vivent dans des régions moins diversifiées peuvent avoir des préjugés ou des opinions erronées sur les personnes d’origines ethniques et culturelles différentes.

Noémie, qui a de la famille et des amis à l’extérieur de Montréal, pense que certaines de ses connaissances ont « une pensée très arriérée » et se souvient de leur réaction à son apprentissage du japonais :

« Quand je dis que j’apprends le japonais aux gens, ils rient de moi. C’est pas drôle! Il y a beaucoup de préjugés à propos de ça, je dirais. Dès que je dis que j’apprends le japonais ils vont faire l’accent raciste chinois alors que ça n’a rien à voir [avec ça]. Quand je parle des fun facts de la langue japonaise à mes amis… ils ne sont pas très ouverts. Mais ils n’apprennent pas de langues non plus. Ils parlent mal anglais, ils ne parlent pas espagnol. » - Noémie, 21

Léa, qui vient de France, attribue le manque d’intérêt pour les langues asiatiques à la peur de la Chine et à un sentiment général anti-asiatique en Occident.

« Les gens ont peur de l’Asie. On a tellement matrixé les gens avec la Chine et la Chine c’est mauvais. C’est un discours populaire… Malheureusement c’est un refrain des sociétés occidentales qui ont peur ... C’est trop peu d’exposition et un discours du gouvernement qui n’encourage pas l’ouverture d’esprit. » - Léa, 26

Philippe, qui est Québécois, a fait état de sentiments similaires, ajoutant que les générations plus anciennes - y compris celles qui sont chargées de l’élaboration des politiques aujourd’hui - ont grandi à une époque où l’Asie était très différente.

« Nos parents quand qu’ils étaient jeunes… l’Asie c’était des personnes pauvres. Maintenant c’est Kim Jong-un et puis la Chine c’est des méchants. Donc eux autres, nos parents et les personnes qui voudraient promouvoir [l’apprentissage des langues], ils n’ont pas connu le Japon anime qui a séduit tous les jeunes de ma génération, puis ils n’ont pas connu les K-dramas » - Philippe, 25

Pour que le Canada et le Québec se positionnent en tant qu’acteurs économiques mondiaux, en particulier dans la région indo-pacifique, l’investissement dans l’enseignement des langues peut aider à signaler leur engagement à long terme dans la région et contribuer à modifier les attitudes générales sur l’apprentissage des langues et à réduire la stigmatisation de l’Asie et des Asiatiques.

L’apprentissage des langues asiatiques par rapport à d’autres priorités linguistiques

Lorsqu’on leur a demandé si la promotion de l’apprentissage des langues asiatiques entrerait en conflit avec des priorités linguistiques telles que le bilinguisme au Canada et la protection du français au Québec, de nombreux participants (21 participants, dont huit francophones) ont répondu qu’ils ne considéraient pas la protection du français et l’apprentissage d’une langue asiatique ou de toute autre langue tierce comme des objectifs mutuellement exclusifs. Selon eux, la connaissance d’une autre langue est simplement un atout supplémentaire.

Pour plusieurs participants, c’est l’anglais - et non les langues asiatiques - qui menace le plus la position du français au Québec. David, dont la langue maternelle est l’anglais mais qui parle couramment le français et plusieurs autres langues, a déclaré que, selon lui, plus la langue est différente (du français), moins elle représente une menace pour le français.

Étienne, qui apprend le japonais, a déclaré que, même s’il devrait y avoir davantage d’occasions d’apprendre les langues asiatiques, il pense que les enfants ne devraient commencer à apprendre une troisième langue non ancestrale qu’à l’école secondaire, après avoir maîtrisé le français et l’anglais.

Gabriel, un francophone aux racines italiennes et brésiliennes, a convenu que si la priorité au Québec est de maîtriser d’abord le français puis l’anglais, il aurait apprécié de pouvoir commencer à apprendre le japonais plus tôt. Il se souvient qu’à l’âge de 14 ans, il n’a pas pu s’inscrire aux cours du centre communautaire japonais, malgré son vif intérêt, en raison d’une restriction d’âge.

