Nouvelle boîte à outils économique de la Chine : dans quelle mesure sera-t-elle utile face aux tarifs douaniers américains ?

Le président chinois Xi Jinping aux Deux Sessions en mars 2025
Le président chinois Xi Jinping (au centre) assiste à la clôture de la troisième session de la 14e Assemblée nationale populaire au Palais de l’Assemblée du peuple, le 11 mars 2025 à Beijing. Ce rassemblement politique annuel, appelé aussi « les deux sessions », réunit chaque année dirigeants et députés afin de fixer les priorités du gouvernement pour l’année en matière de développement économique et social. Photo : Lintao Zhang/Getty Images

Le 11 mars, la Chine a conclu ses « deux sessions », une série de réunions législatives et consultatives sur les priorités économiques du pays pour l’année à venir. L’ensemble des mesures macroéconomiques annoncées à cette occasion prend une importance accrue dans le contexte d’une guerre commerciale de plus en plus intense. 

Face à l’imposition sans précédent de tarifs douaniers américains à hauteur de 145%, le Parti communiste chinois se prépare à une confrontation prolongée. Les mesures annoncées lors des deux sessions – notamment la stimulation de la consommation intérieure, la stabilisation du marché immobilier et des finances des gouvernements locaux, la réduction du chômage des jeunes, ainsi que la création d’un environnement plus favorable aux entreprises privées et aux investissements étrangers – visent à absorber l’impact immédiat des tarifs américains. 

Alors que les rebondissements dans cette guerre commerciale se multiplient depuis deux semaines, les hauts dirigeants ont affirmé que l’économie du pays est bien préparée pour « se prémunir contre les conséquences des adversaires extérieurs ». Cependant, si les politiques annoncées lors des deux sessions et dans les semaines suivantes pourraient atténuer l’effet des tarifs à court terme, il sera extrêmement difficile d’atteindre les principaux objectifs économiques de la Chine sans s’attaquer à des problèmes structurels profonds, notamment une confiance des consommateurs très faible. Par ailleurs, certains objectifs économiques de la Chine entrent en contradiction avec les priorités politiques plus larges du parti. Par exemple, alors que le PCC cherche à contenir le secteur privé, il souhaite également que ces entreprises stimulent l’innovation et améliorent la productivité.

En revanche, la Chine est aujourd’hui mieux placée pour faire face à un conflit commercial prolongé avec les États-Unis qu’elle ne l’était lors du premier mandat de l’administration Trump. La Chine poursuit également son objectif à long terme de devenir la première économie mondiale et le nouveau chef de file de l’ordre commercial multilatéral. Cependant, la crédibilité de la Chine à tenir ce rôle dépend de sa capacité à stimuler la consommation intérieure afin d’absorber sa production industrielle. Si elle échoue, le pays redirigera vers d’autres marchés les produits initialement destinés aux États-Unis, ce qui risque d’irriter ses partenaires commerciaux, dont certains sont déjà frustrés par les subventions accordées aux producteurs chinois et par l’introduction massive d’excédents de produits sur leurs marchés.

Manipulation des priorités politiques

En réponse à l’escalade des mesures imposées par l’administration Trump, Pékin a exprimé sa volonté d’adopter un certain nombre de « mesures extraordinaires ». Le 11 avril, la Chine a répliqué avec un tarif de 125 % sur les importations américaines. Certaines décisions politiques annoncées lors des deux sessions permettent à la Chine de recourir à divers outils d’incitation. Par exemple, le gouvernement central a promis de porter le déficit budgétaire à son niveau le plus élevé des trente dernières années (4 % du PIB) pour accroître les dépenses publiques. Un assouplissement de la politique monétaire pourrait également être « rapidement mis en œuvre » pour soutenir les prêts, la consommation et l’économie dans son ensemble. Par ailleurs, les déficits budgétaires pourraient être augmentés grâce à l’émission de différentes obligations d’État. Les autorités cherchent aussi à soutenir les entreprises les plus touchées par les tarifs, notamment en les aidant à réduire leur dépendance à l’exportation vers les États-Unis, en explorant des opportunités en Chine ou sur d’autres marchés alternatifs, en particulier l’Association des nations du Sud-Est asiatique et les pays de la nouvelle route de la soie.

