L’Inde est confrontée à un dilemme stratégique alors que les tensions avec le Pakistan persistent

Indian military patrol India-Pakistan border
Un soldat des forces de sécurité frontalières indiennes monte la garde près du poste frontière de Wagah entre l’Inde et le Pakistan, à environ 35 km d’Amritsar, le 9 mai 2025. | Photo : Narinder Nanu/AFP gracieuseté de Getty Images

En réponse à l’attentat terroriste du 22 avril qui a tué 26 civils – pour la plupart des touristes hindous – près de la ville de Pahalgam, dans la région indienne du Cachemire, les forces armées indiennes ont lancé des frappes de précision le 7 mai pour démanteler ce qu’elles considèrent comme des bases terroristes sur neuf sites au Pakistan, dont certains sont situés au cœur du pays. New Delhi affirme que les attaquants de Pahalgam avaient des liens avec le Pakistan. (Islamabad nie l’existence de tout lien.) Dans le cadre de l’opération Sindoor, l’Inde affirme avoir tué 100 terroristes et détruit des infrastructures terroristes présumées au Pakistan et dans le Cachemire administré par le Pakistan.

Islamabad a toutefois affirmé que les cibles touchées par l’armée indienne étaient « civiles », et non terroristes, et a riposté par des contre-attaques. L’incident a déclenché trois jours de bombardements intensifs sur la ligne de contrôle – la frontière de facto entre les deux voisins dotés de l’arme nucléaire dans la région contestée du Cachemire – ainsi que des attaques de missiles et de drones à l’intérieur du territoire de l’autre partie, visant des bases aériennes et des infrastructures militaires, les deux parties déclarant la perte de vies humaines dans la population civile.

Alors que les hauts responsables militaires indiens prétendent avoir remporté des victoires substantielles et que la menace d’une nouvelle escalade militaire s’est atténuée – du moins pour l’instant –, le différend qui oppose depuis longtemps les deux rivaux d’Asie du Sud n’est toujours pas résolu et de nouvelles flambées de violence, y compris des attaques terroristes, ne sont pas à exclure.

L’Inde sera confrontée à de nombreux dilemmes; elle court notamment le risque d’être entraînée dans un conflit militaire prolongé avec le Pakistan pour contrer la menace du terrorisme. Ce défi est d’autant plus compliqué par la suspension d’un traité bilatéral sur le partage de l’eau, les tensions persistantes sur la question du Cachemire et l’intervention de grandes puissances, en particulier la Chine – proche partenaire stratégique d’Islamabad et autre rivale régionale de New Delhi – avec laquelle l’Inde partage une frontière contestée de près de 4 000 kilomètres.

Une nouvelle doctrine de sécurité émerge en Inde

Le 12 mai, deux jours après l’annonce d’un cessez-le-feu, le premier ministre indien Narendra Modi a formulé une nouvelle doctrine en réponse aux attaques terroristes. Selon cette doctrine, de telles attaques seraient traitées comme des « actes de guerre » et justifieraient des représailles appropriées, y compris une action militaire contre les terroristes et les gouvernements qui les soutiendraient.

Avant 2016, l’Inde s’abstenait généralement d’exercer des représailles militaires en réponse aux attaques terroristes qu’elle estimait provenir du Pakistan. Cependant, New Delhi considère de plus en plus ces attaques comme des motifs suffisants pour une réponse militaire, malgré la menace d’utilisation d’armes nucléaires dans le conflit qui s’ensuivrait. M. Modi a souligné que l’Inde ne serait plus retenue par la menace du « chantage nucléaire ». Il a réaffirmé que la terreur et le dialogue ne peuvent aller de pair, laissant entendre que l’Inde ne devrait pas répondre aux attaques terroristes en s’engageant dans une coopération diplomatique avec le gouvernement qui, selon elle, soutient ces attaques.

La frustration de New Delhi à l’égard du terrorisme transfrontalier a atteint un point critique après les attentats meurtriers de Mumbai en novembre 2008, qui ont fait 166 morts. Ces attentats auraient été perpétrés par des terroristes basés au Pakistan. Bien que les relations entre l’Inde et le Pakistan se soient fortement détériorées après cet incident, New Delhi a choisi de ne pas riposter militairement.