« L’opportunité d’appendre des langues plus jeune ça serait super. Je pense que sauf si le jeune un de ses parents est d’ethnicité japonaise ou coréenne, c’est vraiment difficile pour lui d’apprendre s’il est intéressé envers la culture. Même si le parent était intéressé, ou qu’il voit que le jeune est intéressé et il veut l’inscrire, la seule opportunité qui est sûre c’est à l’université. Mais le monde devra attendre longtemps avant d’y arriver ou il ne va juste pas y arriver du tout. » - Gabriel, 18

Les questions d’accès au matériel didactique et la prédominance de l’anglais

Alors que tous les participants ont déclaré avoir été confrontés à différents défis dans l’apprentissage du japonais ou du coréen, plusieurs apprenants francophones ont mentionné qu’ils devaient souvent jongler entre le français, l’anglais et leur langue cible. Selon eux, il y a moins de ressources telles que des manuels, des vidéos ou des applications conçues pour les apprenants de langues qui ne sont pas de langue maternelle anglaise. C’est notamment le cas du coréen, dont la popularité est relativement récente. Par ailleurs, de nombreux cours de langue non crédités sont enseignés en anglais, car les professeurs de langue sont souvent de nouveaux immigrants au Québec pour qui le français est la troisième ou la quatrième langue.

Cependant, les participants francophones ont déclaré qu’ils étaient capables de surmonter ces difficultés en recherchant eux-mêmes des définitions ou des explications. Certains ont déclaré qu’étant donné qu’ils sont bilingues ou qu’ils maîtrisent suffisamment l’anglais, l’utilisation de ressources et de matériel d’apprentissage des langues japonaise et coréenne conçus pour les anglophones natifs ne représentait pas un défi important.

Plusieurs participants ont même déclaré qu’ils pensaient qu’il était plus facile d’apprendre le japonais ou le coréen en anglais, en partie en raison de l’abondance de matériel didactique pour les anglophones, mais aussi parce qu’ils sont tellement habitués à utiliser les médias sociaux, à faire des recherches ou à consommer la culture pop américaine en anglais qu’apprendre une langue asiatique en anglais n’avait rien d’inhabituel pour eux.

Conclusion

Les participants à cette étude étaient principalement bilingues ou multiculturels et vivaient ou allaient à l’école à Montréal, une ville diverse et cosmopolite. Bien qu’ils ne représentent pas tous les jeunes du Québec, nous pouvons tirer plusieurs enseignements importants de leurs opinions et de leurs expériences.

  1. Il est important de souligner, une fois de plus, que la plupart des participants considèrent l’apprentissage d’une langue asiatique comme une décision personnelle, même s’ils y voient eux-mêmes de nombreux avantages.
  2. Bien que les participants aient répondu à la question concernant le conflit potentiel avec les politiques linguistiques de différentes manières, ces points de vue ne s’excluent pas totalement. Ils illustrent plutôt la complexité des questions relatives à la diversité et à la protection de la langue au Québec.
  3. Étant donné la nécessité pour le Canada et le Québec de répondre à un monde défini par l’importance croissante de l’Asie en encourageant le développement de la « compétence asiatique » chez les jeunes générations, les perspectives de ces apprenants en langues soulèvent des questions importantes pour les décideurs, les éducateurs et la société en général : Quels sont les moyens les plus efficaces pour les décideurs, les éducateurs et la société en général de soutenir et d’encourager l’apprentissage de l’Asie, en particulier des langues asiatiques?

[1] Bouchard, Gérard. « What is Interculturalism? » McGill Law Journal, 56:2 (2011). https://lawjournal.mcgill.ca/wp-content/uploads/pdf/2710852-Bouchard_e.pdf

Résumé des conclusions et recommandations

Nous savons que la culture pop du Japon et de la Corée est à l’origine de l’augmentation de la demande d’apprentissage du japonais ou du coréen chez les jeunes du monde entier, et Montréal ne fait pas exception. Si la consommation de culture pop japonaise et coréenne varie selon les participants à cette étude, la majorité d’entre eux ont déclaré que les anime et les mangas, ou la K-pop et les K-dramas, ont éveillé leur curiosité pour le Japon ou la Corée.

Ces apprenants en langues étaient motivés par un intérêt personnel et une motivation intégrative - le désir de communiquer avec des locuteurs de langue maternelle et de s’intégrer à la culture de leur langue cible. En général, ces apprenants de langue japonaise et coréenne étaient motivés par des raisons autres que des raisons instrumentales, qui sont généralement liées à des objectifs professionnels ou universitaires tels que l’obtention d’une promotion ou le respect des exigences des cours. Ils sont également ouverts d’esprit et respectueux de la culture et des peuples japonais et coréens, comme en témoignent les efforts qu’ils déploient pour acquérir une compréhension plus profonde et plus nuancée de leur pays cible.

