Les hauts dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) se sont réunis à Beijing pour le quatrième plénum du 20e Congrès du Parti du 20 au 23 octobre 2025. Cette réunion, suivie de près, a débouché sur la publication d’un communiqué le 23 octobre et la formulation de plusieurs recommandations principales le 28 octobre. Ces documents ont donné un avant-goût du 15e Plan quinquennal du pays qui orientera le développement économique et social de la Chine de 2026 à 2030. La version intégrale du Plan quinquennal doit être approuvée par le Congrès national du peuple en mars prochain.
Davantage de détails politiques seront ajoutés à cette première ébauche, mais on y constate un désir évident de poursuivre les feuilles de route fixées lors des récentes réunions plénières du PCC sur l’économie, indiquant que le cadre dirigeant est confiant dans son approche actuelle de la gouvernance économique et politique. Le plan directeur actuel permet de se faire une idée de la manière dont les hauts dirigeants chinois ont l’intention de traiter les défis économiques au cours des cinq prochaines années, avec l’idée que la concurrence entre les grandes puissances – en particulier le désaccord géopolitique entre la Chine et les États-Unis – sera intense et de longue durée.
Principaux points à retenir du plénum
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1. Lancement d’une campagne anti-involution
Le terme « involution », utilisé pour décrire une concurrence interne excessive qui mène à des résultats contre-productifs, est devenu un mot à la mode en Chine aux alentours de 2021. Ce n’est toutefois qu’au milieu de 2024 que le concept a été mis de l’avant dans les discussions politiques des plus hautes instances. C’est dans le prochain Plan quinquennal que les décideurs ont officiellement intégré pour la première fois la campagne anti-involution dans un document d’une telle importance.
Selon les « recommandations », la lutte contre l’involution à l’échelon industriel passera par des mesures dynamiques contre la concurrence malsaine et les guerres de prix, en particulier dans les secteurs aux prises avec des problèmes de surcapacité, comme l’acier et le ciment, mais aussi, notamment, dans le secteur phare des énergies renouvelables, comme celui des véhicules électriques (VE). En fait, c’est la première fois depuis 2011 que le Plan quinquennal de la Chine ne mentionne pas le secteur des véhicules électriques dans la liste de ses industries stratégiques, ce qui indique non seulement que le pays occupe maintenant un rôle de chef de file mondial dans le domaine, mais aussi que le PCC reconnaît la nécessité d’éliminer la saturation préjudiciable dans ce secteur.
L’une des principales propositions pour lutter contre l’involution consiste à créer un marché national unifié, ce qui, selon le planificateur économique en chef du pays, signifie d’adopter un ensemble uniforme d’institutions et de règles fondamentales (comme la protection des droits de propriété, les procédures d’accès aux marchés et de sortie de ceux-ci, ainsi que les fusions et les restructurations) dans toutes les provinces et les villes, tout en mettant en place des normes élevées et unifiées pour lutter contre les monopoles, la concurrence déloyale et les interventions injustifiées sur les marchés.
L’objectif premier de cette stratégie est d’aborder le développement non coordonné des secteurs des « nouvelles forces de production » – les secteurs novateurs et d’avenir que le PCC promeut depuis 2024, car il estime qu’ils peuvent aider l’économie chinoise à passer des modèles traditionnels de croissance axés sur l’investissement et à forte teneur manufacturière à une économie reposant sur des chaînes à grande valeur ajoutée.
Ces dernières années, certains gouvernements locaux ont ardemment subventionné des secteurs de pointe qui se chevauchent, indépendamment de leurs propres ressources et capacités, ce qui a souvent abouti non pas à des rendements économiques, mais à une fragmentation du marché et à un protectionnisme régional. Ces enjeux remontent à la campagne « Made in China 2025 », au cours de laquelle des bureaucrates locaux ont jugé bon d’attribuer des ressources colossales à des entreprises de haute technologie et à de nouvelles grappes industrielles, dans l’espoir de faire ressortir quelques champions locaux pour stimuler l’économie locale et rehausser leurs profils politiques. L’élaboration de normes commerciales, de règles de mise en œuvre et de réglementations applicables à l’échelle nationale conformément aux recommandations permettra d’améliorer l’efficacité des investissements et de favoriser une plus grande complémentarité entre les économies régionales.
La proposition d’un « marché national unifié » est importante sur le plan économique pour la stratégie chinoise de « double circulation », un concept promu par le président Xi Jinping depuis 2020 et qui vise à accroître la consommation intérieure tout en maintenant de solides échanges commerciaux et investissements avec l’étranger.