La priorité reste toutefois de stimuler la demande intérieure. Actuellement, la consommation domestique en Chine représente environ 40 % du PIB, bien en deçà des 60 % observés ailleurs. Depuis l’été 2024, Pékin a lancé des initiatives pour encourager les dépenses des consommateurs, telles que le doublement de l’émission d’obligations pour soutenir un programme de reprise des biens de consommation, qui représente désormais 57,3 G$ CA (300 milliards de yuans). Dans ce cadre, les consommateurs chinois reçoivent une subvention lorsqu’ils échangent d’anciens appareils, produits numériques ou véhicules électriques contre de nouveaux modèles. D’autres mesures incluent la promotion de la croissance des revenus et l’ajustement du salaire minimum pour réduire les disparités régionales. Parallèlement, le gouvernement s’est engagé à soutenir des secteurs comme l’immobilier, les retraites, les soins aux personnes âgées, les garderies et l’aide aux populations vulnérables, dans l’espoir d’inciter les consommateurs à dépenser davantage au quotidien.

Cependant, en l’absence de redistribution directe des revenus, comme les transferts en espèces recommandés par de nombreux économistes, ces mesures pourraient n’avoir qu’un effet limité. Au final, la stimulation des dépenses des ménages dépendra de la capacité des citoyens à trouver de meilleurs emplois et des perspectives de revenus plus favorables. Depuis mars, le chômage des jeunes urbains âgés de 16 à 24 ans reste élevé, à 16,5 % selon les statistiques officielles (des estimations indépendantes évoquent des chiffres plus élevés), une situation qui pourrait s’aggraver avec l’arrivée de 12,2 millions de nouveaux diplômés universitaires sur le marché du travail dans les prochains mois. Outre la création d’opportunités entrepreneuriales et de formations pour les jeunes, les deux sessions ont confirmé le renforcement des protections pour les travailleurs dans l’emploi flexible et l’économie des petits boulots, qui absorbe actuellement 23 % de la population active. 

Pour combler le fossé entre emplois et compétences, les décideurs misent sur l’accélération du secteur manufacturier à forte intensité de main-d’œuvre et sur la formation dans les domaines technologiques et autres secteurs critiques. Toutefois, il s’agit de trouver un équilibre entre la modernisation industrielle, qui remplacera inévitablement de nombreux emplois humains par l’automatisation, et la garantie d’un niveau d’emploi suffisant pour la population.

Donner au secteur privé le feu vert ?

Le président chinois, Xi Jinping, a réuni en février des dirigeants de grands groupes technologiques chinois pour signaler que le PCC envisage d’inverser les réglementations strictes de longue date sur le secteur privé. L’événement visait à être un appel à l’unité et une expression d’assurance que le gouvernement central soutiendra la concurrence sur le marché libre et résoudra les difficultés en matière de financement en facilitant l’accès aux capitaux.

Le message officiel était clair : La Chine a besoin de son secteur privé pour aider l’économie chinoise à gravir la chaîne de valeur et surmonter les adversités commerciales. Les décideurs politiques chinois, encouragés par les récentes réalisations de DeepSeek en IA, maintiennent que la bonne gestion de ce secteur permettra aux innovateurs en technologies de pointe en Chine d’échapper aux restrictions des États-Unis, toujours plus sévères, et d’émerger comme un compétiteur majeur sur la scène mondiale. 

Il est cependant incertain dans quelle mesure et de quelle manière le parti assouplira son contrôle. Tandis que le président Xi a réitéré son appui « indéfectible » et « inchangeant » envers le secteur privé, du scepticisme a été ressenti concernant l’environnement réglementaire actuel et la possibilité de changements, particulièrement si les autorités considèrent l’expansion de certaines entreprises comme un risque à la sécurité nationale ou comme une démonstration d’un capitalisme désordonné allant à l’encontre des objectifs de « prospérité commune » du PCC. Les promesses en matière de politiques pourraient aussi perdre de leur élan lors de la mise en œuvre au niveau local et dans différents secteurs. En conséquence, les acteurs du secteur privé chinois maintiendront probablement une certaine prudence en naviguant ces règles tacites.

Au final, une autre priorité pour la restauration des affaires et la confiance des investisseurs sera de stabiliser le marché des capitaux et de réduire les pertes. Les autorités chinoises ont répondu rapidement aux turbulences des marchés provoquées par les tarifs douaniers, avec des fonds étatiques majeurs intervenant pour augmenter leurs avoirs et un assouplissement des règles d’investissement et de prêts de la part des régulateurs financiers haut placés. Tandis que ces mesures ont calmé les marchés temporairement, d’autres interventions pourraient être nécessaires si la dynamique tarifaire d’« œil pour œil » persiste encore.