La culture populaire peut fournir l’impulsion initiale ou l’introduction au Japon et à la Corée, motivant plusieurs jeunes à commencer à étudier le japonais ou le coréen, mais il est important que les apprenants disposent de ressources et d’occasions pour approfondir leur conscience culturelle du Japon et de la Corée, en classe (de langues) et à l’extérieur de celle-ci.

Principale recommandation : Construire et soutenir la trajectoire d’apprentissage des langues des jeunes

Si la culture populaire peut susciter un intérêt initial pour le Japon et la Corée chez les jeunes, le maintien d’un intérêt à long terme exige que les décideurs politiques et les éducateurs soient attentifs aux divers contextes culturels, linguistiques et académiques et aux motivations des jeunes apprenants de langues.

Améliorer l’accès pour les apprenants francophones

Plusieurs apprenants francophones interrogés dans le cadre de cette étude ont éprouvé des difficultés à apprendre le japonais et le coréen par le biais de l’anglais, leur deuxième langue, et la plupart des participants ont convenu qu’il y avait peu de matériel didactique de langues pour les francophones et les anglophones dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. La majorité d’entre eux n’ont pas trouvé qu’il s’agissait d’obstacles importants à l’apprentissage du japonais ou du coréen. Cependant, nous reconnaissons que notre étude s’est concentrée sur les jeunes de Montréal - ce qui peut avoir contribué à un nombre plus élevé que la moyenne de participants bilingues ou multilingues dans notre échantillon. Investir dans la traduction et le développement de ressources et de matériels pour les apprenants francophones et ceux dont l’anglais n’est pas la langue maternelle permettrait de créer un accès meilleur et plus équitable aux possibilités d’apprentissage du japonais et du coréen.

Assurer la continuité de l’apprentissage des langues

À Montréal, les cours de japonais et de coréen ne sont offerts qu’à l’enseignement supérieur (principalement dans les universités, et dans certains cégeps dans le cas du japonais), dans les cours non crédités des centres communautaires et des écoles de langues, ou dans les cours particuliers. Les jeunes qui s’intéressent très tôt au japonais ou au coréen ne commencent généralement pas à apprendre la langue avant la fin de leur adolescence en s’inscrivant à des cours non crédités (généralement limités par l’âge) ou en suivant des cours de japonais et de coréen uniquement lorsqu’ils fréquentent l’université. Un début tardif de l’apprentissage d’une langue donne aux jeunes moins de temps pour atteindre la maîtrise de la langue, ce qui affecte particulièrement ceux qui espèrent utiliser leurs compétences linguistiques à l’avenir dans un cadre professionnel. En outre, le manque ou l’absence de cours pourrait décourager les apprenants en langues, les rendant plus susceptibles d’abandonner leurs efforts.

L’introduction des langues asiatiques le plus tôt possible, notamment dans l’enseignement formel, peut contribuer à ouvrir la voie aux jeunes pour qu’ils poursuivent l’apprentissage des langues à l’université et par la suite.

Soutenir les parcours professionnels et personnels d’apprentissage des langues

Comme le montre notre étude, tous les jeunes apprenant une langue japonaise ou coréenne n’espèrent pas s’installer dans leur pays d’accueil ou poursuivre une carrière dans laquelle leur langue cible est essentielle. Certains étudient les langues comme un hobby, tout comme on se met au piano ou au yoga. Cependant, il est important de reconnaître que l’apprentissage des langues est une expérience enrichissante, quel que soit l’objectif final de l’apprenant ou l’utilisation qu’il fait de la langue. Les cours et les programmes de langues doivent inclure des ressources et des conseils adaptés aux capacités, aux besoins et aux motivations des différents apprenants, qui peuvent et doivent souvent changer au cours de leur parcours d’apprentissage des langues.

Deuxième recommandation : Créer des occasions pour tisser des liens entre jeunes adultes par le biais des points de contact existants.

La majorité des jeunes apprenants japonais et coréens interrogés dans le cadre de cette étude ont apprécié de participer à des festivals locaux où ils pouvaient goûter de nouveaux aliments, découvrir les traditions de leur pays cible et rencontrer des locuteurs de langue maternelle et d’autres jeunes intéressés par l’Asie. Cependant, plusieurs participants ont mentionné que ces événements étaient généralement trop petits ou trop fréquentés et qu’ils n’offraient qu’un aperçu de la culture japonaise ou coréenne sans grande profondeur.

