Les attaques terroristes au Cachemire menacent de mettre fin au paysage sécuritaire en Asie du Sud-Est

Inisght Keystone
Photo: Tauseef Mustafa /AFP via Getty Images

Conclusions principales :

Les récentes attaques terroristes à Jammu, territoire de l’Inde et du Cachemire, ont nettement exacerbé les tensions entre l’Inde et le Pakistan, rivaux de longue date avec des revendications territoriales concurrentes dans une des régions du monde les plus militarisées. New Delhi soutient que les assaillants ont des liens avec le Pakistan et a pris des mesures de représailles qui, jusqu’à présent, ne vont pas jusqu’à l’action militaire. Islamabad a répondu par des démarches d’œil pour œil. À mesure que la pression domestique revendiquant la justice monte en Inde, une réponse militaire paraît être de plus en plus probable. Le Pakistan a promis de riposter, augmentant les inquiétudes d’un conflit militaire potentiel à grande échelle entre ces deux pays nucléaires voisins.  

En bref :

  • Le 22 avril, des individus armés ont lancé une attaque meurtrière dans la vallée de Baisaran, près de Pahalgam, une destination populaire dans le territoire de l’union indienne de Jammu et Cachemire. Les assaillants ont supposément ciblé des hommes non-musulmans, tuant 26 civils, majoritairement des touristes.  
     
  • Le Front de résistance, supposé être une dérivée du Lashkar-e-Taiba (LeT) du Pakistan, a revendiqué la responsabilité de l’attaque avant de se rétracter trois jours plus tard. Le LeT, banni en Inde, au Pakistan, au Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays, est considéré comme une prolongation de l’État pakistanais pour les opérations ciblant l’Inde depuis le milieu des années 1990. 
     
  • En réponse, l’Inde a entrepris plusieurs mesures de riposte , mettant en pause un accord bilatéral de partage d’eau, retirant les visas pour les Pakistanais et expulsant des diplomates ; le premier ministre Modi a promis de punir les terroristes et ceux qui les soutiennent. Le Pakistan a qualifié l’incident «d’opération sous fausse bannière, » a appelé à une enquête neutre et a riposté avec des mesures similaires, telles que la fermeture de l’espace aérien aux aéronefs opérés par l’Inde et la suspension des activités commerciales avec l’Inde.
     
  • Tandis que le président des États-Unis, comme d’autres dirigeants mondiaux, a condamné l’attaque terroriste, il a affiché une approche non-interventionniste, déclarant   que l’Inde et le Pakistan allaient « trouver une solution ».
     
  • Beijing, qui maintient des liens étroits avec Islamabad, a appelé à la désescalade, tout en soutenant la demande du Pakistan pour une enquête indépendante sur les attaques.
     
  • Le 30 avril, le Pakistan a déclaré qu’il détenait « des renseignements crédibles » selon lesquels l’Inde mènerait probablement une attaque militaire dans les 24 à 36 heures à venir.
     

Implications :

La mise en pause par l’Inde du Traité des eaux de l’Indus, un accord maintenu durant trois guerres entre les deux pays, marque une évolution sans précédent. Négocié par la Banque mondiale en 1960, le traité régit la répartition des eaux du fleuve Indus et de ses affluents entre le pays d’amont, l’Inde, et le pays d’aval, le Pakistan. Ces rivières alimentent environ 80 % des terres agricoles et de l’hydroélectricité au Pakistan. Mettre le traité en pause introduit une nouvelle incertitude dans une relation déjà fragile. Bien qu’il soit difficile pour l’Inde de restreindre ou de dévier les flux hydriques immédiatement, le ministre indien des Ressources en eau a menacé de s’assurer « que pas une goutte » n’atteigne le Pakistan Islamabad a averti qu’une telle action serait considérée comme un « acte de guerre. » 

Comme Modi a accordé aux forces armées indiennes « la liberté totale » de riposter, une réponse militaire semble imminente. New Delhi et Islamabad étaient à deux doigts de la guerre en 2019, à la suite d’un attentat suicide à Jammu-et-Cachemire lié à un groupe terroriste basé au Pakistan. L’attaque avait coûté la vie à 40 personnes. À ce moment, l’Inde avait riposté par des frappes aériennes transfrontalières limitées contre des camps d’entraînement de terroristes, ce qui avait conduit à un combat aérien entre les forces aériennes des deux pays, sans provoquer d’escalade militaire. Aujourd’hui, les craintes d’un conflit de plus grande ampleur sont vives. Dans une entrevue avec Sky News, Khawaja Muhammad Asif, ministre de la Défense pakistanais, a menacé d’une guerre totale en cas de provocation. 

