À retenir
Alors que les menaces de tarifs douaniers du président américain Donald Trump frappent partout dans le monde, l’Inde a adopté une position non conflictuelle en acceptant prudemment quelques concessions pour préserver ses objectifs de croissance économique et éviter les réactions hostiles des producteurs indiens qui craignent de perdre leurs protections.
Tandis que Beijing manifeste son désir de resserrer ses liens économiques avec New Delhi, les préoccupations géopolitiques de l’Inde continuent de l’orienter vers les États-Unis et d’autres partenaires occidentaux. De son côté, le Canada risque d’être distancé par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, qui tendent à conclure des accords de libre-échange avec l’Inde.
En bref
- Le 2 avril, l’administration Trump a imposé des droits de douane de 26 % sur les importations en provenance de l’Inde, comme elle l’a fait, dans diverses mesures, pour la plupart des partenaires commerciaux des États-Unis. Le 9 avril, les États-Unis ont suspendu ces droits de douane pour 90 jours, en se réservant toutefois une taxe générale de 10 % sur les importations en provenance de l’Inde et de la plupart des autres pays, ainsi qu’une taxe distincte de 25 % sur toutes les importations d’acier, d’aluminium et d’automobiles.
- En prévision de la décision du 2 avril, New Delhi avait réduit unilatéralement ses droits de douane sur certains produits américains, comme les motos Harley-Davidson et le bourbon. L’Inde a également proposé de réduire ses droits de douane sur plus de la moitié de ses importations américaines, d’une valeur de 23 milliards de dollars américains. Les échanges commerciaux bilatéraux entre l’Inde et les États-Unis s’élevaient à 129 milliards $ US en 2024.
- Les secteurs les plus vulnérables aux droits de douane imposés à l’Inde par M. Trump sont les pierres précieuses et les bijoux, les produits marins, l’électronique et les pièces automobiles. En revanche, d’autres industries, comme le textile et l’habillement, pourraient bénéficier des droits de 145 % imposés à la Chine, sa rivale sectorielle.
- Dans un rapport récent, l’administration Trump exprime ses préoccupations quant aux droits de douane élevés exigés par l’Inde dans certains secteurs historiquement protégés, notamment l’agriculture, ainsi qu’aux barrières non tarifaires telles que les interdictions d’importation, les exigences de permis et les règles de localisation des données.
Conséquences
Les menaces tarifaires pourraient relancer les réformes économiques en Inde. Depuis la libéralisation de l’économie indienne en 1991, New Delhi a progressivement réduit ses droits de douane (moyenne simple) de 78,85 % en 1990 à 12,28 % en 2023, bien que certains secteurs, comme l’agriculture et l’automobile, demeurent fortement protégés. M. Trump a qualifié l’Inde de « roi tarifaire » en raison de ses droits de douane, toujours supérieurs à ceux des États-Unis (17 % en moyenne pour l’Inde contre 3,3 % pour les États-Unis en 2023).
Si l’Inde a riposté aux droits de douane américains en 2019, sous la première administration Trump, elle adopte aujourd’hui une approche plus prudente, surtout compte tenu de son important excédent commercial de marchandises avec les États-Unis, son principal partenaire d’exportation depuis quelques années. En 2024, par exemple, l’Inde a enregistré un excédent commercial de 45,7 milliards $ US avec les États-Unis. S. Jaishankar, ministre indien des Affaires étrangères, a d’ailleurs souligné que « le véritable potentiel pour l’Inde réside dans les marchés occidentaux où nous pouvons accroître nos exportations ». Alors que l’Inde cherche à exploiter ces marchés et à atteindre ses objectifs de croissance, les pressions exercées par les États-Unis et, plus récemment, par l’Union européenne, qui cherche à abaisser les droits de douane sur les voitures européennes après des demandes semblables de la part de Washington, pourraient inciter l’Inde à libéraliser davantage son économie. Le gouvernement indien se heurte toutefois à une résistance farouche de la part des secteurs protégés au niveau national, notamment l’agriculture et l’automobile.
