Conclusions principales :
Depuis le début de 2025, les deux principaux partis politiques de Taïwan, le Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir et le Kuomintang (KMT) dans l’opposition, font face à des campagnes de destitution massive sans précédent, visant les députés élus lors des élections de 2024. Le processus légal permettant aux électeurs de révoquer les députés en cours de mandat a été déclenché par de profonds désaccords concernant le budget adopté en janvier. Acteurs affiliés au DPP tentent de faire perdre suffisamment de sièges aux députés du KMT pour reprendre le contrôle du Yuan législatif, l’assemblée de Taïwan. L’issue des campagnes de destitution contre le KMT pourrait dépendre des électeurs indécis dans les bastions du parti. Le KMT a répliqué avec ses propres campagnes de destitution et une potentielle motion de défiance.
Si le DPP parvient à remplacer assez de députés du KMT par des membres de son propre parti, le KMT perdrait un outil essentiel pour s’opposer aux propositions politiques du DPP, allégeant ainsi le blocage politique à Taïwan.
En Bref :
- Le Yuan législatif, l’assemblée monocamérale de Taïwan, compte 113 membres élus.
- Des groupes de la société civile ont présenté des pétitions de révocation contre 37 députés du KMT et de leurs alliés. Le KMT a répondu avec des pétitions visant 15 membres du DPP.
- La procédure de destitution comprend trois étapes:
1. Les pétitionnaires doivent recueillir les signatures de 1 % des électeurs admissibles dans la circonscription pour initier le processus de destitution.
2. Ils doivent ensuite obtenir un appui additionnel de 10 % des électeurs admissibles pour déclencher un vote de révocation, décidé à la majorité simple.
3. Pour que les résultats soient valides, au moins 25 % des électeurs admissibles doivent avoir participé au vote de révocation final.
- L’organisme électoral taïwanais a annoncé que la période de dépôt des pétitions pour la deuxième étape contre les députés du KMT se tiendra du 2 au 23 mai, tandis que celle visant les députés du DPP aura lieu du 31 mai au 24 juin.
- Au 12 mai, les organisateurs de campagne affirmaient que les pétitions visant 31 députés du KMT avaient déjà recueilli suffisamment de signatures. En conséquence, l’île connaîtra sa première campagne de destitution massive dès juillet. À ce jour, aucun député du DPP n’a atteint le seuil de la deuxième étape.
Implications :
L’ombre chinoise se fait pesante Le KMT, parti prônant des liens plus étroits avec Pékin, détient actuellement 52 sièges au Yuan législatif, aux côtés du Parti populaire taïwanais (TPP) et d’indépendants affiliés. Cette coalition menée par le KMT requiert une majorité active, ce qui limite considérablement la capacité du DPP au pouvoir à faire adopter des lois.
Le DPP a accusé l’opposition de bloquer les initiatives clés du gouvernement, y compris les efforts visant à atténuer l’influence politique chinoise, telles que la loi exigeant que les députés déclarent et obtiennent des autorisations pour des visites en République populaire de Chine. La loi contrôlée par le KMT, réduisant le budget des opérations gouvernementales de 34 %, y compris des coupes dans les dépenses de défense, a été perçue comme une provocation inacceptable par le DPP, qui cherchait à élargir les prérogatives législatives pour contrer l’obstruction parlementaire de l’opposition. La crise politique qui couve, illustrée par le blocage législatif, affecte la capacité de Taipei à répondre aux exigences pressantes de Washington visant à renforcer sa préparation militaire à un moment où la RPC intensifie ses menaces contre Taïwan.
Les critiques soutiennent que la campagne de destitution massive compromet la démocratie. L’opposition affirme que les appels à la destitution, largement menés par des groupes de la société civile, constituent une prise de pouvoir imprudente par le parti au pouvoir et une tentative de faire taire ses rivaux. Le seuil relativement bas pour les votes de défiance à Taïwan a soulevé des inquiétudes quant à la crédibilité de ces démarches, certains se demandant si les promoteurs des révocations disposent d’arguments solides pour justifier la destitution des députés. Les partisans du DPP invoquent la nécessité de faire face aux pressions de Beijing et de préserver la stabilité politique de Taïwan pour légitimer leurs campagnes actuelles.
L’incertitude politique s’accompagne d’une incertitude économique, alimentée par les tarifs douaniers proposés de 32 % sur les produits d’exportation taïwanais. Bien que ces tarifs aient été suspendus temporairement, ils continuent de peser sur l’économie de l’île, fortement axée sur les exportations. Si le DPP parvient à rétablir son contrôle sur le Yuan législatif, il serait théoriquement en mesure de mettre en œuvre des mesures opportunes pour répondre au désarroi économique. Les sondages récents indiquent que l’opinion publique sur les vagues de révocations demeure divisée, avec 45,9 % d’opposants et 40 % de partisans. Les opposants expriment des inquiétudes quant à l’utilisation des ressources publiques et à l’aggravation du blocage politique. De plus, l’échec des négociations sur les tarifs douaniers pourrait éroder le soutien parmi les électeurs ayant initialement appuyé les efforts de destitution.
Ce qui s'ensuit :
1. Le DPP affronte un combat acharné. Le KMT est sur la défensive. Compte tenu des résultats législatifs et des seuils de révocation, les experts identifient dix députés du KMT qui courent le plus grand risque de perdre leur siège. Cependant, le succès du DPP reposera sur sa capacité à mobiliser les électeurs centristes, puisque les sièges en jeu se trouvent dans des bastions du KMT, tels que Taichung et Taoyuan. Parmi ces électeurs indécis, les perspectives ne sont pas globalement favorables : près de la moitié s’opposent à la vague de révocations, tandis que seulement 23,9 % y sont favorables.
2. Le DPP pourrait faire face à un contrecoup, et le KMT pourrait être amené à adopter des positions plus modérées.
Bien que la campagne de destitution ne bénéficie pas d’un soutien généralisé, le DPP s’est engagé dans ses efforts pour faire perdre leurs sièges aux députés du KMT, un pari politique qui pourrait se retourner contre lui en vue des élections locales de 2026. De son côté, le KMT mise sur la motion de défiance au sein du législatif, ce qui pourrait forcer le DPP à s’asseoir à la table des négociations, voire même entraîner la dissolution du parlement.
Entre-temps, le KMT pourrait subir des pressions pour adopter des positions plus modérées, notamment en ce qui concerne les relations transdétroit. Le rejet des députés pro-Chine, même parmi les loyalistes du parti, pourrait pousser le KMT à se repositionner sur un axe plus centriste. Ce changement a plus de chances de se concrétiser lors de la course à la chefferie du parti, qui façonnera son parcours en vue des élections présidentielles de 2028.
• Édité par Erin Williams, gestionnaire de programme principale, Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie, et Ted Fraser, rédacteur en chef à la FAP Canada