Tandis que New Delhi possède des atouts supérieurs en matière de capacités militaires conventionnelles, les liens étroits qu’entretient le Pakistan avec la Chine, autre rival de l’Inde partageant 3 488 km de frontières contestées, ainsi que les déclarations du ministre Asif selon lesquelles Islamabad pourrait avoir recours à l’arme nucléaire si une « menace directe » pesait sur son existence, expliquent en partie la retenue observée. 

Entre-temps, le Pakistan a suspendu l’accord de Simla de 1972, qui comprenait un engagement à régler tout différend de manière pacifique par des canaux bilatéraux et à régir un cessez-le-feu le long de la ligne de contrôle, la frontière de facto dans la région de l’Himalaya. Une telle démarche menace de démanteler une garantie diplomatique essentielle contre l’escalade du conflit.  

Ce qui s'ensuit :

1. Perturbation des perspectives économiques et d’une paix fragile au Cachemire  

Tandis que le gouvernement Modi affirme que des progrès importants ont été réalisés au Cachemire depuis la révocation de son statut spécial en 2019 - par exemple, une réduction du terrorismeune hausse du tourisme et des  investissements, ainsi qu’un calme relatif - l’attaque de Pahalgam a mis à nu des vulnérabilités persistantes, notamment des failles dans la sécurité en Inde. La baisse du nombre de touristes et un repli de la confiance des investisseurs semblent probables, surtout si les risques pour la sécurité s’intensifient ou si la contestation interne au Cachemire s’enflamme.  

De surcroît, avec les violations quotidiennes du cessez-le-feu, accompagnées d’une rhétorique agressive de contrôle de part et d’autre, les menaces d’escalade militaire demeurent sérieuses. En plus d’autres mesures, l’Inde a mené des exercices navals et des essais de missiles, tandis que le Pakistan a effectué des exercices de tirs à balles réelles, ce qui a accru le risque d’erreurs d’évaluation entre les deux voisins dotés de l’arme nucléaire. 

2. Réaction mondiale face à la montée des risques 

Tandis que les États-Unis, la Chine et d’autres pays ont promptement publié des déclarations condamnant l’attentat terroriste, le Canada a mis du temps à réagir ; le premier ministre, Mark Carney, en pleine période électorale, a été le dernier chef du G7 à émettre un communiqué. Les diasporas indienne et pakistanaise, qui comptent près de 4 millions de personnes au total, se sont souvent mobilisées autour des développements relatifs au conflit du Cachemire. Les communautés indo-canadiennes du Grand Toronto, de Vancouver et de Montréal ont organisé des veillées aux chandelles en réponse aux récentes attaques.  

Marco Rubio, le secrétaire d’État américain, a discuté séparément avec les deux parties afin de désamorcer la situation. Alors que Washington a appelé à une solution responsable, les États-Unis se trouvent dans la position délicate de devoir maintenir l’équilibre régional : d’un côté, leur partenariat stratégique avec l’Inde s’est approfondi ces dernières années, mais d’un autre côté, les États-Unis ont approuvé un paquet de 397 millions de dollars pour soutenir la flotte d’avions de chasse F-16 du Pakistan. D’autres partenaires proches des deux parties, tels que l’Iran et l’Arabie saoudite, ont offert de jouer les médiateurs pour alléger les tensions. La China acteur régional important, a appelé à la retenue.

Édité par Erin Williams, gestionnaire de programme principale. 

Suvolaxmi Dutta Choudhury

Suvolaxmi Dutta Choudhury est gestionnaire de programme pour l’Asie du Sud au sein de la FAP Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique internationale de la Jawaharlal Nehru University (Inde). Ses recherches portent sur les droits de citoyenneté, la migration, le nationalisme, les conflits ethniques et la gouvernance démocratique en Inde.

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Tanya Dawar

Tanya Dawar est chercheuse au sein de l'équipe de l'Asie du Sud à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politiques publiques et affaires mondiales de l’Université de la Colombie-Britannique, d’une maîtrise en économie de l’Indian Institute of Foreign Trade et d’un B.Sc. en sciences économiques. en mathématiques (avec distinction) de l'Université de Delhi. 

Les intérêts de recherche de Tanya comprennent le commerce international, les questions environnementales et la politique mondiale.

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Zoraver Cheema

Zoraver is Research Scholar for South Asia at the Asia Pacific Foundation of Canada. He holds a Bachelor's in Global and International Studies from Carleton University’s Arthur Kroeger College of Public Affairs and recently earned a Master’s degree from Columbia University (GSAS/SIPA) in the United States. His research focuses on economic nationalism, international political economy, international trade, and nationalism theory — with a particular focus on how diaspora politics informs the formulation and orientation of foreign policy.