D’après le quatrième plénum, l’un des principaux défis que l’économie chinoise devra relever au cours des cinq prochaines années concerne la présence d’importants « goulets d’étranglement et obstacles » qui entravent la circulation intérieure et contribuent à la demande morose des consommateurs. Le plan de marché unifié cherche donc à atténuer certains de ces obstacles, qui résultent de l’inégalité des normes commerciales et de la concurrence régionale involutionnaire, renforçant ainsi l’objectif du PCC de rehausser la demande intérieure et de favoriser la double circulation. Cependant, l’accroche du communiqué, soit « une nouvelle offre crée une nouvelle demande, et une nouvelle demande créera une nouvelle offre » [traduction libre], manquait de précision quant aux politiques liées à l’offre qui sont nécessaires pour que cette circulation devienne un cercle vertueux se renforçant mutuellement. Les observateurs seront à l’affût d’autres indices dans l’ébauche complète du Plan quinquennal de l’année prochaine pour voir quels nouveaux outils, au-delà des traditionnels investissements dirigés par l’État, seront déployés.
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2. L’autosuffisance dans les secteurs de haute technologie demeure un thème important
La stratégie économique de la Chine accorde depuis longtemps la priorité à la domination mondiale et à l’autosuffisance dans les industries novatrices et les technologies avancées. En partie en réponse aux mesures de contrôle des exportations imposées principalement par les États-Unis, les dirigeants chinois semblent plus pressés de parvenir à des percées décisives dans les technologies critiques et d’asseoir davantage leur domination sur diverses chaînes d’approvisionnement des technologies avancées. Les recommandations portaient sur l’engagement d’une « mobilisation des ressources à l’échelle nationale » et de « mesures extraordinaires » pour surmonter les obstacles techniques critiques dans les domaines des circuits intégrés, des machines-outils industrielles, de l’équipement et des matériaux avancés, des logiciels de fondation et de la biofabrication. La mise au point en Chine de ces produits mécaniques et techniques clés, qui peuvent être utilisés pour fabriquer des produits finis comme les puces de pointe, sera cruciale pour la Chine, qui a comme objectif de se doter d’un système industriel moderne très peu dépendant de l’étranger.
Les premières mesures de soutien dévoilées sont axées sur le positionnement des industries à la pointe de l’innovation. Le secteur privé devrait accroître ses investissements dans la recherche fondamentale et sera soutenu par des déductions fiscales supplémentaires pour les dépenses en R et D, en plus de l’approvisionnement accru du gouvernement en produits novateurs mis au point en Chine.
Les recommandations soulignent également plusieurs secteurs clés émergents et futurs dans lesquels la Chine a réalisé des progrès récents (mais insuffisants), notamment l’intelligence artificielle, l’informatique, la technologie quantique et l’aérospatiale. C’est en particulier la première fois que « l’économie de basse altitude » est abordée dans un Plan quinquennal. Le terme désigne les activités réalisées par les drones et les taxis volants qui volent à moins de 1 000 mètres d’altitude à des fins commerciales ou de service public, comme le tourisme, la logistique et l’intervention d’urgence. Bien que Beijing ait commencé à soutenir politiquement ce secteur en plein essor en 2024, celui-ci a connu des débuts difficiles.
L’un des principaux problèmes vient du fait que pour stimuler un secteur de cette nature et favoriser l’adoption de ses percées à grande échelle, il faut mettre en place des garde-fous de sécurité et gagner la confiance, ce qui se fait habituellement avec davantage de vols d’essai. Même si les vols à basse altitude ne sont pas interdits techniquement, dans la pratique, ces activités peuvent se heurter à de nombreuses limitations établies par les organismes de réglementation. Autrement dit, l’industrie se trouve face à un dilemme de la poule et de l’œuf pour déterminer si elle doit commencer par les garde-fous ou par les essais. Il est également essentiel de disposer d’un écosystème complet composé de pièces fabriquées au pays, de services, de mesures de gestion du trafic et d’infrastructures de soutien.
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3. Étendre le filet de sécurité pour stimuler la demande intérieure
Pendant des dizaines d’années, le modèle de croissance économique chinois a favorisé l’investissement et la production industrielle plutôt que le revenu et la consommation des ménages. Ce déséquilibre s’est traduit par une faible demande intérieure, avec une consommation avoisinant les 40 % du PIB en 2024 – bien en deçà de la moyenne mondiale d’environ 60 %. Avec le ralentissement de la demande extérieure pour les produits chinois, Beijing fait face à une pression grandissante pour rééquilibrer son économie vers un modèle de croissance axé sur la consommation. Pour démontrer la détermination des dirigeants chinois, les recommandations comprennent « une augmentation sensible de la consommation des ménages en pourcentage du PIB » pour le premier objectif politique pour la période du prochain Plan quinquennal. Cela laisse croire à un changement dans l’établissement des objectifs relatifs à la croissance économique : au lieu d’accorder la priorité à des cibles de croissance du PIB précises, la Chine cherchera probablement à quantifier des objectifs de consommation et à suivre les progrès réalisés par rapport à ceux-ci.
