Les manifestations de la génération Z au Népal révèlent de profondes frustrations et des enjeux régionaux

Protester in Nepal Sept 8 2025
Une manifestante crie des slogans lors d’une manifestation devant le parlement à Katmandou, le 8 septembre 2025, condamnant l’interdiction des médias sociaux et la corruption du gouvernement. Le 8 septembre, la police népalaise a ouvert le feu sur la foule. Trente-quatre personnes auraient été tuées et des milliers blessées alors que de jeunes manifestants descendaient dans les rues à Katmandou et dans d’autres villes. | Photo de Prabin Ranabhat/AFP via Getty Images

À retenir

Le 8 septembre, le Népal a connu l’un de ses épisodes les plus violents depuis des décennies, lorsqu’un soulèvement mené par des jeunes contre l’interdiction du gouvernement de 26 réseaux sociaux – y compris YouTube, Facebook, X et Instagram – a fait 34 morts et des milliers de blessés. Les manifestations à Katmandou et dans d’autres villes ont forcé le quadruple premier ministre KP Sharma Oli à démissionner et déclenché des actes de vandalisme et des attaques généralisées contre des politiciens de tous les horizons politiques.

Bien que l’interdiction des médias sociaux ait déclenché les manifestations, l’évolution des événements reflète une frustration de longue date face à la corruption, aux difficultés économiques et à l’aliénation des jeunes par rapport à l’élite politique bien ancrée. Il s’agit des troubles les plus graves depuis le mouvement prodémocratique népalais de 2006, qui a aboli la monarchie et établi une république démocratique en 2008; ils ont des implications majeures pour l’ensemble de la région.

En bref

Le 4 septembre, le gouvernement népalais a interdit plusieurs réseaux sociaux, invoquant leur refus de souscrire à une nouvelle réglementation. Ses détracteurs ont considéré l’interdiction comme une répression voilée de la liberté d’expression et de la dissidence. Alors que le gouvernement Oli avait initialement défendu cette interdiction comme relevant de la souveraineté nationale, il est revenu sur cette décision au deuxième jour de manifestations.

Malgré la levée de l’interdiction, la violente répression des manifestations a entraîné une nouvelle intensification, et notamment l’incendie du Parlement, de la Cour suprême et de plusieurs domiciles de politiciens et l’attaque d’organismes médiatiques. Des politiciens ont dû être évacués par hélicoptère après avoir été visés par la foule. L’armée a imposé un couvre-feu dans tout le pays et est concrètement aux commandes sur le terrain.

Le 10 septembre, les organisateurs du mouvement des jeunes ont affirmé qu’ils n’accepteraient aucune personne liée aux partis politiques traditionnels en tant que prochain chef d’État du Népal et ont proposé l’ancienne juge en chef Sushila Karki, seule femme juge en chef du Népal, comme première ministre intérimaire – un appel symbolique à une rupture nette avec la politique bien ancrée. Des rapports suggèrent que Sushila Karki a accepté d’assurer le poste temporaire.

L’ONU a condamné les meurtres, demandant une enquête transparente sur l’usage disproportionné de la force contre les manifestants. L’Inde et la Chine ont publié des déclarations appelant à la retenue. Plusieurs pays, dont le Canada, ont mis à jour les conseils aux voyageurs, exhortant leurs citoyens à éviter les « voyages non essentiels ».

Les conséquences

Surnommée « manifestations de la génération Z », la mobilisation de la jeunesse népalaise reflète l’influence politique croissante d’une génération numériquement active cherchant à façonner l’avenir de la nation. Une campagne sur les médias sociaux ciblant les enfants privilégiés de l’élite politique reflète la méfiance croissante de la population envers le gouvernement, en raison de la faiblesse de la gouvernance, de l’érosion de la démocratie et de la corruption. Les fréquents changements de gouvernement – 14 en 17 ans – ont également provoqué la désillusion de la population, permettant l’émergence d’une nostalgie pour la monarchie et d’autres voies écartant l’élite actuellement au pouvoir. Plus tôt en 2025, des manifestations en faveur de la monarchie ont mis en lumière une frustration de longue date à l’égard des élites politiques. Les manifestants ont utilisé des réseaux privés virtuels pour contourner les coupures d’Internet afin de s’organiser en ligne et d’amplifier leurs revendications, utilisant les mêmes tendances d’activisme que les jeunes au Sri Lanka, au Bangladesh et en Indonésie.

Les manifestations reflètent de profondes frustrations face à la faiblesse des perspectives économiques, aux inégalités et à la corruption. Elles mettent en lumière le mécontentement de l’une des plus jeunes nations du monde (dont l’âge médian est de 25,3 ans) en raison de possibilités limitées. Le chômage des jeunes a atteint 20,8 % en 2024, et près d’un tiers de la population vit et travaille à l’étranger. Plus de 76 % des ménages dépendent des envois d’argent, contre 23 % en 1995-1996.

Les inégalités économiques sont également flagrantes. Alors que les 10 % les plus riches détiennent 57 % de la richesse, les 40 % les plus pauvres en détiennent moins de 10 %. En outre, dans l’indice de perception de la corruption  de Transparency International en 2024, le Népal se classe 107e sur 180 pays. Les risques climatiques et les catastrophes restent élevés et seuls 48 % des ménages sont considérés comme étant en sécurité alimentaire.