Toutefois, cette réticence à utiliser la force militaire comme réponse punitive aux attaques terroristes a commencé à changer sous l’administration Modi, d’abord en 2016, puis en 2019, à la suite d’attaques terroristes majeures dans la région indienne du Jammu-et-Cachemire. En 2016, les forces de sécurité indiennes ont franchi la ligne de contrôle pour effectuer des frappes de précision sur des infrastructures terroristes présumées dans le Cachemire administré par le Pakistan. À la suite d’un attentat suicide au Jammu-et-Cachemire en 2019 qui a tué 40 soldats indiens, les forces indiennes ont dépassé la région contestée du Cachemire et ont lancé des frappes aériennes dans la province pakistanaise du Khyber Pakhtunkhwa, ciblant un camp terroriste présumé.

La récente attaque de Pahalgam a marqué une nouvelle escalade. Les forces indiennes ont frappé des cibles plus en profondeur dans le territoire pakistanais qu’elles ne l’avaient jamais fait au cours des cinq dernières décennies, touchant neuf camps terroristes présumés, avec une puissance de feu et une force de frappe nettement plus sophistiquées. Si les frappes étaient de nature punitive, elles se voulaient également dissuasives, en envoyant un message selon lequel les actes de terrorisme ne seraient plus considérés comme tombant sous le seuil d’une réponse militaire.

Ce durcissement de la volonté stratégique semble toutefois être une arme à double tranchant pour New Delhi. D’une part, elle permet au pays de se présenter comme capable d’assurer sa sécurité dans un environnement régional très tendu où les attentats terroristes semblent servir de tactique de guerre par procuration. D’autre part, elle accroît le risque d’une escalade militaire incontrôlée entre deux voisins dotés de l’arme nucléaire. À la lumière de cette nouvelle doctrine, New Delhi pourrait se sentir obligée d’apporter une réponse militaire à chaque attaque terroriste – une réponse qui pourrait être d’une plus grande ampleur et d’une plus grande intensité que les précédentes. En outre, le démantèlement de camps terroristes présumés ne garantit pas une protection contre de futures attaques, ce qui remet en question les attentes en matière de dissuasion.

La suspension du Traité sur les eaux de l’Indus laisse la région sur le carreau

Avant de lancer l’opération Sindoor, New Delhi a pris d’autres mesures de rétorsion non militaires contre le Pakistan. La plus importante a été la suspension du Traité de 1960 sur les eaux de l’Indus, qui régit le partage des eaux de l’Indus et de ses affluents entre les deux pays. Fait remarquable, le traité a résisté à deux guerres majeures entre l’Inde et le Pakistan, en 1965 et en 1971, ainsi qu’à de multiples escarmouches et conflits de moindre envergure.

Bien qu’un cessez-le-feu ait été conclu le 10 mai, New Delhi a déclaré que le traité restait suspendu. Plus de 80 % de l’agriculture irriguée du Pakistan et 25 % de son PIB dépendant des eaux de l’Indus, Islamabad a prévenu que toute tentative de l’Inde – l’État riverain supérieur – de détourner les cours d’eau serait considérée comme un « acte de guerre ».

En 2023, l’Inde a demandé une « modification » du traité, puis, en 2024, elle a demandé une « révision », indiquant ainsi son intention de révoquer et de renégocier l’accord. Dans le cadre actuel, l’Inde a droit à environ 30 % des eaux de l’Indus, tandis que le Pakistan a droit aux 70 % restants. Les raisons invoquées par l’Inde pour justifier la renégociation semblent reposer sur les exigences créées par l’évolution des besoins de la population, les changements climatiques, la nécessité de disposer d’une énergie propre et son désir de conserver une influence stratégique en réponse au terrorisme transfrontalier.

Bien que le traité limite actuellement la capacité de l’Inde à retenir l’eau en restreignant la construction de grands barrages de stockage, New Delhi pourrait accélérer le développement de nouvelles infrastructures hydroélectriques ou augmenter la capacité de stockage des projets existants afin d’infliger des dommages en aval au Pakistan. Un récent rapport de Reuters suggère que de tels développements sont déjà en cours, ce qui accroît le risque d’une reprise du conflit.