Afin de « créer un solide marché intérieur pour la demande nationale », les recommandations proposent des mesures visant à accroître les dépenses fiscales dans les services publics, à renforcer le système de sécurité sociale et à alléger les fardeaux financiers des ménages pour stimuler les dépenses des consommateurs. Plusieurs stratégies visent à relancer la consommation : élargir les offres de services et les dépenses connexes, renforcer des marques et des produits phares chinois à technologie intégrée pour séduire les consommateurs plus jeunes, favoriser la consommation à destination des visiteurs étrangers en Chine et éliminer les contraintes réglementaires telles que les restrictions sur les achats de propriétés et de véhicules qui freinent les dépenses des consommateurs.
Avec toute une section consacrée au bien-être social et à la poursuite de la prospérité commune, les recommandations promettent d’investir fortement dans des mesures centrées sur les personnes, qui au bout du compte contribueront à renforcer le pouvoir de dépenser des consommateurs et leur confiance pour le faire. Afin d’y parvenir réellement, le document met l’accent sur l’importance de nouveaux modèles économiques capables de créer des emplois de qualité et suffisants, en particulier pour les diplômés universitaires, les travailleurs migrants et les anciens combattants, les groupes qui font face à la plus grande insécurité d’emploi dans le ralentissement actuel.
Le plénum a également souligné la nécessité d’améliorer la répartition des revenus en solidifiant les mécanismes relatifs au salaire minimum et aux négociations collectives. Le renforcement des filets de sécurité sociale pour les populations vulnérables sera également très important dans les cinq prochaines années et devra s’attacher en particulier aux aspects suivants : 1) améliorer les pensions et les soins de santé pour les personnes âgées; 2) rehausser la couverture d’assurance pour les travailleurs à la pige et migrants, deux catégories qui représentent chacune quelque 20 et 40 % de la population active en Chine, mais qui sont souvent privées de protections sociales et d’accès aux ressources; 3) établir un nouveau modèle dans le secteur de l’immobilier afin d’offrir des logements adéquats à la population, notamment davantage d’options de logements subventionnés par le gouvernement et d’autres logements abordables; et 4) alléger la contrainte financière de la garde d’enfants au moyen de subventions et de déductions fiscales pour les parents.
L’engagement de la Chine à stimuler la consommation intérieure en élargissant les programmes de bien-être social n’est pas un concept nouveau. Le renforcement du filet de sécurité sociale profitera certes à sa population de manière générale, mais les politiques proposées dans les recommandations ne font en grande partie que reprendre des idées antérieures. Des mesures semblables et progressives, comme on l’a vu dans le passé, pourraient échouer à modifier sensiblement les habitudes d’économies prudentes des gens, laissant le ratio de la consommation au PIB relativement inchangé depuis vingt ans. Entre-temps, les pressions déflationnistes persistantes, les investissements privés moroses et la dette des gouvernements locaux continuent de peser sur la croissance économique. Les mesures plus audacieuses pour lutter contre les problèmes structurels – comme recapitaliser les gouvernements locaux, rétablir la confiance à l’endroit du secteur de l’immobilier et redistribuer le revenu aux ménages – demeurent essentiellement non élaborées. Sans des plans concrets de mise en œuvre dans ces directions, le but de Beijing de faire de la consommation le moteur principal de son économie risque de s’avérer plus rhétorique que réalisable.
Conclusion
À première vue, le prochain Plan quinquennal chinois, qui repose sur l’autonomie technologique et la modernisation de l’industrie, annonce une Chine plus affirmée sur la scène mondiale. Si, l’année prochaine, le Plan quinquennal réel maintient son axe actuel et offre des mesures insuffisantes pour stimuler considérablement la consommation, le déséquilibre entre une offre excédentaire et une demande trop faible risque de perdurer, continuant à alimenter la nécessité d’exporter. Les autres pays, notamment le Canada, devraient anticiper une Chine de plus en plus tournée vers la domination économique sous l’impulsion de ses prouesses technologiques. À l’image des activités de promotion des véhicules électriques et des batteries sur les marchés internationaux entreprises par le PCC ces dernières années, nous pourrions bien voir les producteurs et les autorités intensifier les exportations d’une vaste gamme de produits tels que les modèles et les technologies d’IA, une fois la capacité de production et la qualité améliorées.
Si la Chine poursuit l’expansion prévue de sa domination dans les chaînes d’approvisionnement critiques, outre celles relatives aux terres rares, sa capacité de limiter ces exportations pourrait constituer un levier important pour influencer les activités économiques et la façon dont elle fait des affaires (ou non) avec les autres pays. Les ripostes aux droits de douane et les restrictions sur les exportations déployées à maintes reprises par la Chine pourraient devenir plus fréquentes, surtout dans les secteurs touchant à la sécurité nationale et à la souveraineté technologique. Pour une nation commerçante occidentale comme le Canada, cette réalité dicte une approche lucide de sa collaboration avec la Chine, qui sera sans doute encore marquée par les conflits commerciaux résultant d’une divergence sur le plan des intérêts économiques et des préoccupations en matière de sécurité. La gestion de ces conflits doit rester une priorité pour les décideurs au moment où Ottawa cherche à rétablir une relation commerciale stratégique avec Beijing.