La boîte à outils de la Chine à mesure que la pression extérieure monte

Au-delà du défi imminent de gestion de son économie domestique, Beijing cherche également à se repositionner sur la scène mondiale. Avec la retraite de Washington de sa position à la tête de l’ordre commercial mondial, Beijing vise à se présenter comme une puissance mondiale responsable, qui préserve l’ordre du libre-échange multilatéral, menant des efforts pour contrer les perturbations commerciales mondiales.

Les leaders chinois, durant les deux sessions, ont également discuté de l’approfondissement et de la création de partenariats, en cherchant activement à devenir membre du Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), dont le Canada est membre. Le PCC cherche à rapprocher l’Europe de son orbite économique, en dépit des inquiétudes européennes concernant les pratiques commerciales jugées injustes de la Chine et ses soucis de réorientation des produits d’exportation chinois vers l’Europe. La Commission européenne a proposé d’instaurer un système de suivi des détournements d’échanges commerciaux, qui suivrait les développements du commerce causés par les tarifs douaniers des États-Unis, particulièrement dans des secteurs tels que l’automobile où des inquiétudes subsistent sur la capacité excédentaire chinoise. Les deux côtés ont commencé les négociations en vue d’imposer des prix minimums sur les véhicules fabriqués en Chine pour potentiellement remplacer les tarifs introduits par l’Union européenne en 2024.

Le dilemme des politiques commerciales chinoises consiste à équilibrer la tentation (ainsi que les besoins perçus) de réorienter son excédent de produits d’exportation vers des marchés en dehors des États-Unis sans aliéner ses partenaires commerciaux les plus importants, qui pourraient considérer ces mesures comme nocives pour leurs secteurs manufacturiers. Ce dilemme pourrait provoquer des débats politiques auprès des décideurs du PCC, particulièrement si d’autres pays prennent des mesures contre ce qu’ils considèrent comme une inondation de marchandises en surproduction de la Chine sur leurs marchés, y compris la possibilité de mesures de riposte entreprises par la Chine.

Conclusion :

Durant les deux sessions, les dirigeants chinois ont reconnu la nécessité d’entreprendre des actions concrètes pour recalibrer le modèle économique du pays face à l’escalade des tarifs qui menace son moteur traditionnel de croissance : les exportations. Les récents développements soulignent l’importance d’une demande interne significative et rendent les délais pour que les mesures de relance produisent des résultats plus pressants. 

Avec la dynamique tarifaire actuelle d’« œil pour œil », la Chine doit effectuer un pivot décisif vers un modèle de croissance axé sur la consommation interne. Cela requiert que le PCC entreprenne des mesures drastiques dépassant ce qui a été annoncé récemment. 

De manière générale, la capacité de la Chine à accroître la consommation interne dépendra du revenu disponible de la population, ce qui dépendra à son tour du secteur privé, qui offrirait des emplois de qualité. Résoudre ces défis interconnectés, en pleine période de chocs aux effets rapprochés, mettra à l’épreuve la capacité des décideurs politiques chinois à s’assurer que les priorités sont mises en œuvre à travers le vaste marché domestique sur lequel ils souhaitent capitaliser.
 

Édité par Erin Williams, gestionnaire de programme principale, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada. 

Xiaoting (Maya) Liu

Xiaoting (Maya) Liu est gestionnaire principale de programme, Chine, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'une maîtrise en affaires internationales de la School of International and Public Affairs (SIPA) de l'Université de Columbia.

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Vina Nadjibulla

Vina gère les activités de recherche, d’éducation et de soutien au réseau de la FAP Canada. Elle supervise également les programmes de subventions et de bourses de recherche de la Fondation, ainsi que les projets de développement et de renforcement des capacités. Elle intervient fréquemment dans les médias pour commenter la géopolitique, la politique étrangère canadienne et les relations entre le Canada et l’Asie, en particulier l’Inde et la Chine.

En tant que spécialiste de la sécurité internationale et de la consolidation de la paix, Vina son expérience professionnelle s’étend sur plus de vingt ans dans les domaines de la diplomatie de haut niveau, de la défense des intérêts, de l’élaboration de politiques et de l’analyse des risques politiques.

Des zones de guerre aux salles de réunion, Vina a travaillé avec des gouvernements nationaux, des organisations à but non lucratif et des organisations philanthropiques au Canada, aux États-Unis, en Chine et dans un certain nombre de pays d’Afrique et d’Asie centrale.

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