Relance économique du Sri Lanka : de l’effondrement au redressement

Sri Lanka's President Anura Kumara Dissanayake and Prime Minister Harini Amarasuriya
Le président du Sri Lanka, Anura Kumara Dissanayake (à gauche), après avoir présenté le budget 2026 au Parlement, et la Première ministre Harini Amarasuriya à l’écoute à Colombo le 7 novembre 2025. | Photo : Ishara S. Kodikara/AFP via Getty Images

En 2022, le Sri Lanka est devenu le premier pays indo-pacifique en plusieurs décennies à ne pas acquitter sa dette externe, provoquant un effondrement économique qui a plongé des millions de personnes sous le seuil de pauvreté. L’inflation a dépassé les 70%, les réserves en devises étrangères ont été réduites à presque rien, l’insécurité alimentaire s’est largement répandue, et des manifestations ont conduit au renversement du gouvernement de l’ancien président Gotabaya Rajapaksa.

Faisons un bond en avant jusqu’en 2025 : l’image paraît remarquablement différente. En 2024, l’inflation est devenue négative, les réserves étrangères ont plus que doublé, et la croissance du PIB a rebondi de 4,5%. Le programme de facilité élargie de crédit de 3 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI), lancé en mars 2023, a réussi ses trois examens consécutifs, Colombo ayant atteint les objectifs de réformes monétaires et fiscales, notamment son premier excédent primaire en plus de dix ans. Sur le plan politique, le pays a également connu un changement. Le parti gauchiste Pouvoir populaire national a été élu fin 2024 et a réussi à maintenir l’élan nécessaire pour mener les réformes. 

Au premier abord, le retour du Sri Lanka semble impressionnant. Cependant, des questions persistent quant aux vulnérabilités structurelles, aux pressions sociales, ainsi qu’aux heurts émergents de l’extérieur, notamment les changements brusques de politique commerciale vis-à-vis de marchés d’exportation clés tels que les États-Unis, qui mettront la résilience de ce rebond à l’épreuve.

2022 : cessation de paiements : vulnérabilités structurelles et politiques inadéquates

La crise sri-lankaise de 2022 est la culmination d’années de mauvaise gestion économique, de vulnérabilités structurelles et de manœuvres politiques mal conçues. Les gouvernements successifs développaient des projets d’infrastructures et de développement ambitieux, spécifiquement financés par des emprunts étrangers. La majeure partie de cette dette provient de dettes commerciales à taux élevés et de l’endettement bilatéral, notamment auprès de la Chine dans le cadre de son initiative de la nouvelle route de la soie. Alors que ces projets, allant des autoroutes et ports jusqu’aux stations énergétiques, visaient à moderniser le pays, plusieurs n’ont eu qu’un rendement économique limité. Les dettes accumulées ont fait du Sri Lanka l’une des économies les plus endettées de la région indo-pacifique, l’exposant ainsi aux fluctuations des conditions financières mondiales. 

Les faiblesses structurelles ont été exacerbées par unegestion financière inadéquate. La réduction des impôts en 2019 a fortement réduit les revenus du gouvernement, tandis que les subventions populistes expansives dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation ont épuisé les caisses. Les dépenses publiques ont augmenté sans être accompagnées d’une croissance de la capacité productive ou des revenus, ce qui a davantage creusé le déficit fiscal et affaibli la capacité du pays à faire face aux chocs externes. En 2021, le Sri Lanka a perdu l’accès aux marchés internationaux de capitaux, résultant en une dépendance croissante à l’endettement et au financement à court terme de pays comme la Chine. 

La COVID-19 a ravagé une économie déjà fragile. Le tourisme, source vitale de devises étrangères, a subi un arrêt quasi total, avec une perte estimée à 5% du PIB annuel. Les envois de fonds des Sri-Lankais d’outre-mer, bien que plus résilients, n’ont pas pu compenser l’effondrement du commerce et du tourisme. La monnaie nationale a cédé sous la pression, les coûts d’importation de biens essentiels ont augmenté, et les réserves de la banque centrale en devises étrangères se sont rapidement appauvries.

