À retenir
Le 3 juin 2025, la Corée du Sud a tenu ses 21es élections présidentielles, qui se sont soldées par la victoire du candidat de l’opposition Lee Jae-myung. Les élections, déclenchées par la destitution de l’ancien président Yoon Suk-yeol en décembre 2024, ont eu lieu malgré des tensions sociales élevées. En tant que nouveau président, M. Lee aura pour mandat d’unir une société profondément divisée et de restaurer la crédibilité du pays à l’échelle régionale et internationale. Cependant, les contestations judiciaires en cours et un paysage politique profondément divisé façonneront la trajectoire de sa présidence. Le leadership de Lee Jae-myung pourrait marquer un tournant dans le dialogue avec la Corée du Nord et le rajustement des relations de Séoul avec le Japon, tout en permettant de maintenir une harmonisation stratégique avec les priorités américaines, notamment en matière de dissuasion étendue et de chaînes d’approvisionnement en technologies essentielles.
En bref
- Lee Jae-myung, le chef du Parti démocrate, a remporté les élections avec 49,42 % des voix, devançant son rival, Kim Moon-soo, du Parti du pouvoir populaire, de 8,27 points de pourcentage. C’est la deuxième fois que M. Lee se présente à la présidence. En effet, il avait perdu de peu face à M. Yoon avec 0,73 point de pourcentage lors des élections présidentielles de 2022. Avec un taux de participation provisoire de 79,4 %, Lee Jae-myung a obtenu 17,28 millions de voix, dépassant ainsi le record historique de 16,39 millions de voix obtenues par Yoon Suk-yeol lors des élections de 2022. Renonçant à la période de transition présidentielle habituelle de deux mois, M. Lee a entamé son mandat unique de cinq ans le 4 juin.
- Dans son discours de victoire, le président Lee s’est engagé à restaurer les valeurs démocratiques, à revitaliser l’économie, à garantir la sécurité nationale et à œuvrer pour la paix dans la péninsule coréenne.
- Malgré sa victoire, il doit faire face à des contestations judiciaires non résolues liées à ses mandats de maire de Seongnam et de gouverneur de la province de Gyeonggi. Les allégations persistantes d’abus de pouvoir, dont une accusation liée à un projet d’aménagement immobilier controversé en 2023, ont intensifié les demandes du public pour qu’il fasse preuve d’une transparence et d’une responsabilité accrues. (Lee Jae-myung a contesté ces accusations.) L’incertitude juridique qui continue de peser sur le nouveau président pourrait limiter son avantage politique, miner sa légitimité et relancer le débat sur la portée et les limites de l’immunité présidentielle.
- Kim Min-seok, qui fut législateur pendant quatre mandats, a été nommé premier ministre à l’issue des élections. Quant à Kang Hoon-sik, qui fut législateur pendant trois mandats, il a été nommé secrétaire général du cabinet du président Lee. Les deux fonctionnaires sont considérés comme des membres du cercle proche de Lee Jae-myung.
Conséquences
Sur le plan économique, Lee Jae-myung préconise une nouvelle stratégie industrielle et un regain d’intérêt pour le multilatéralisme. Son administration devrait réintégrer les plateformes commerciales régionales et reprendre les initiatives en matière de chaîne d’approvisionnement, en plus d’augmenter les dépenses publiques dans les semi-conducteurs, les énergies propres et les infrastructures numériques. Cependant, concilier ses propres objectifs économiques avec les attentes des alliés, en particulier lorsque les États-Unis incitent ces derniers à se désengager de la Chine, demandera une grande habileté diplomatique. En outre, dans un contexte où les États-Unis semblent déterminés à maintenir leurs droits de douane sur les principales exportations sud-coréennes, telles que l’acier, l’aluminium et les automobiles, M. Lee devra poursuivre sa coordination stratégique avec ses principaux partenaires commerciaux. Il devra également être en mesure de défendre avec fermeté l’industrie sud-coréenne dans le cadre de forums bilatéraux et multilatéraux. Lee Jae-myung considère l’intelligence artificielle (IA) comme un atout stratégique et devrait poursuivre l’élaboration d’une législation nationale sur la gouvernance et les normes en matière d’IA, renforçant ainsi la position de la Corée du Sud comme chef de file dans le domaine du développement éthique et sécurisé de l’IA. En optant pour l’harmonisation avec ses partenaires mondiaux, notamment les États-Unis, le Canada et l’Union européenne, sur des questions telles que la réglementation des données, les applications de défense ainsi que la recherche et le développement conjoints, la Corée du Sud pourrait exercer une plus grande influence sur l’élaboration des normes relatives au numérique.
