Le changement au leadership de la Thaïlande pourrait être le signe de nouvelles incertitudes politiques et économiques

Paetongtarn Shinawatra

À retenir 

Le 16 août, le parlement thaïlandais a approuvé Paetongtarn Shinawatra, du parti Pheu Thai, au poste de nouvelle première ministre du pays, deux jours après que le tribunal constitutionnel ait ordonné la démission de son prédécesseur, Srettha Thavisin, pour des raisons de violation de l’éthique. Le 7 août, ce même tribunal a forcé la dissolution du parti progressiste Move Forward, qui détient une pluralité de sièges au parlement.  

Ces décisions de justice sont considérées comme des manœuvres judiciaires visant à aider les élites pro-militaires et pro-royalistes à reprendre le pouvoir après leur faible performance aux élections générales de 2023.

En bref

  • La décision du tribunal constitutionnel de destituer M. Thavisin était fondée sur des accusations selon lesquelles il aurait enfreint les règles d’éthique de la Constitution en nommant un membre du cabinet qui avait un dossier criminel. La décision du tribunal a surpris les nombreux Thaïlandais qui considéraient les actions de M. Thavisin comme une « mauvaise décision politique », mais pas comme une décision justifiant sa destitution. 
     
  • La remplaçante de M. Thavisin, Paetongtarn Shinawatra, 37 ans, est relativement nouvelle dans la vie politique. Elle a toutefois un important patrimoine politique : son père, Thaksin Shinawatra, et sa tante, Yingluck, ont été premiers ministres de 2001 à 2006 et de 2011 à 2014, respectivement. Thaksin et Yingluck ont tous deux été évincés par des coups d’État militaires. 
     
  • En 2023, le parti Pheu Thai a formé une coalition fragile et improbable avec son ancien adversaire, le parti conservateur. Leur objectif commun était d’écarter le parti Move Forward après les résultats étonnamment bons de ce dernier aux élections de l’année dernière. Le sénat, proche des militaires, a empêché le parti Move Forward, qui avait remporté la majorité des sièges aux élections de 2023, de former un gouvernement. La récente décision du tribunal de dissoudre ce parti et d’interdire à ses dirigeants de participer à la politique pendant 10 ans a été rendue en réponse à la promesse du parti de modifier la loi de lèse-majesté. Dans le cadre de cette loi, critiquer la famille royale est un délit passible d’une sanction allant jusqu’à 15 ans de prison. 
     
  • Mme Shinawatra a annoncé la continuité de la politique économique, mais l’incertitude politique qui l’a élevée au rang de première ministre pourrait ébranler la confiance des investisseurs à un moment où l’économie thaïlandaise, la deuxième plus grande d’Asie du Sud-Est, est déjà ralentie. 

Paetongtarn Shinawatra of the Pheu Thai Party
Paetongtarn Shinawatra (devant, centre), la plus jeune fille de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, se joint aux dirigeants des partis de la coalition lors d’une conférence de presse après avoir été nommée candidate au poste de première ministre de la Thaïlande à la tour Shinawatra, à Bangkok, le 15 août 2024. | Photo : Lillian Suwanrumpha / AFP gracieuseté de Getty Images 

Implications

L’aggravation des fractures politiques pourrait engendrer une plus grande instabilité. La destitution de M. Thavisin est le dernier épisode d’une lutte de pouvoir de longue date entre les partisans de la royauté et de l’armée, d’une part, et le parti populiste Pheu Thai et ses incarnations antérieures, d’autre part. Cette lutte a commencé il y a environ deux décennies sous la direction de Thaksin Shinawatra, qui s’est exilé en 2008 pour éviter de répondre à des accusations de corruption. Il est retourné en Thaïlande l’année dernière dans le cadre d’une trêve négociée entre le parti Pheu Thai et les conservateurs. Cette trêve comprenait un accord selon lequel M. Shinawatra se retirerait de la vie politique, mais son activité politique récente est considérée comme une violation de cet accord. M. Shinawatra attend la décision de son propre tribunal le 19 août pour des violations présumées de lèse-majesté remontant à 2015.

Le leadership à porte tournante du pays jette une ombre sur la reprise économique. La coalition actuellement au pouvoir comprend des partis pro-entreprises, mais la récente instabilité politique pourrait compromettre la capacité du gouvernement à relancer l’économie. En 2021 et en 2022, la croissance économique est tombée à 1,9 %, malgré les efforts visant à résoudre des problèmes persistants, tels que la stagnation des investissements du secteur privé, un signe que même les entreprises locales manquent de confiance dans l’économie. De plus, les programmes populistes du parti Pheu Thai, comme l’initiative Digital Wallet, une distribution d’argent aux citoyens, pourraient subir des reculs en raison de désaccords sur le financement et d’obstacles à la mise en œuvre. Même avant le verdict du tribunal de M. Thavisin, l’indice boursier de référence de la Thaïlande était déjà tombé à 1,3 %. 