Un financement plus important pour les organisateurs de festivals et les organisateurs communautaires pourrait contribuer à accroître la capacité et à diversifier davantage la programmation des événements publics. Pour les jeunes apprenants en langues qui souhaitent approfondir leur connaissance du Japon, de la Corée et de l’Asie en général, un budget réservé à des rencontres plus petites et plus intimes permettrait de créer davantage d’occasions d’interagir avec des locuteurs de langue maternelle et d’apprendre directement de ces derniers.

Ces rassemblements pourraient être organisés à l’occasion de grands festivals et événements. Sacha a suggéré d’organiser des séminaires ou des groupes de discussion informels avec des Coréens à Montréal où les participants peuvent se renseigner sur les questions contemporaines en Corée. De telles occasions seraient particulièrement pertinentes pour ceux qui ont des possibilités limitées de suivre des cours sur l’Asie, qui ne sont généralement disponibles que dans les universités.

Mathilde a déclaré que les groupes d’échange linguistique sont un bon moyen d’entrer en contact avec les membres de la communauté coréenne de Montréal, mais elle a encouragé les participants à faire d’autres activités non liées à l’apprentissage de la langue par la suite afin de socialiser et d’apprendre à se connaître sur une base plus personnelle.

Gabriel a suggéré la création d’une plateforme centralisée regroupant différentes organisations liées au Japon à Montréal, comme le centre communautaire japonais, les clubs sur les campus, les associations sportives et les écoles de langues. Ce guichet unique rendrait les ressources et les possibilités liées au Japon plus facilement accessibles au public et contribuerait à établir des liens entre les différentes communautés.

Troisième recommandation : Promouvoir la participation des jeunes à un écosystème pour qu’ils acquièrent des « compétences en Asie ».

La maîtrise d’une langue est un outil important pour développer une conscience culturelle. Cependant, l’exposition à l’Asie intervient souvent tardivement dans les expériences éducatives formelles des étudiants. Presque tous les participants à notre étude ont déclaré avoir été peu ou pas du tout exposés à l’histoire ou à la culture asiatique dans l’enseignement primaire et secondaire. Au contraire, leur intérêt pour les cultures japonaise et coréenne les a incités à rechercher de manière indépendante des occasions d’en apprendre davantage sur ces cultures en dehors de la classe.

L’Indo-Pacifique étant désormais au premier plan de la politique étrangère de nombreux pays, dont le Québec, l’établissement et le maintien de relations avec des homologues en Asie exigent une population engagée et informée sur la région. En outre, la montée alarmante de la violence anti-asiatique au Canada a conduit les communautés asiatiques à demander l’inclusion de leçons sur l’histoire des Asiatiques en Amérique du Nord dans les écoles publiques afin de combattre le racisme. Les jeunes apprenants de langues interrogés dans le cadre de cette étude et les Canadiens de tout le pays sondés par la FAP Canada croient qu’il faudrait mettre davantage l’accent sur l’enseignement de l’Asie.

L’un des problèmes les plus cruciaux auxquels nous sommes confrontés pour préparer les jeunes générations à s’engager plus efficacement dans le dossier Indo-Pacifique est la création d’une filière d’étudiants vers les professions liées à l’Asie. La popularité croissante de la culture populaire asiatique a suscité un vif intérêt pour l’Asie chez les jeunes, ce qui a attiré de nombreux étudiants vers les études asiatiques. Cependant, de nombreux étudiants en études est-asiatiques interrogés dans le cadre de cette étude ont déclaré que, même s’ils espéraient tirer parti de leurs connaissances et de leurs compétences linguistiques pour leur carrière, peu d’entre eux avaient une idée précise du type de possibilités d’emploi existant dans ce domaine.

Pour constituer une filière de carrières liées à l’Asie, nous devons relier les possibilités d’apprentissage et créer des modèles éducatifs qui commencent bien avant que les étudiants n’entrent à l’université et se poursuivent après l’obtention de leur diplôme.

Devenir traducteur peut être une voie évidente pour de nombreux apprenants passionnés de langues, mais pour la plupart des gens, les compétences linguistiques doivent être associées à autre chose, comme des compétences spécialisées ou des connaissances et une expérience spécifiques au secteur.

