La Corée du Sud se tourne vers le secteur de l’énergie canadien pour alimenter ses ambitions en IA

South Korea map with coding in the background

L’intelligence artificielle (IA) et les technologies propres sont devenues des piliers centraux des politiques du nouveau gouvernement sud-coréen, dans le cadre de la stratégie de son administration pour revitaliser l’économie.

Le pays accuse un retard par rapport aux chefs de file comme les États-Unis et la Chine, qui ont adopté des politiques industrielles solides. Les plans du gouvernement Lee incluent l’introduction d’une version sud-coréenne de la loi sur la réduction de l’inflation, un plan d’investissement majeur destiné à promouvoir les secteurs clés. Similaire à la loi américaine, l’initiative de Lee vise à fournir de vastes subventions et un financement gouvernemental ciblé pour accélérer la croissance dans les secteurs stratégiques, notamment l’IA et l’énergie propre.

Dans ce contexte de transition politique majeure, le point de convergence entre l’IA et le secteur énergétique prend de l’importance. L’expansion rapide d’infrastructures énergivores pour l’IA a créé une flambée de la demande énergétique. Conséquemment, la Corée du Sud devra assurer un approvisionnement énergétique résilient et durable pour soutenir son économie numérique. La Corée du Sud est l’un des pays leaders dans l’intégration des politiques énergétiques et des stratégies en IA, cherchant à promouvoir l’innovation et renforcer la sécurité énergétique.

L’évolution de la gouvernance de l’IA en Corée du Sud

Sur le plan de la gouvernance, la Corée du Sud a posé les bases de sa régulation de l’IA dans sa Loi cadre sur l’intelligence artificielle de 2024, l’une des premières lois nationales compréhensives dans le monde. Entrée en vigueur sous l’administration de Yoon Suk Yeol, prédécesseur de Lee, cette loi a été conçue pour renforcer l’innovation tout en garantissant transparence, sécurité et responsabilité publique.

Peu après son élection en juin, Lee a placé l’IA au cœur de l’agenda de croissance nationale de la Corée du Sud. Le plan de son administration vise à positionner le pays parmi les trois premières puissances mondiales dans ce domaine. Adoptant une philosophie qui privilégie d’abord le développement, puis la réglementation, ce plan met l’accent sur l’expansion de l’écosystème IA, avec 97 milliards de dollars canadiens (100 000 milliards de wons sud-coréens) d’investissements, la création de centres de données comme infrastructures critiques, et la construction d’une autoroute pour l’IA reliant les grappes technologiques régionales. Parallèlement, l’administration continue de s’appuyer sur la Loi cadre, mettant en œuvre ses dispositions rapidement afin d’assurer une stabilité juridique et de disposer de temps suffisant pour instaurer la confiance publique, en particulier sur des sujets sensibles comme les données personnelles et les biais algorithmiques.

Un aspect notable de cette approche est l’intégration forte du secteur technologique aux rôles politiques du pays. Par exemple, le chef du centre IA de Naver a été nommé secrétaire présidentiel pour les politiques sur l’IA, tandis que le président de la recherche IA chez LG est actuellement ministre des sciences et des technologies de l’information et des communications. De plus, une gouvernance centralisée de l’IA au sein du cabinet présidentiel coordonne les initiatives interministérielles et accélère les réformes réglementaires en collaboration étroite avec le secteur privé. 

Afin de doter cette stratégie des ressources nécessaires, le gouvernement a alloué 970 millions de dollars canadiens (1 000 milliards de wons) en investissements publics pour la recherche et le développement en IA, en plus de 330 milliards de dollars canadiens (340 000 milliards de wons) consacrés à trois technologies qualifiées de « changeantes de donne », notamment les semi-conducteurs pour IA, la biotechnologie avancée, et la technologie quantique. Un centre national de calcul pour l’intelligence artificielle, dont le coût est estimé à 2 milliards de dollars canadiens, est également en projet. Ces initiatives s’inscrivent dans les efforts nationaux pour accélérer l’innovation en IA et permettre à la Corée du Sud d’acquérir un avantage dans des technologies indispensables à la chaîne de valeur mondiale. 