Les nouveaux dirigeants pourraient modifier l’approche de la Thaïlande par rapport au Myanmar. Le coup d’État de 2021 dans le Myanmar, pays voisin, et le conflit armé qui s’en est suivi, ont créé une crise de réfugiés qui a débordé la frontière. Sous le gouvernement de M. Thavisin, Bangkok s’est concentrée sur la prestation d’une aide humanitaire et sur l’adoption d’une approche pragmatique des relations avec le Myanmar, généralement conforme au plan de consensus en cinq points de l’ANASE. Ce plan est une approche principalement non interventionniste que beaucoup, y compris de nombreux habitants du Myanmar, ont estimée inefficace 

Sous le gouvernement de Mme Shinawatra, le gouvernement thaïlandais pourrait favoriser une approche plus proactive en tant que médiateur. Thaksin Shinawatra, agissant en quelque sorte comme un pigiste, a commencé à dialoguer avec des membres du mouvement de résistance du Myanmar.  

Prochaines étapes :

1. Le parti Move Forward va de l’avant 

Malgré les efforts visant à neutraliser la popularité du parti Move Forward, il a agi rapidement après la décision du tribunal du 7 août pour se reconstituer en tant que Parti du peuple. L’ancien dirigeant du parti, Pita Limjaroenrat, est l’un des membres désormais exclus de la vie politique, mais 143 des membres du parti conservent leur siège au parlement. À sa rencontre inaugurale, le nouveau dirigeant du Parti du peuple, Natthaphong Ruengpanyawut, a déclaré son intention de remporter la majorité des sièges aux prochaines élections générales, en 2027. En juin, un sondage d’opinion a montré que M. Limjaroenrat et le défunt parti Move Forward demeuraient de loin le politicien et le parti les plus populaires du pays. 

2. La fragilité démocratique suscite des critiques internationales   

Après la dissolution du parti Move Forward, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a fait part de ses inquiétudes quant à la diversité politique limitée de la Thaïlande et à l’utilisation de la loi de lèse-majesté pour museler l’opposition. De même, Matthew Miller, le porte-parole du département d’État américain, a critiqué la décision du tribunal thaïlandais, déclarant qu’elle mettrait en danger les processus démocratiques de la Thaïlande. Le Canada n’a pas encore abordé la question publiquement, mais a été invité à prendre un rôle plus proactif dans la défense de la démocratie thaïlandaise.  

3. Ne pas faire tanguer le bateau 

Lors d’un entretien avec des journalistes vendredi dernier, Mme Shinawatra s’est abstenue de fournir des détails sur les plans de son gouvernement; cependant, sur le plan économique, elle devrait encourager la baisse des taux d’intérêt et la limitation de l’autonomie de la banque centrale. La nouvelle première ministre n’encouragera sûrement pas de réforme démocratique, un engagement qui a fait du Parti du peuple un favori des jeunes Thaïlandais, afin d’éviter de provoquer davantage de réactions négatives des conservateurs. 

 

• Édition par Erin Williams, gestionnaire principale de programme, FAP Canada et Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie, FAP Canada.

Hema Nadarajah

Hema Nadarajah, Ph.D., est gestionnaire de programme, Asie du Sud-Est, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en relations internationales de la University of British Columbia, où elle a effectué des recherches sur la gouvernance dans l'Arctique, le changement climatique et l'espace extra-atmosphérique. Mme Nadarajah est conseillère auprès du WWF et a travaillé auparavant pour le gouvernement de Singapour sur des questions de conservation de la biodiversité internationale et de changement climatique.

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Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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Calvin San est boursier de l’initiative Knowledge for Democracy Myanmar (K4DM) et travaille avec l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Il prépare une maîtrise en sciences politiques à la University of British Columbia et est également affilié à l’Institute for Asian Research de cette université. Ses recherches portent sur les relations entre l’État et la société, les politiques ethniques et les politiques identitaires, et plus particulièrement sur l’Asie du Sud-Est.

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Su Thet San

Su Thet San étudie une maîtrise en politique publique et affaires internationales à la University of British Columbia et bénéficie d’une bourse de l’Initiative Myanmar de l’UBC, qui travaille actuellement avec la Fondation Asie Pacifique du Canada. Titulaire d’un baccalauréat en journalisme de la University of Yangon, Su Thet San a précédemment travaillé pour une organisation non gouvernementale au Myanmar, se concentrant sur la démocratisation, la paix et les conflits, ainsi que sur l’harmonie sociale.

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