En avril 2022, le gouvernement ne pouvait plus honorer ses engagements envers ses créanciers et a suspendu le paiement d’environ 46 milliards de dollars américains de dettes, marquant la première défaillance souveraine en Indo-Pacifique depuis vingt ans. Ce défaut de paiement a déclenché une crise économique immédiate. La valeur de la roupie sri-lankaise s’est fortement dépréciée, l’inflation a dépassé 70%, et des pénuries de carburant, de médicaments et de denrées alimentaires de base se sont généralisées. Les coupures d’électricité sont devenues courantes, et les transports ainsi que les chaînes d’approvisionnement ont été massivement perturbés. 

Les conséquences sociales ont été sévères. La colère populaire, alimentée par la dégradation des conditions de vie et la prise de conscience de la négligence gouvernementale, a provoqué des manifestations de masse paralysant les grandes villes, entraînant la fermeture générale des écoles et des commerces. L’instabilité a culminé en juillet 2022, lorsque le président Rajapaksa a fui le pays. La pauvreté extrême a quadruplé entre 2019 et 2022, et une grande partie de la population a souffert d’une insécurité alimentaire grave.

Les acteurs internationaux ont rapidement réagi. Les Nations unies, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ont mobilisé un soutien financier et humanitaire d’urgence. Le Canada a joué un rôle clé dans l’aide d’urgence, fournissant une assistance en matière de sécurité alimentaire via des canaux militaires. D’autres pays ont offert une aide bilatérale, tandis que des institutions multilatérales ont préparé des programmes de stabilisation pour prévenir un effondrement économique supplémentaire.

La crise de 2022 a mis en lumière les vulnérabilités du modèle économique sri-lankais, fondé sur l’endettement externe, la surdépendance au financement étranger pour le développement des infrastructures, une incohérence politique et des marges de manœuvre budgétaires limitées face aux chocs internes et externes. Ces leçons influenceront les décisions politiques et les priorités de réforme d’une administration dans la période post-crise. Ces leçons façonneront les décisions politiques et priorités de réformes d’une administartion pour la période de l’après crise. 

2023 : Intervention du FMI et premiers efforts de stabilisation

Le prêt du FMI de 3 milliards de dollars américains sur quatre ans est subordonné à de profondes réformes fiscales et structurelles, incluant l’adoption d’une tarification énergétique reflétant les coûts de production, l’élargissement de la base fiscale, l’assurance de l’indépendance de la banque centrale et le renforcement des mesures anti-corruption. Ces réformes visent à restaurer la stabilité macroéconomique, à rebâtir la confiance des investisseurs et à établir les conditions pour une croissance durable à long terme.

La stabilisation est intervenue plus tôt que beaucoup ne l’avaient prévu. L’inflation, qui dépassait 70% fin 2022, était à 5% fin 2023. Cette baisse reflète une combinaison de politiques monétaires strictes, une flexibilité des taux de change, une compression des importations et l’apaisement des pressions extrêmes liées à la tarification de la crise précédente. Les réserves en devises étrangères ont atteint 4,5 milliards de dollars américains, soutenues par les flux multilatéraux, les gains à l’exportation et les substitutions d’importations. Le Sri Lanka a enregistré un modeste excédent des comptes pour la première fois depuis plusieurs années.

En dépit de ces gains, le coût social a été considérable. Les ménages et les commerces ont subi la pression de la hausse des impôts et des ajustements des prix des charges pour refléter le coût réel de production et réduire les subventions d’État. Finalement, l’augmentation des impôts a exercé une pression sur les ménages et les commerces, tandis que la hausse des tarifs des services publics, conçus pour alléger les pressions sur les dépenses publiques et aider les services déficitaires à tendre vers la durabilité financière, a conduit à une augmentation du coût de la vie pour les citoyens ordinaires et à des coûts opérationnels accrus pour les petites et moyennes entreprises. Conjointement, ces impôts et la hausse des coûts des services ont constitué la base de la frustration publique qui a culminé en manifestations et bouleversements politiques, menant à l’élection d’un nouveau gouvernement en 2024. 