La maîtrise d’une langue ne garantit pas un emploi, mais les compétences linguistiques et l’expérience internationale peuvent donner un avantage aux candidats. Les étudiants, les éducateurs et les employeurs doivent comprendre et exprimer clairement la valeur de la connaissance d’une autre langue, tout en travaillant ensemble pour combler les lacunes relatives aux compétences.

Méthodologie

Les entretiens individuels semi-structurés ont été considérés comme l’approche de recherche la plus appropriée étant donné la nature de cette étude, qui nécessite 1) une approche approfondie pour comprendre les motivations personnelles derrière l’apprentissage des langues asiatiques dans un environnement qui souligne l’importance du français; et 2) une exploration des perspectives et des opinions sur l’Asie, et l’engagement du Québec et du Canada envers l’Asie, par l’apprentissage des langues et les échanges interculturels. 

Des efforts ont été faits pour trouver des participants de différentes origines ethniques et culturelles qui étudient le japonais ou le coréen. Un échantillon de commodité d’étudiants en langues a été obtenu au moyen d’annonces partagées dans des groupes d’apprentissage de langues en ligne et par le biais de listes de diffusion institutionnelles d’universités et d’écoles de langues.

Les personnes interrogées ont été invitées à remplir un questionnaire de recrutement qui fournissait au chercheur des informations de base sur leurs antécédents et leur expérience sur le Japon et la Corée. Les entretiens se sont déroulés virtuellement via Zoom et ont été menés en français ou en anglais, selon la préférence des participants. Chaque entretien a duré de 30 à 60 minutes. Aucune compensation n’a été associée à la participation à l’étude. Les entretiens ont été enregistrés avec le consentement préalable des intéressés et ont été transcrits et analysés de manière indépendante par le chercheur principal.

Nombre d’entretiens : 43 personnes ont répondu à une enquête de recrutement. 25 personnes ont été interrogées.

Apprentissage des langues

Japonais = 10

Coréen = 15

Tranche d’âge des participants : 18 à 38

Identité sexuelle

Femmes = 15

Hommes = 9

Autre = 1

Identité ethnique et culturelle

Blanc/caucasien = 16

Non-blancs/non-caucasiens = 9

Langue maternelle

Français = 14

Anglais = 4

Allophone (ni français, ni anglais, ni langue autochtone) = 7

Positionnalité : Ce rapport est l’œuvre d’un chercheur d’origine vietnamienne, né et élevé à Montréal, et qui a une expérience personnelle de l’apprentissage du japonais et du coréen. Ce chercheur a également de l’expérience dans la direction de programmes liés à la jeunesse et à l’éducation visant à développer les compétences en Asie chez les jeunes Canadiens. Bien que tous les efforts aient été faits pour maintenir l’objectivité, l’expérience, les connaissances et les préjugés des chercheurs peuvent affecter la façon dont les données sont interprétées.

Remarques :

  1. Bien que nous fassions référence aux participants de cette étude en tant que jeunes adultes vivant à Montréal, il importe de noter que tous les participants ne résidaient pas à Montréal au moment de l’entretien ou au cours de cette recherche. Qui plus est, nous n’avons pas limité la participation uniquement aux citoyens canadiens ou résidents permanents. Cependant, tous les participants, quelles que soient leurs origines ethniques, culturelles ou nationales, ont vécu à Montréal ou ont étudié le japonais ou le coréen dans un établissement montréalais.
  2. Au cours des entretiens, le terme « Corée » a été utilisé pour inclure la culture et l’histoire de toute la péninsule. Toutefois, à l’exception d’un participant, les étudiants coréens de cette étude n’ont fait aucune mention de la Corée du Nord. Sauf indication contraire, les termes « Corée » et « coréen » utilisés dans le présent rapport font référence à la Corée du Sud.

Notes de fin

Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie. Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique. Québec : Gouvernement du Québec. 2021. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/relations-internationales/publications-adm/politiques/STR-Strategie-IndoPacifique-Long-FR-1dec21-MRIF.pdf?1638559704

Koo, Se-Woong. « Qui sont les Koreaboos? » Korea Exposé. Le 8 février 2022. https://koreaexpose.com/koreaboo-love-korean-culture-and-want-to-be-korean/

Gardner, Robert C. « Integrative Motivation and Second Language Acquisition, » in Motivation and Second Language Acquisition, publié sous la direction de Zoltan Dörnyei et Richard Schmidt. Honolulu : Université de Hawaï, 2001.