Enjeux clés pour la convergence IA-énergie

À mesure que la Corée du Sud avance avec son agenda sur l’IA, l’un des enjeux les plus urgents est d'assurer un approvisionnement en énergie suffisant et fiable. La croissance explosive de l’infrastructure IA a considérablement accru la demande sur les réseaux énergétiques sud-coréens, ce qui a des implications pour la compétitivité industrielle et les objectifs climatiques.

L’expansion du calcul lié à l’IA, en particulier à travers les centres de données à très grande échelle, stimule cette hausse rapide de la demande. Un projet de centre de données d’une capacité de 3 gigawatts  dans la province de Jeollanam-do devrait être opérationnel d’ici 2028 pour répondre à l’intensité de calcul requise par les applications avancées d’intelligence artificielle. La demande nationale d’électricité devrait doubler d’ici 2030 comparativement à 2022, principalement à cause des centres de données et des sites de fabrication de semi-conducteurs, deux secteurs au cœur de la stratégie numérique de la Corée du Sud.

Le réseau électrique vieillissant du pays peine déjà à suivre cette croissance. Environ 78% de l’utilisation des centres de données existants est concentrée dans la région métropolitaine de Séoul, ce qui surcharge l’infrastructure locale. Bien que le gouvernement ait fait pression pour déplacer ces centres dans d’autres provinces via sa Loi spécifique sur la distribution d’énergie (entrée en vigueur en juin 2024), aucun déplacement significatif n’a encore eu lieu. Les experts préviennent que sans une modernisation rapide, les contraintes du réseau pourraient compromettre la stabilité de l’approvisionnement et la croissance industrielle. En réponse, le gouvernement a adopté en février 2025 une loi sur les réseaux d’électricité pour accélérer leur expansion, incluant des mesures pour une meilleure rémunération des communautés affectées par les nouvelles lignes de transmission. Cette loi encourage aussi les investissements publics-privés et les réformes réglementaires visant à faciliter les ententes d’acquisition d’électricité et les procédures liées aux services publics.

Pour soutenir son infrastructure IA croissante et répondre aux besoins énergétiques induits par l’IA, la Corée du Sud mise sur le gaz naturel liquéfié (GNL) et l’énergie nucléaire comme sources principales d’électricité fiable.  Des projets sont en cours pour convertir 28 centrales au charbon vieillissantes à l’usage du GNL et pour construire deux nouveaux réacteurs nucléaires d’ici 2038, en plus des quatre réacteurs actuellement en construction. Contrairement à la politique de sortie du nucléaire de l’ancien président Moon Jae-in, les développements récents, y compris un discours de Lee lors des récentes campagnes électorales, ainsi que la nomination de Kim Jeong-gwan, président de Doosan Enerbility — un grand conglomérat national engagé dans le développement de l’énergie nucléaire — comme ministre du commerce, de l’industrie et de l’énergie, suggèrent que l’administration actuelle reconnaît les limites d’une dépendance exclusive aux énergies renouvelables et la nécessité d’un retour à l’énergie nucléaire. Cette approche pragmatique vise à créer des systèmes centrés sur les énergies renouvelables tout en garantissant la sécurité énergétique.

Parallèlement, Séoul considère les petits réacteurs modulaires (PRM) comme une solution à long terme pour renforcer l’infrastructure IA et atteindre la carboneutralité. Les premiers PRM de 0,7 gigawatt devraient être déployés d’ici 2036. Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP), une filiale de Korea Electric Power Corporation qui gère des centrales nucléaires et hydroélectriques, progresse dans la conception de PRM innovants, visant à finaliser un modèle standard d’ici 2025. Les PRM sont de plus en plus prisés comme première solution pour répondre à la forte croissance des besoins énergétiques induite par l’IA. Par exemple, des compagnies comme Amazon et Google se sont engagées à accroître leur capacité en énergie nucléaire d’ici 2050, accordant une attention particulière aux PRM pour leur potentiel à fournir une génération d’énergie locale et neutre en carbone aux grappes de centres de données et complexes industriels. 