En matière de politique étrangère, M. Lee devrait délaisser les initiatives de sécurité régionale de Yoon Suk-yeol – centrées sur les États-Unis, favorables au Japon et fondées sur des valeurs communes – et prôner de nouveau un engagement prudent envers la Chine et la Russie afin de maximiser la marge de manœuvre de la Corée du Sud dans un ordre régional de plus en plus polarisé. Son approche axée sur l’engagement envers la Corée du Nord, qui comprend la reprise des échanges avec cette dernière, contraste fortement avec l’approche américaine axée sur la dissuasion. Cette divergence pourrait mettre à l’épreuve la cohésion trilatérale entre la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon, en particulier en ce qui concerne l’application des sanctions et la dissuasion nucléaire étendue. M. Lee est également en faveur du transfert accéléré du contrôle opérationnel en temps de guerre des États-Unis à l’armée sud-coréenne, ce qui constitue une affirmation de souveraineté attendue depuis longtemps. Bien que cette position soit conforme aux objectifs généraux du Parti progressiste, elle pourrait créer des tensions au sein de l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud si elle n’était pas gérée avec soin et coordination.
Lee Jae-myung arrive au pouvoir avec des projets ambitieux visant à réformer les institutions judiciaires et pénales sud-coréennes, notamment en proposant d’augmenter le nombre de juges à la Cour constitutionnelle et de renforcer le pouvoir de poursuite. Ces initiatives structurelles, qui visent à diversifier les interprétations juridiques et à rééquilibrer le pouvoir institutionnel, risquent de susciter une forte résistance de la part des conservateurs et d’alimenter davantage la polarisation. Malgré un paysage politique fracturé, M. Lee devrait pouvoir faire avancer son programme politique, soutenu par la majorité de son parti à l’Assemblée nationale.
Prochaines étapes
1. La stratégie législative et la composition du cabinet de Lee Jae-myung permettent de faire la lumière sur ses priorités
Soutenu par une supermajorité législative, M. Lee arrive au pouvoir avec un solide soutien politique, mais il sera confronté à une grande incertitude en raison des poursuites judiciaires dont il fait l’objet. La destitution de son prédécesseur s’est avérée une source d’agitation sociale généralisée. C’est pourquoi les premières décisions que prendra Lee Jae-myung, en particulier celles concernant la composition de son cabinet et sa stratégie législative, seront déterminantes s’il veut regagner la confiance du public. La manière dont gouvernera le président, que ce soit en adoptant des réformes unilatérales ou en sollicitant la coopération d’une opposition conservatrice affaiblie, déterminera le ton de sa présidence et la santé de la démocratie sud-coréenne.
Le choix des personnes clés qu’il nommera au ministère des Affaires étrangères et au ministère de l’Économie révélera également comment il compte gérer la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Il sera en outre essentiel d’observer si sa soi-disant « diplomatie pragmatique », soutenue par une équipe importante de conseillers expérimentés en matière de politique étrangère, se traduira par des changements concrets dans l’approche de Séoul à l’égard de la Chine, de la Russie, de la Corée du Nord et des institutions multilatérales.
2. Les relations entre le Canada et la Corée du Sud susceptibles de se renforcer avec le nouveau président
On s’attend à ce que Lee Jae-myung maintienne le cap et approfondisse la coopération bilatérale entre la Corée du Sud et le Canada dans le cadre du Partenariat stratégique global entre le Canada et la République de Corée en vigueur.
Son programme politique correspond aux priorités du Canada dans les domaines des minéraux critiques, de l’énergie propre, de la coopération en matière de défense et des technologies stratégiques. La poursuite de la mise en œuvre du Minerals Security Partnership (partenariat de sécurité sur les minéraux) renforcera les efforts conjoints visant à garantir l’approvisionnement en ressources essentielles pour des industries clés, comme la fabrication de semi-conducteurs et de batteries. La participation prévue de la Corée du Sud au Sommet des dirigeants du G7 en juin, organisé par le Canada, créera encore plus d’occasions de collaboration à haut niveau.
De plus, le prochain sommet de l’APEC, qui se tiendra en 2025 à Gyeongju, en Corée du Sud, devrait faciliter les discussions sur les technologies de nouvelle génération telles que l’IA, l’aérospatial et l’innovation quantique, des domaines dans lesquels les intérêts du Canada et de la Corée convergent de plus en plus.