La Chine, aux prises avec l’escalade de sa guerre commerciale avec les États-Unis, courtise l’Inde. En avril, l’ambassade de la Chine à New Delhi a déclaré que l’Inde et la Chine « devraient s’unir pour surmonter les difficultés » que présentent les droits de douane de M. Trump. Sur une note conciliante, le président chinois Xi Jinping a récemment comparé les relations de son pays avec l’Inde à un « tango dragon-éléphant », un clin d’œil à leurs symboles nationaux.
Bien que le premier ministre indien Narendra Modi ait déclaré en mars que la frontière indo-chinoise était revenue à la normale après les affrontements de 2020, les questions de sécurité nationale restent au cœur des relations entre New Delhi et la Chine. Malgré un récent apaisement des tensions, la frontière commune, longue de 3 488 kilomètres, reste contestée. Certes, Beijing a récemment manifesté sa volonté d’augmenter les importations en provenance de l’Inde, mais le déficit commercial de 100 milliards $ US et la rivalité régionale qui existent entre l’Inde et la Chine continuent de rapprocher New Delhi de Washington. L’Inde autorise désormais Tesla à pénétrer son marché, mais rejette toujours les propositions chinoises d’investissement dans les véhicules électriques, notamment celle de BYD, invoquant des enjeux de sécurité.
Prochaines étapes
Accord commercial bilatéral entre l’Inde et les États-Unis attendu à l’automne 2025
Dans le but d’atténuer la menace tarifaire et d’atteindre l’objectif de la « Mission 500 », qui consiste à hausser les échanges bilatéraux à 500 milliards $ US d’ici 2030, New Delhi et Washington négocient actuellement la première phase d’un accord commercial bilatéral, qu’on espère conclure à l’automne 2025, au moment où M. Trump devrait normalement se rendre à New Delhi pour le sommet des dirigeants du Quad. L’accord améliorerait l’accès mutuel aux marchés, réduirait les barrières tarifaires et non tarifaires et mettrait en place des « règles d’origine » strictes, destinées à empêcher l’entrée de produits par l’intermédiaire de pays soumis à des droits de douane nuls ou réduits. Bien que l’accord puisse atténuer les menaces tarifaires, l’ouverture du secteur agricole restera sans doute un défi pour New Delhi, d’autant plus qu’en 2020, les tentatives de réforme de ce secteur ont donné lieu à d’énormes manifestations.
Le temps presse pour un accord commercial entre le Canada et l’Inde
À l’approche des élections fédérales du 28 avril, Mark Carney, chef du Parti libéral, et Pierre Poilievre, son homologue conservateur, ont tous deux manifesté leur intérêt pour un renforcement des liens avec l’Inde. Toutefois, les tensions diplomatiques qui sévissent depuis septembre 2023 ont bloqué les négociations bilatérales sur le libre-échange. Entre-temps, d’autres pays occidentaux, comme le Royaume-Uni, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, de même que l’Union européenne, ont progressé dans leurs pourparlers en vue de conclure des accords commerciaux avec l’Inde. Si l’Inde envisage d’importer en franchise de droits des produits en provenance des États-Unis et éventuellement d’autres pays avec lesquels elle conclut des accords commerciaux, le Canada risque de perdre du terrain.
En l’absence d’accord de libre-échange, les exportations canadiennes vers l’Inde restent soumises aux taux tarifaires imposés à tous les membres de l’Organisation mondiale du commerce. Cette situation suscite des inquiétudes en ce qui concerne certaines exportations canadiennes essentielles, notamment les lentilles, qui font l’objet de droits d’importation de 10 % depuis mars, alors qu’elles bénéficiaient auparavant d’un accès en franchise. Ces droits de douane visent à soutenir la production locale en Inde, ce qui témoigne d’une approche alliant l’autonomie nationale et l’ouverture au commerce au moyen d’accords bilatéraux.