Le Cachemire reste un point chaud

La rivalité entre l’Inde et le Pakistan trouve son origine dans les revendications territoriales concurrentes sur la région du Cachemire depuis la fin de la domination coloniale en 1947. Les deux pays revendiquent l’intégralité du territoire, mais un conflit armé en 1948 a entraîné la division du Cachemire le long de la ligne de contrôle, la frontière de facto, les deux parties administrant une partie du territoire contesté. La Chine administre une autre section à l’est.

Cette région de l’Himalaya, stratégiquement vitale et fortement militarisée, est un foyer de conflits. Depuis les années 1990, le Jammu-et-Cachemire administré par l’Inde est aux prises avec une insurrection alimentée en partie par des réseaux terroristes transfrontaliers largement considérés comme des intermédiaires de l’État pakistanais. Le conflit territorial a éclaté en 1999, lorsque des soldats pakistanais ont franchi la ligne de contrôle. Cependant, le conflit est resté limité. Un accord de cessez-le-feu le long de la ligne de contrôle est en vigueur depuis 2003, malgré de fréquents incidents le long de la frontière contestée.

La situation a changé en 2019, lorsque le gouvernement Modi a révoqué le statut semi-autonome du Jammu-et-Cachemire en vertu de l’article 370 de la Constitution indienne, en vue de l’intégration complète de la région à l’Inde. Cette mesure a levé les restrictions en matière de propriété foncière et de résidence permanente, permettant aux Indiens du reste du pays de s’installer dans la région, ce qui a suscité des inquiétudes quant à l’évolution démographique du seul territoire à majorité musulmane de l’Inde. En outre, la région, qui était auparavant un État au sein de la fédération indienne, a été déclassée en territoire de l’Union, ce qui l’a placée sous l’administration centrale directe de New Delhi. Alors que la révocation de l’article 370 était considérée par le gouvernement indien comme un pas vers le développement économique et un moyen de stimuler le tourisme et les investissements, l’attentat de Pahalgam a mis en lumière les failles de sécurité existantes et la menace persistante du terrorisme. Le Pakistan s’est fermement opposé à la décision de 2019, la dénonçant comme « illégale » et « unilatérale », et a réagi en prenant des mesures telles que l’expulsion du haut-commissaire indien d’Islamabad.

Le récent attentat terroriste de Pahalgam a mis en évidence non seulement les risques persistants en matière de sécurité dans la région, mais aussi ses implications plus larges pour la paix et la stabilité régionales. Pour New Delhi, l’un des principaux défis réside dans le fait que si ces menaces sécuritaires peuvent compromettre l’accent mis par l’Inde sur la croissance économique et son positionnement en tant que puissance montante, sa crédibilité sur la scène mondiale dépend de sa capacité à se prémunir contre les menaces extérieures.

Le jeu des grandes puissances en Asie du Sud

Bien que les États-Unis aient initialement indiqué qu’ils adopteraient une approche non interventionniste à la suite des attaques de Pahalgam, l’intervention de Washington se serait intensifiée alors que le conflit risquait de dégénérer en une guerre de grande ampleur. Le président américain Donald Trump a annoncé ce qu’il a décrit comme un cessez-le-feu « négocié par les États-Unis » le 10 mai. Trump a également déclaré : « Je travaillerai avec vous deux pour voir si, après mille ans, une solution peut être trouvée concernant le Cachemire. » Il a également qualifié ses relations avec les deux pays de « très étroites ». Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a également évoqué la possibilité de discussions sur un « ensemble plus large de questions » dans un « site neutre ».

Même si l’Inde a refusé toute implication d’une tierce partie dans l’obtention d’une pause dans les hostilités et exclu toute médiation sur la question du Cachemire, les déclarations de Trump pourraient néanmoins placer New Delhi dans une position diplomatiquement délicate, compte tenu de sa politique de longue date consistant à rejeter toute médiation extérieure dans le différend sur le Cachemire. Cette position, ancrée dans les Accords de Simla de 1972, stipule que tous les différends entre l’Inde et le Pakistan doivent être résolus « par des moyens pacifiques dans le cadre de négociations bilatérales ».