La Banque mondiale prévoit une croissance du PIB de 4,5 % en 2025, contre 3,9 % dans une précédente prévision, mais la faiblesse des actifs financiers, les fréquents remaniements gouvernementaux et les incertitudes géopolitiques présentent des risques. Le Népal demeure l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un PIB par habitant inférieur à 1 500 dollars américains. Le tourisme, qui est l’un des piliers de l’économie, devrait être durement touché si les troubles civils et l’instabilité politique persistent.

Prochaines étapes

L’avenir politique du Népal reste incertain

Alors que les manifestants rejettent le choix du parlement actuel pour remplacer le premier ministre Oli, l’armée est chargée non seulement de rétablir l’ordre, mais aussi de gérer efficacement le pays. L’armée a convoqué des pourparlers sur l’avenir politique du Népal, mais le processus devrait rester chaotique, car des milliers de jeunes Népalais cherchent à faire entendre leur voix dans les discussions en ligne.

Les revendications des manifestants peuvent aller de la dissolution du Parlement et de nouvelles élections d’ici un an à des réformes constitutionnelles telles que l’élection directe du premier ministre, la réduction du mandat du Parlement et la limite de durée du mandat du premier ministre. Le rôle de l’armée dans le rétablissement de l’ordre souligne la fragilité de cette transition.

Bien que le processus constitutionnel laisse encore présager un leadership émanant du Parlement, les candidats non traditionnels et populistes gagnent en importance. Des personnalités telles que Balendra Shah, le rappeur devenu maire de Katmandou, sont apparues comme des candidats potentiels au poste de premier ministre et sont soutenues par les jeunes manifestants. Pendant ce temps, les factions promonarchiques autour de l’ancien roi Gyanendra organisent son retour, bien que les manifestations restent axées sur la réforme de la république plutôt que sur le rétablissement de la monarchie.

L’incertitude plane dans la région

Les troubles au Népal reflètent les tendances observées ailleurs en Asie du Sud. L’effondrement économique du Sri Lanka en 2022 a déclenché des manifestations de masse qui ont renversé le gouvernement. En 2024, des manifestations menées par des jeunes ont forcé la démission de l’ancienne première ministre bangladaise Sheikh Hasina.

L’instabilité politique au Népal pourrait également avoir des conséquences majeures sur les dynamiques du pouvoir dans la région. Les petits États comme le Népal cherchent depuis longtemps à équilibrer leurs relations avec l’Inde et la Chine, qui se disputent une influence stratégique. Bien que Katmandou ait traditionnellement maintenu des liens étroits avec New Delhi, le premier ministre Oli a rapproché le Népal de Beijing pendant son mandat grâce à l’élargissement des partenariats économiques et d’infrastructure, en particulier dans le cadre de l’Initiative La Ceinture et la Route. L’instabilité politique actuelle au Népal pourrait créer une incertitude supplémentaire dans l’équilibre régional des forces, alors que l’Inde et la Chine continuent de se disputer l’influence sur leur voisin.

La réponse internationale appelle à la retenue

Le 8 septembre, plusieurs ambassades étrangères au Népal, y compris celles du Royaume-Uni, des États-Unis, de la France et du Japon, ont publié une déclaration commune exprimant leurs condoléances pour les vies perdues, exhortant à la retenue et réaffirmant leur soutien aux droits de réunion pacifique et à la liberté d’expression. Bien que le Canada ait mis à jour ses conseils aux voyageurs, aucune déclaration plus générale n’a suivi. Avec environ 23 425 Népalais vivant au Canada, la diaspora suit les événements de près. Le Haut-commissariat du Canada en Inde s’occupe également du Népal. Bien qu’un nouveau haut-commissaire ait été nommé, il n’est toujours pas entré en fonction.

Suvolaxmi Dutta Choudhury

Suvolaxmi Dutta Choudhury est gestionnaire de programme pour l’Asie du Sud au sein de la FAP Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique internationale de la Jawaharlal Nehru University (Inde). Ses recherches portent sur les droits de citoyenneté, la migration, le nationalisme, les conflits ethniques et la gouvernance démocratique en Inde.

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Tanya Dawar

Tanya Dawar est chercheuse au sein de l'équipe de l'Asie du Sud à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politiques publiques et affaires mondiales de l’Université de la Colombie-Britannique, d’une maîtrise en économie de l’Indian Institute of Foreign Trade et d’un B.Sc. en sciences économiques. en mathématiques (avec distinction) de l'Université de Delhi. 

Les intérêts de recherche de Tanya comprennent le commerce international, les questions environnementales et la politique mondiale.

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Zoraver Cheema

Zoraver is Research Scholar for South Asia at the Asia Pacific Foundation of Canada. He holds a Bachelor's in Global and International Studies from Carleton University’s Arthur Kroeger College of Public Affairs and recently earned a Master’s degree from Columbia University (GSAS/SIPA) in the United States. His research focuses on economic nationalism, international political economy, international trade, and nationalism theory — with a particular focus on how diaspora politics informs the formulation and orientation of foreign policy.
 
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