Byram, Michael et Irina Golubeva. « Conceptualising intercultural (communicative) competence and intercultural citizenship, » paru dans The Routledge Handbook of Language and Intercultural Communication, publié sous la direction de Jane Jackson. Londres : Routledge, 2020.

Bouchard, Gérard. « What is Interculturalism? » McGill Law Journal, 56:2 (2011). https://lawjournal.mcgill.ca/wp-content/uploads/pdf/2710852-Bouchard_e.pdf

Annexe : Questions d’entretien

Motivations et objectifs de l’apprentissage d’une langue

  1. Pourquoi avez-vous décidé d’étudier la langue japonaise/coréenne (raisons/motivations)? Quels sont les facteurs qui vous ont motivé?
  2. Avez-vous des objectifs spécifiques en tête que vous souhaitez atteindre en apprenant cette langue (objectifs/raisons/attentes)?
    1. [Pour les étudiants qui apprennent depuis plusieurs années] Pourquoi avez-vous continué à apprendre le japonais/coréen depuis _____ ans? Quelles sont les raisons de poursuivre vos études? (motivations/raisons à long terme)
  3. Avez-vous rencontré des difficultés concernant la qualité ou la disponibilité du matériel d’apprentissage? (obstacles à l’apprentissage des langues)
    1. La documentation est-elle disponible dans votre langue maternelle (en particulier pour les francophones)?

Perceptions du Japon ou de la Corée

  1. Avez-vous des contacts avec la culture, la société, l’histoire et les gens japonais/coréens en dehors de votre réseau d’apprentissage de la langue? Si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point? (réseau et sensibilisation)
  2. Lorsque vous pensez au Japon ou à la Corée, quelles sont les premières choses qui vous viennent à l’esprit? (premières impressions)
  3. Quels sont les aspects de la culture, de la société et de l’histoire japonaise et coréenne qui vous intéressent le plus? (connaissance et intérêt)
  4. De quelle façon élargissez-vous vos connaissances ou votre sensibilisation envers le Japon ou la Corée? Utilisez-vous des sources, certaines plus que d’autres? (source d’information/de sensibilisation)
  5. Suivez-vous l’actualité ou les nouvelles sur le Japon ou la Corée, ou en provenance de ceux-ci? Si c’est le cas, pourquoi? Quelle est la dernière nouvelle dont vous vous souvenez?
  6. Votre perception de la culture japonaise ou coréenne a-t-elle changé depuis que vous avez commencé à suivre des cours de langue? Si c’est le cas, comment? (changement de perception dû à l’apprentissage de la langue)

Idées pour développer des connaissances et des liens entre Montréal, Québec, voire le Canada et l’Asie.

  1. Avez-vous rencontré des difficultés lorsque vous avez cherché à en savoir plus sur le Japon ou la Corée ou lors de vos interactions avec les résidents de ces pays? Si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point? (les obstacles à la sensibilisation)

    1. Que peut/doit faire de plus le gouvernement fédéral ou provincial à cet égard? (rôle du gouvernement)
  2. Selon vous, la promotion de l’apprentissage des langues asiatiques entrerait-elle en concurrence avec les politiques linguistiques existantes en matière de bilinguisme canadien ou de protection du français au Québec (rôle du gouvernement/bilinguisme)?
  3. Recommanderiez-vous l’apprentissage d’une langue asiatique à d’autres Québécois ou Canadiens? Si oui, pourquoi? (rôle personnel)

À votre avis, quelles sont les méthodes efficaces pour motiver les autres Québécois et Canadiens à s’informer sur le Japon et la Corée (ou d’autres pays ou cultures asiatiques)? (méthodes de sensibilisation)

Annexe : Une remarque sur les antécédents culturels, ethniques et linguistiques des participants

Sur les 25 personnes interrogées, 16 étaient de race blanche et neuf n’étaient pas de race blanche. La majorité des participants (14 sur 25) ont indiqué que le français était leur langue maternelle. Cependant, quatre d’entre eux étaient des ressortissants français vivant au Québec, tandis que les autres étaient des Québécois. À l’exception de deux participants américains, tous les autres peuvent parler le français et l’anglais et plusieurs d’entre eux peuvent également parler d’autres langues comme l’espagnol (appris à l’école) ou leur langue d’origine. (Voir l’annexe pour les détails démographiques complets).

Julia Nguyen

Julia Nguyen is a Project Coordinator at the Asia Pacific Foundation of Canada and a recent B.A. graduate in Political Science and Economics from McGill University.

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