L’Inde considère le Cachemire comme une partie intégrante du pays et s’oppose donc à toute intervention étrangère. Ce sentiment est encore renforcé par les tentatives de l’Inde d’internationaliser la question dans les premières années aux Nations Unies, qui n’ont pas apporté d’avantage diplomatique substantiel. Depuis lors, les efforts d’Islamabad pour attirer l’attention sur cette question à l’échelle internationale n’ont fait que renforcer la résistance de New Delhi à une participation extérieure sur le Cachemire.

Les remarques de Trump pourraient susciter des critiques internes en Inde, car elles risquent d’internationaliser une fois de plus la question du Cachemire. Le rapprochement stratégique croissant de l’Inde avec les États-Unis pourrait également être perçu comme compromettant sa position fondamentale sur le Cachemire. Ces dernières années, le partenariat stratégique entre l’Inde et les États-Unis a été motivé en grande partie par l’émergence de l’Inde en tant que contrepoids à l’affirmation régionale croissante de la Chine et s’est traduit par une coopération de plus en plus étroite en matière de défense et de technologie. Les États-Unis sont également devenus le premier partenaire commercial de l’Inde.

En revanche, les récentes tensions avec le Pakistan ont mis en lumière les fissures dans les liens traditionnellement forts de l’Inde avec la Russie. Les appels à la « retenue » lancés par Moscou ont été perçus dans les cercles stratégiques indiens comme n’ayant pas reçu le soutien escompté. L’alignement croissant de la Russie sur la Chine, notamment dans le cadre de sa guerre prolongée en Ukraine, constitue également un irritant stratégique.

Enfin, le conflit entre l’Inde et le Pakistan a mis en évidence le renforcement de la coopération militaire et stratégique entre le Pakistan et la Chine, d’autant plus que les forces pakistanaises auraient utilisé des munitions fabriquées en Chine. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a promis que son pays soutiendrait le Pakistan dans la défense de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et de son indépendance nationale. Le partenariat entre la Chine et le Pakistan, qui est depuis longtemps une source d’inquiétude pour l’Inde en raison des craintes d’une guerre potentielle sur deux fronts, complique les efforts déployés récemment par Beijing et New Delhi pour stabiliser leurs relations, qui s’étaient détériorées à la suite de violents affrontements frontaliers en 2020. Malgré les efforts récents visant à apaiser les tensions le long de la frontière entre l’Inde et la Chine, celle-ci reste contestée et les deux pays continuent de se disputer l’influence régionale dans le cadre d’une rivalité stratégique acharnée. Le partenariat entre la Chine et le Pakistan est donc une préoccupation constante pour l’Inde, ce qui devrait rapprocher New Delhi de Washington.

L’arme à double tranchant

Pour l’Inde, le récent conflit avec le Pakistan pose un dilemme stratégique permanent : si l’affirmation de sa puissance militaire face à des menaces persistantes est vitale pour son image de puissance montante, le risque d’une escalade généralisée pourrait compromettre ses objectifs plus larges d’influence régionale et de rayonnement mondial. Le cessez-le-feu devrait tenir pour l’instant, mais les tensions profondément enracinées ne montrent aucun signe d’apaisement et rien n’indique un engagement diplomatique imminent pour apaiser les hostilités.

Le récent conflit a également mis en évidence les limites de la dissuasion nucléaire, qui n’a pas réussi à empêcher le déclenchement d’échanges militaires ordinaires. Bien que les deux parties aient revendiqué certaines victoires tactiques, le risque d’escalade – y compris la possibilité de recourir aux armes nucléaires – reste dangereusement réel.

Suvolaxmi Dutta Choudhury

Suvolaxmi Dutta Choudhury est gestionnaire de programme pour l’Asie du Sud au sein de la FAP Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique internationale de la Jawaharlal Nehru University (Inde). Ses recherches portent sur les droits de citoyenneté, la migration, le nationalisme, les conflits ethniques et la gouvernance démocratique en Inde.

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