2024 : Réinitialisation politique et continuité des réformes

Vers la fin de 2024, le parti Pouvoir populaire national (PPN), une coalition d’acteurs politiques non traditionnels de gauche, a remporté la présidence et la majorité parlementaire, mettant fin à une décennie de dominance de la dynastie Rajapaksa et des partis bien établis.

Anura Kumara Dissanayake, président du PPN, a fondé sa campagne électorale sur la gouvernance propre, la protection sociale et une réforme économique plus large. Alors que les marchés craignaient initialement un abus de pouvoir, son gouvernement a rapidement rassuré les investisseurs et les partenaires internationaux. Dissanayake a réaffirmé son engagement envers le programme du FMI tout en introduisant des ajustements, notamment un renforcement des dépenses sociales pour les communautés vulnérables et une révision des charges fiscales indirectes pesant sur les ménages à faible revenu. Ce mélange de continuité et de crédibilité politique renouvelée a remis les réformes sur les rails, améliorant la probabilité d’une mise en œuvre soutenue.

Fin 2024 - début 2025 Restructuration de l’endettement et indicateurs macroéconomiques

La restructuration de l’endettement a marqué un tournant décisif dans la reprise économique post-crise du Sri Lanka. En décembre 2024, tle gouvernement a conclu un accord historique avec les détenteurs d’obligations, atteignant 98% de participation, indicateur fort de la confiance des investisseurs. Les négociations avec les créanciers chinois ont stabilisé les relations bilatérales en matière de dette. Des pourparlers avec le Club de Paris, groupe informel de grands pays créanciers aidant les économies endettées à gérer leurs remboursements, avancent dans une voie constructive.

Les indicateurs macroéconomiques témoignent d’un optimisme prudent. La croissance du PIB a rebondi de 4,5% en 2024, portée par une stabilisation macroéconomique et une confiance accrue des investisseurs. La croissance devrait se stabiliser à 3% en 2025, symbolisant un retour à la normale après la crise. L’inflation a chuté à -1,5% au dernier trimestre de 2024. Cette déflation reflète principalement la stabilité des prix et des ajustements sectoriels externes, plutôt qu’une faiblesse de la demande intérieure. Les réserves en devises étrangères ont augmenté pour atteindre 6,1 milliards de dollars américains en 2024 et devraient dépasser les 9 milliards en 2025. La consolidation fiscale a permis d’obtenir un excédent primaire de 2,2% du PIB, une première en plus de dix ans. Le ratio dette/PIB a diminué pour atteindre 104,6% en 2024, avec des estimations le plaçant sous la barre des 97% d’ici 2029, à condition que la discipline fiscale et la croissance se maintiennent.

Ces développements suggèrent que le Sri Lanka est en train de regagner la crédibilité des marchés et des partenaires de développement. Cependant, les défis structurels persistants incluent le risque d’instabilité sociale et une reprise hétérogène du secteur privé, qui pourraient freiner l’élan des réformes en cours.

Lassitude des réformes ou consolidation et continuation ?

En mars 2025, le FMI a accompli son troisième examen de son programme, confirmant que le Sri Lanka a atteint la  majorité de ses objectifs fiscaux et monétaires. Des points de repère, notamment le contrôle de l’inflation, l’accumulation des réserves et les objectifs d’excédent primaire (épargne des ressources gouvernementales pour payer les intérêts liés à la dette nationale), ont été réalisés ou dépassés, indiquant une stabilisation macroéconomique soutenue. 

Cependant, l’examen du FMI a également mis en exergue des risques émergents. Les dépenses en matière de protection sociale ont pris du retard par rapport aux seuils convenus, et les réformes de tarification de l’électricité, politiquement sensibles, ont été partiellement inversées, en raison du fardeau perçu par la population générale. De plus, tandis que le cadre pilier de la réforme demeure sur la bonne voie, des signes précoces de « lassitude des réformes » suggèrent que le maintien du soutien public pour l’ajustement fiscal et les réformes structurelles nécessitera une gestion politique judicieuse.