Coopération Canada-Corée du Sud : une convergence stratégique

Aucun pays ne peut atteindre seul le double objectif de sécurisation d’une énergie durable et d’alimentation de la croissance de l’intelligence artificielle (IA). Alors que la Corée du Sud renforce sa stratégie énergétique dédiée à l’IA, la collaboration transfrontalière deviendra indispensable. Le Canada émerge comme un nouveau partenaire dans ce domaine.

L’accès stable aux minéraux critiques et à l’énergie nucléaire est essentiel pour la sécurité énergétique de la Corée du Sud et pour soutenir son infrastructure croissante liée à l’IA. En 2024, 48%importations du pays en uranium enrichi (en valeur) provenaient de Russie.  Toutefois, dans un contexte de risques géopolitiques accrus, la Corée du Sud se tourne vers d’autres fournisseurs fiables. Le Canada, deuxième plus grand fournisseur mondial avec une part de marché de 18% en 2024, est appelé à jouer un rôle de plus en plus vital. Cette stratégie de diversification réduit non seulement la dépendance sud-coréenne à la Russie, mais renforce également la pérennité à long terme de ses centrales nucléaires lien.

La technologie nucléaire et les combustibles ont longtemps été au cœur de la coopération technologique entre le Canada et la Corée du Sud. Les réacteurs uniques à eau lourde du Canada, appelés CANDU, représentent un élément clé de l’infrastructure nucléaire sud-coréenne avec quatre réacteurs CANDU actuellement en opérationWolsong. La coopération bilatérale en matière nucléaire s’est illustrée récemment par un protocole d’entente signé en 2023 entre le the Korea Atomic Energy Research Institute (KAERI) et le gouvernement provincial de l’Alberta pour explorer le déploiement des petits réacteurs modulaires (PRM) SMART, conçus pour la Corée du Sud, en Alberta. Ce projet met l’accent sur des applications telles que la génération de vapeur pour les sables bitumineux. La même année, KAERI et Énergie atomique du Canada limitée  ont signé un protocole d’entente pour la recherche et le développement consacrés à la commercialisation mondiale des designs PRM sud-coréens, avec un accent particulier sur la collaboration avec le Canada. En mai 2024, KHNP, développeur canadien des PRM, a signé  un accord tripartite avec ARC Clean Technology et Énergie NB pour co-développer et déployer les PRM-100 avancés, incluant un plan de déploiement à grande échelle débutant par une démonstration à la centrale de Pointe Lepreau, au Nouveau-Brunswick.

Une coopération bilatérale en intelligence artificielle est également en perspective. En Juin 2024, le Conseil national de recherches Canada et son homologue sud-coréen ont renouvelé leur protocole d’entente, renforçant leur collaboration en recherche et développement dans les domaines de l’IA et des technologies numériques. L’accord inclut des échanges de chercheurs et des projets conjoints d’innovation et de développement d’infrastructures collaboratives.

Au final, la gouvernance éthique de l’IA, en particulier la loi-cadre sud-coréenne sur l’IA, pourrait servir de référence précieuse au Canada, qui développe sa propre réglementation. Les deux pays mettent l’accent sur la transparence, la sécurité et la reddition de comptes en IA. Leur coopération dans des forums internationaux tels que l’OCDE et le Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle constitue un corridor essentiel pour une coordination renforcée. Ces efforts conjoints ne favorisent pas seulement l’innovation responsable mais contribuent aussi à façonner des normes mondiales basées sur des valeurs démocratiques.

À mesure que la Corée du Sud accélère ses ambitions en IA, la question de la résilience énergétique devient indissociable de l’innovation numérique. La convergence entre énergie et IA est désormais un domaine stratégique où gouvernance, infrastructure et partenariats internationaux se rejoignent. Le Canada, avec son expertise reconnue en technologies nucléaires et son écosystème croissant en IA, est particulièrement bien placé pour collaborer avec la Corée du Sud dans la construction d’un futur numérique durable, éthique et sécurisé.
 

• Édité par Jeehye Kim, gestionnaire principale de programme, Vina Nadjibulla, vice-présidente, recherche et stratégie, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada 

Sun Ryung Park

Sun Ryung Park Ph.d. est chercheuse-boursière principale, Asie du Nord-Est, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle s'intéresse à la transition écologique, à la sécurité énergétique et à la transformation numérique dans la région Asie-Pacifique.

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