Toutefois,  le budget de 2025 se concentre sur le renforcement des finances gouvernementales et la poursuite des réformes. Les mesures comprennent l’imposition de taxes sur la valeur ajoutée, l’introduction d’impôts sur les biens, et le maintien d’un contrôle strict sur les dépenses publiques. Les priorités clés incluent la garantie de prix raisonnables pour les services, l’intensification des efforts anti-corruption, et la résolution des accords d’endettement en instance avec les autres créanciers internationaux.

Choques externes : Les tarifs douaniers américains et les enjeux commerciaux

Le 1er août 2025, le président américain Donald Trump a réinstauré un tarif de 30% sur les exportations sri-lankaises, revenant sur une réduction temporaire d’un mois plus tôt de 20%. Les États-Unis ont justifié cette décision en évoquant des  « pratiques commerciales injustes » et les liens qu’entretient le Sri Lanka avec la Chine. La réimposition de ces tarifs douaniers menace de perturber les secteurs des exportations, notamment le vêtement, le thé, les produits de mer et le caoutchouc. Les États-Unis absorbent de 20 à 25% du total des exportations sri-lankaises, et environ 40% de ses expéditions de vêtements, qui à elles seules représentent 3 milliards de dollars américains en revenus annuels et soutiennent environ un million d’emplois, directement ou indirectement. Les analystes alertent que ces tarifs pourraient déclencher des pertes significatives d’emplois, réduire les gains liés aux échanges de devises internationales et compromettre les efforts de stabilisation soutenus par le FMI.

La réimposition de tarifs douaniers souligne également la vulnérabilité de l’économie vis-à-vis des chocs externes et l’importance de la diversification stratégique des partenariats commerciaux.

Implications pour le Canada

L’engagement de longue date du Canada avec le Sri Lanka positionne le pays pour apporter un soutien à la reprise économique sri-lankaise, tout en avançant ses intérêts stratégiques. Les opportunités incluent la diversification du commerce, les partenariats en éducation, le développement de la coopération et un engagement géostratégique. La stabilisation du Sri Lanka offre au Canada des corridors pour élargir ses exportations en blé, engrais, technologies propres et énergies renouvelables. La population jeune et anglophone de l’île offre un potentiel pour la collaboration en éducation supérieure, formation professionnelle et transfert de connaissances dans des domaines tels que le changement climatique, l’administration publique et les systèmes de santé. Les efforts de développement du Canada, notamment le soutien à la gouvernance et le renforcement de la société civile, complètent la trajectoire de réforme du Sri Lanka et renforceront la résilience régionale.

L’emplacement stratégique du Sri Lanka, aux côtés des routes commerciales de l’océan Indien, accentue son importance géopolitique. Un gouvernement stable et orienté vers les réformes pourrait faciliter les objectifs indo-pacifiques du Canada, notamment en matière de sécurité maritime, de résilience des infrastructures et de partenariats démocratiques. Dans ce contexte, un engagement bilatéral soutenu sur les plans commercial, diplomatique et institutionnel est opportun et aligné avec la Stratégie d’Ottawa pour l’Indo-Pacifique.

 

Édité par Suvolaxmi Dutta Choudhury, gestionnaire de programme, Erin Williams, directrice de programmes, et Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie à la FAP Canada. 

Zoraver Cheema

Zoraver is Research Scholar for South Asia at the Asia Pacific Foundation of Canada. He holds a Bachelor's in Global and International Studies from Carleton University’s Arthur Kroeger College of Public Affairs and recently earned a Master’s degree from Columbia University (GSAS/SIPA) in the United States. His research focuses on economic nationalism, international political economy, international trade, and nationalism theory — with a particular focus on how diaspora politics informs the formulation and orientation of foreign policy.
 
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